Fin de l’intégrale des Sonates de Beethoven par Maurizio Pollini

par

Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827)
Sonates pour piano nos 16 (op. 31 n° 1), 17 (op. 31 n° 2), 18 (op. 31 n° 3), 19 (op. 49 n° 1), 20 (op. 49 n° 2)
Maurizio Pollini (piano)
2015 -DDD - 75’19 - Textes de présentation en anglais, allemand, français, italien - DG 479 4325

Cet enregistrement représente la dernière étape d’une intégrale des sonates pour piano de Beethoven qui s’est étalée sur plus de trois décennies. D’une certaine façon, il est aussi le témoignage de l’évolution d’un des grands maîtres du piano contemporain et, en même temps, de sa remarquable constance quant à ses choix interprétatifs. Pollini, on le sait, n’est pas un hédoniste de la musique, mais un vrai musicien autant qu’un modèle de rigueur, mettant toujours ses fabuleuses qualités pianistiques au service des compositeurs qu’il sert avec une humilité non feinte. Certes, il y a quelque chose de janséniste -et qui s’est de plus en plus marqué au cours du temps, puisque Pollini donne toujours davantage l’impression de vouloir servir les oeuvres qu’il joue non pas en faisant abstraction de sa personnalité, mais en écartant de ses interprétations tout ce qui pourrait ressembler, non pas à de la frivolité, mais même -fût-ce de loin- à du plaisir- chez le grand pianiste milanais qui n’est certainement pas l’homme des grands épanchements lyriques ni des clins d’oeil complices. Mais le sérieux de l’entreprise, cette fascinante abnégation devant l’oeuvre, la hauteur de vues de l’interprétation alliée à des moyens techniques et intellectuels phénoménaux forcent le toujours le respect et, très souvent, l’admiration.
Si les trois grandes et splendides sonates de l’op. 31 ne sont pas les plus populaires de Beethoven auprès du grand public (tout en étant chéries des pianistes et des mélomanes), ce n’est certainement pas en raison d’un manque de qualités intrinsèques mais sans doute tout simplement parce qu’elles n’ont pas de titres leur permettant de rivaliser avec la Pathétique, Clair de Lune ou autre Appassionnata.
Pollini aborde la sonate en sol majeur, op 31 n° 1, avec une ébouriffante virtuosité et donne à ce deuxième thème de l’Allegro vivace initial qui annonce déjà Schubert un caractère léger et bondissant très séduisant. Le développement permet au pianiste un éblouissant jeu d’esprit. Dans l’Adagio grazioso, les trilles et et la petite cadence non mesurée en triples coches sont simplement magnifiques. Dans la sonate en ré mineur « la Tempête, op. 31 n° 2, le tempo initial de Pollini pour l’Allegro initial peut paraître dans un premier temps très légèrement précipité, mais l’oreille s’habitue vite et la maîtrise de l’artiste dans cette page exigeante n’est jamais en doute, même si le son se fait parfois un peu métallique. Le mouvement lent est pris dans un tempo parfait (Claudio Arrau le prend dans une extraordinaire lenteur, au point que la musique semble presque se figer) et le mélange de sérieux et de grâce avec lequel Pollini aborde le rondo final débouche sur un résultat superbe, alors que l’on sent bien qu’il reste encore de considérables réserves techniques au pianiste. La même maîtrise se retrouve dans l’Allegro qui ouvre la sonate op. 31 n° 3, mais si les moyens techniques et musicaux impressionnent, Pollini semble absolument insensible au charme de l’oeuvre, et se refuse à toute séduction. Dans cette sonate en quatre mouvements, le mouvement lent qu’on attendrait est remplacé par une Scherzo et un Menuet. Après un Scherzo pince-sans-rire, Pollini aborde le Menuetto sans grâce particulière, mais trouve le ton de joie débridée qui convient au Presto con fuoco qui conclut cette belle oeuvre. Quant aux deux sonates didactiques de l’op. 49, elles sont rendues avec beaucoup de finesse.
Voici menée à terme une importante intégrale des sonates pour piano de Beethoven. La puissance intellectuelle et le sérieux du pianisme de Pollini impressionnent au plus haut point, mais on pourra tout aussi bien pencher pour la joie de vivre et la vivacité de Kempff, le lyrisme et la profondeur de Brendel, l’énergie électrisante de Stephen Kovacevich, la majesté granitique de Claudio Arrau, la sagesse et le raffinement de Richard Goode, l’inébranlable intégrité de Schnabel ou -outsider surprenant mais convaincant- l’élégance et la distinction très françaises de Jean-Bernard Pommier, sans oublier la splendide quasi-intégrale d’Emil Gilels, tristement interrompue par le décès du grand pianiste russe.
Patrice Lieberman

Son 8 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 9

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