Joseph Lauber, surprenant symphoniste

par

Joseph Lauber (1864-1952) : symphonies n°1 et n°2. Orchestre  symphonique Bienne Soleure, direction : Kaspar Zehnder. 2020-Texte de présentation en allemand, français et anglais-73’45. Schweizer Fonogramm -LC 91357

Du méconnu Joseph Lauber, l’auteur de ces lignes ne connaissait jusqu’ici que la charmante Sonate pour flûte et piano (Sonata-fantasia in une parte) Op. 50 de 1934, entendue un jour à la radio, ravissante oeuvre dans le goût français de ce compositeur suisse qui, après de sérieuses études de piano,  violon, violoncelle et orgue ainsi que de direction et de composition avec Friedrich Hegar (un ami de Brahms) au conservatoire de Zurich, se perfectionna ensuite auprès de Rheinberger à Munich dans cette dernière discipline, puis ultérieurement auprès de Massenet (composition) et Louis Diémer (piano) à Paris. Lauber obtint un poste de professeur de piano au Conservatoire de Zurich, puis à celui de Genève où -outre ses fonctions pendant deux saisons de premier chef d’orchestre au Grand Théâtre- il enseigna le piano et la composition et compta parmi ses élèves Frank Martin (qui ne fréquenta jamais le conservatoire et dont Lauber -qui lui donna des cours en privé- fut le seul professeur). 

Joseph Lauber écrivit six symphonies, jamais éditées et dont les manuscrits utilisés pour cet enregistrement sont conservés à la bibliothèque de l’Université de Lausanne. 

Les années 1895-1896 où ces deux symphonies voient le jour sont celles où Mahler écrit sa 3e symphonie, Richard Strauss -né la même année que Lauber- son grand poème symphonique Also sprach Zarathustra, alors qu’en 1894 avait eu lieu la création du Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy et que Bruckner meurt en 1896.

Par rapport aux exemples cités, Lauber se montre ici un compositeur traditionnel au métier très sûr et regardant clairement vers les exemples de la génération précédente. Il évite autant le grandiose du post-romantisme austro-allemand que les toutes fraîches expériences debussystes. Le seul contemporain qui semble l’avoir marqué est Dvorák dont on trouve des échos manifestes dans la Deuxième Symphonie

La Première Symphonie s’ouvre sur un appel de cors dans le plus pur style cor des alpes auxquels font écho de douces phrases aux flûtes. S’il n’est pas de ces symphonistes qui marquent par leurs thèmes mémorables et leurs développements élaborés, Lauber fait preuve d’un réel talent de mélodiste et se montre fin orchestrateur dans un langage qui -sans jamais les copier servilement- doit beaucoup à Brahms et plus encore à Mendelssohn, en particulier dans l’Andante espressivo qui coule de source et fait entendre un romantisme frais et sans boursouflures si typiquement mendelssohnien. C’est encore Mendelssohn qui vient à l’esprit dans le Scherzo vif et léger avec un délicieux Trio champêtre. Lauber dut sans doute se faire violence pour ouvrir un Finale de près de douze minutes par une solennelle introduction à la Bruckner (mais sans la force élémentaire du compositeur autrichien) avant de passer rapidement à une musique d’une grande aisance mélodique et d’une légèreté dansante qui renvoie à Delibes ou Messager, voire aux ballets de Tchaïkovski. Le mouvement aurait certainement gagné à un peu plus de concision, mais il s’écoute néanmoins de bout en bout avec grand plaisir. 

La Deuxième symphonie -dont nous savons qu’elle fut jouée à la toute nouvelle Tonhalle de Zurich (inaugurée en 1895)- semble avoir beaucoup retenu du modèle dvorakien dans ses deux premiers mouvements, à commencer par l’élan, la fraîcheur et le lyrisme du premier mouvement (Adagio-Allegro moderato). L’Andantino qui suit présente ces phrases populaires et ce côté doux-amer si typique de Dvorák, où une gravité inattendue vient soudainement interrompre la gaité et la veine mélodique aisée de la musique.

Après un Scherzo plus sérieux que celui de la Première symphonie, l’oeuvre se termine sur  un Allegro vivo peut-être un peu trop démonstratif (avec ça et là quelques réminiscences wagnériennes) où on a l’impression que le jeune compositeur souhaite montrer tout son savoir-faire, à commencer par sa maîtrise du contrepoint.

Ces oeuvres témoignent du talent manifeste d’un compositeur à la grande facilité d’écriture et bien ancré dans la tradition symphonique de son temps. S’il n’est pas un astre de première grandeur, Lauber est un compositeur de qualité qui réussit à toujours intéresser l’auditeur, entre autres par sa superbe aisance mélodique et ses remarquables talents d’orchestrateur (il aurait fait un excellent compositeur de musique de film ou de ballet).

Enfin, cette belle redécouverte n’aurait pas été possible sans la remarquable interprétation de l’Orchestre Symphonique Bienne Soleure dont les qualités -magnifiées par une superbe prise de son- surprennent agréablement sous la direction pleine de vie de l’excellent chef suisse Kaspar Zehnder qu’on espère réentendre bien vite (y compris dans d’autres répertoires). Terminons sur une bonne nouvelle: l’OSBS et son chef prévoient bien d’enregistrer l’intégrale des six symphonies de Joseph Lauber et c’est peu dire qu’on attend la suite avec intérêt. 

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 8 - Interprétation 10

Patrice Lieberman

 

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