Le 20e Festival Beethoven de Varsovie : de fantastiques découvertes et le rôle d'un chef

par

Szymon Nehring, un talent fou ! © Bruno Fidrych

Quitter un festival dans une allégresse commune, confiant dans l’avenir d’un art musical qui garde ses valeurs d’intégrité, de beauté, de sincérité et de bonheur partagé, c’est le plus beau cadeau qui puisse être fait à un mélomane ou un critique qui, pour quelques jours, y a posé ses pénates. C’est ce cadeau qui nous fut offert le 16 mars à la Philharmonie de Varsovie où se produisait le Santander Orchestra sous la direction de Jerzy Maksymiuk et le jeune pianiste Szymon Nehring. Le Santander Orchestra, un nouvel orchestre dans le paysage polonais. Un orchestre récemment formé de jeunes musiciens étudiant à l’Université ou dans les Académies polonaises. Fondé par Kryztof Penderecki –décidément sur tous les fronts quand il s’agit d’assurer l’avenir de la musique et de ses acteurs en Pologne. Les jeunes musiciens travaillent et préparent des tournées au Centre Penderecki de Luslawice où ils travaillent avec de grandes personnalités et suivent des cours destinés à les préparer à la carrière : maintien, économie, gestion, rapports avec les media, communication,…

Jerzy Maksymiuk à la tête du jeune Santander Orchestra © Bruno Fidrych
Jerzy Maksymiuk à la tête du jeune Santander Orchestra © Bruno Fidrych

Szymon Nehring a 20 ans, il est né à Cracovie et a étudié le piano dans sa ville natale et à Bydgoszcz avec Stefan Lazarska. Il n’a pas multiplié les professeurs, ni les master classes. Simplement, il a un talent fou. Et pas tapageur pour un sou. Physiquement, il a un peu les allures de Matsuev mais il est plus poupin et, surtout, son jeu est mille fois plus intéressant. Dès son entrée dans  les Variations sur un thème de Paganini de Rachmaninov, on sent que l’on passera un beau moment. Szymon Nehring entre dans chaque variation dont il pénètre le caractère, tantôt lyrique, tantôt virtuose, un toucher de soie, une poigne qui jamais ne force le trait. Il faut dire aussi qu’il était magnifiquement accompagné par les jeunes du Santander Orchestra dirigé de main de maître par Jerzy Maksymiuk : précision des entrées, personnalité du son, justesse, conduite des phrasés, plaisir de jouer, autant de qualités que l’on retrouvera dans la 9e Symphonie de Chostakovitch dont l’ensemble perce les stridences et se donne à fond dans l’expression. Remarquons au passage l’extraordinaire qualité des cuivres et celle du basson. Une soirée qui laisse des traces.

Elzbieta Penderecka, présidente de l'Association Beethoven, créatrice et directrice générale du Beethoven Festival lors de l'annonce officielle de la construction d'une nouvelle salle de concert par Hanna Gronkiewicz-Waltz, Maire de Varsovie© Bruno Fidrych
Elzbieta Penderecka, présidente de l'Association Beethoven, créatrice et directrice générale du Beethoven Festival lors de l'annonce officielle de la construction d'une nouvelle salle de concert par Hanna Gronkiewicz-Waltz, Maire de Varsovie© Bruno Fidrych

Mais celle-ci n’était qu’une étape dans le parcours du 20e Festival Beethoven. Car le pays libéré du joug communiste, il ne fallut pas longtemps pour que Elzbieta Penderecka (Madame Penderecki) mette en place un festival qui très vite va rejoindre la cour des grands.
Le Festival 2016 s’ouvrait le samedi 12 mars avec les discours et les présentations d’usage. Inédit, le nom du Ministre de la Culture, Piotr Glinskin, suscita de fortes huées dans le public. Par contre, Janna Gronkiewicz-Waltz, Maire de Varsovie, annonçait avec bonheur la construction d’une nouvelle salle de 1800 places qui devrait ouvrir ses portes en 2018 et accueillera le Sinfonia Varsovia. Au programme : la
Fantaisie pour piano, chœur et orchestre de Beethoven suivie de la 9e Symphonie. Belle idée pour fêter un 20e festival. Malheureusement, les interprètes n'étaient pas à la hauteur : sous la direction de Jacek Kaspszyk qui, en fait, ne dirige pas, chaque pupitre du Warsaw Philharmonic Orchestra y va de son petit bonhomme de chemin pour donner libre cours à beaucoup de bruit. Quant au quatuor de chanteurs, Bernarda Fink en était absente sous le chant appuyé de la soprano Heli Veskus; Michael Schade tirait sa voix le mieux qu’il le pouvait et seul le baryton Markus Eiche était mieux à son affaire. Tant qu'à parler des déceptions, signalons le concert donné deux jours plus tard par le Polish Sinfonia Iuventus Orchestra dirigé par Julian Rachlin, violoniste de talent mais piètre chef d'orchestre n'arrivant pas à créer une balance convenable des pupitres : les cordes sont peu existantes, les cors tonitruent, suivis par tous les cuivres, les sons sont à ce point saturés qu'il en sort des harmoniques créatrices de bruits étranges et étrangers. Au sein de ce grand carnaval que fut le 7e Symphonie de Beethoven, l' « apothéose de la danse » pourtant, l'excellent violoncelliste Claudio Bohorquez devait déployer son chant dans le concerto de Dvorak qu'il détailla dans de somptueuses sonorités, qualité qu'il confirma dans la 1ère Suite pour violoncelle de J.S. Bach. Le meilleur moment de la soirée.
Ces moments passés, on a le plaisir de relater les autres concerts qui, tous, furent excellents.

Juan Pérez Floristan, Andrew Tyson et Filippo Gorini © Bruno Fidrych
Juan Pérez Floristan, Andrew Tyson et Filippo Gorini © Bruno Fidrych

Le dimanche 13 mars, dans la somptueuse salle 18e du Château, nous écoutions trois jeunes pianistes lauréats de concours internationaux. Trois personnalités, trois visions de la musique et de l’instrument. Filippo Gorini a 20 ans, il est lauréat du Concours Beethoven de Bonn 2015 et il « ose » les 33 Variations Diabelli. Il ose et il a parfaitement raison. Il est rare d’entendre un esprit aussi beethovénien chez un interprète de son âge et, petit clin d’œil, pour bis, une Sonate de Scarlatti. Filippo sait être virtuose et dramatique, il confirme qu’il est aussi poète. Une toute autre nature : Juan Pérez Floristan, lauréat du 18e Paloma O’Shea Santander International Piano Competition 2015. Un magnifique toucher de velours pour chanter la passion dans l’opus 31 n°3 de Beethoven. Une vision très personnelle, très contrastée, très parlante, peu appréciée des puristes mais cohérente d'un point de vue émotionnel. Par contre, il fit l’unanimité dans la Fantasia Bética de Manuel de Falla. Jouant dans son arbre généalogique, Juan Pérez était tout à fait à l’aise et révéla l'oeuvre dont Aldo Ciccolini fit les beaux jours. Toujours maître du son et du rythme dans la Sonatine de Ravel, Floristan tint à faire connaître au public les infinies possibilités de l'instrument à sons fixes avec une courte pièce de Henry Cowell parsemée de clusters. Le troisième lauréat de concours fut Andrew Tyson, lauréat du Concours Geza Anda, dont nous avions parlé en ces pages lors de sa prestation au Concours Reine Elisabeth 2013 où il obtenait un 6e Prix. Un poète, une grande palette de sonorités qu'il déployait dans Miroirs de Ravel exprimés avec le plus grand soin et, inattendu chez ce poète, la Rhapsody in blue de Gershwin où il se montra aussi grand virtuose.

Marta Kowalczyk, Arto Noras, Barry Douglas et John Axelrod
Marta Kowalczyk, Arto Noras, Barry Douglas et John Axelrod

Lundi 14, John Axelrod dirigeait le Sinfonia Varsovia dans les Danses de Galanta de Kodaly et Le Sacre du Printemps de Stravinsky. En solistes, Marta Kowalczyk (violon), Arto Noras (violoncelle) et le son lumineux de Barry Douglas (piano) pour le périlleux Triple Concerto de Beethoven, ce concerto qui fait dire aux violoncellistes que Beethoven devait certainement avoir une dent contre ces instrumentistes. De fait, la partie n'est pas simple mais le trio s'en sortit avec honneur. Face au Sinfonia Varsovia, John Axelrod prend d'emblée l'orchestre en mains pour déployer ses énormes qualités de chef : précision des attaques, mise en place impeccable. Tant dans les danses de Kodaly que dans Stravinsky, il pousse à fond le jeu des timbres et vit physiquement la rythmique précise ; il adopte une vision figurative de la musique au point d'écouter les pupitres comme autant de voix humaines racontant des histoires. Inévitablement, on pense à Bernstein.
Outre les excellents moments de musique, le Festival nous mène à la réflexion, si besoin en était, sur l'importance du chef d'orchestre. Nous avons entendu quatre orchestres dont le Warsaw Philharmonic Orchestra et le Polish Sinfonia Iuventus Orchestra que nous avions déjà pu entendre au concert et au disque sous leurs plus beaux atours. Hans von Bülow disait :  « il n'y a pas de mauvais orchestres, il n'y a que de mauvais chefs ». John Axelrod et Jerzy Maksymiuk dirigeant un orchestre de jeunes formé il y a à peine deux ans nous confirment la chose.
Ajoutons encore le succès que rencontre le Festival Beethoven auprès du public : « sold out » pour tous les concerts où nous étions. A l'entrée, une foule nombreuse espère pouvoir encore obtenir une place.
Bernadette Beyne
Varsovie, du 12 au 17 mars 2016

Les commentaires sont clos.