Le romantisme passionné des concertos pour piano de Zygmunt Stojowski 

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Zygmunt Stojowski (1870-1946) : Concertos pour piano et orchestre n° 1 en fa dièse mineur op. 3 et n°2 en la bémol majeur op. 32 « Prologue, Scherzo et Variations ». Marek Szlezer et Witold Wilczek, piano ; Jerzy Semkow Sinfonia Iuventus, direction Marek Wroniszewski et Zofia Guz. 2021. Notice en polonais et en anglais. 69.28. Dux 1773.

Le label polonais Dux ratisse large dans le répertoire de sa musique nationale, dont il nous a déjà offert de multiples facettes méconnues. De Zygmunt Stojowski, virtuose de grand talent et pédagogue réputé, il a déjà proposé un album de mélodies et un autre qui comprenait deux cantates et une suite pour orchestre. Cette fois, ce sont les deux concertos pour piano de cet originaire de Strzelce, petite ville du nord qui connut l’implantation des Chevaliers teutoniques au XVIe siècle. Il ne s’agit pas de premières discographiques : Jonathan Plowright avait enregistré ces concertos en 2001 avec le BBC Scottish Symphony Orchestra dirigé par Martyn Brabbins, pour le label Hyperion (CDA 67314), avec une belle réception de la critique.

Les sources concernant la naissance de Stojowski ont longtemps divergé, la situant entre 1863 et 1876, mais il a été établi qu’il a vu le jour le 8 avril ou le 14 mai 1870. Le jeune Zygmunt reçoit de sa mère ses premières leçons de piano. Grâce au soutien de la Princesse Marcelina Czatoryska, une élève de Czerny et de Chopin, il peut se perfectionner à Cracovie auprès du compositeur Wladislaw Zelenski ; encore étudiant, il se fait remarquer en jouant en public le Concerto pour piano n° 3 de Beethoven. Dès ses 18 ans, il est à Paris où il suit les cours de Louis Diémer pour le piano, de Théodore Dubois pour l’harmonie et de Léo Delibes pour la composition. Il est de plus très influencé par le panache d’Ignaz Paderewski, rencontré à Cracovie dans un salon en 1884, qui lui donnera quelques leçons lors de son apprentissage parisien et soutiendra sa carrière naissante. Saint-Saëns lui dispensera aussi ses conseils. Très vite, Stojowski compose et commence à se produire comme concertiste dans plusieurs salles européennes. Il reçoit le Prix Paderewski en 1898 pour sa Symphonie en ré mineur qui aura l’honneur d’être jouée lors du concert d’inauguration de la Philharmonie de Varsovie en 1901.

C’est pourtant aux Etats-Unis que le polyglotte Stojowski (en plus du polonais, il parle six langues, dont le latin et le grec ancien) va s’installer dès 1905, plus précisément à New York où il passera le reste de son existence ; il sera naturalisé américain en 1938. Il est appelé à diriger le département de piano de l’Institute of Musical Art qui deviendra plus tard la Juilliard School. Pédagogue respecté, Stojowski comptera parmi ses élèves Shura Cherkassky, Mischa Levitzki, Arthur Loesser ou Oscar Levant. Son catalogue de compositeur, une bonne quarantaine d’opus, se décline en musique pour piano ou violoncelle et sonates, en concerto pour violon (disponible chez Hyperion sous l’achet de Bartlomiej Niziol, 2016) ou pour violoncelle. On y ajoute la symphonie citée plus avant, des pages chorales et deux concertos pour piano aux accents passionnés.

Le Concerto n° 1 en fa dièse mineur op. 3 de 1891 a été créé par Stojowski lui-même en la Salle Erard à Paris. Cette partition révèle toute la fougue pianistique de son créateur, ses brillantes possibilités techniques et son inventivité émotionnelle. Les thèmes sont très chantants et dévoilent une personnalité nourrie de la grande tradition romantique, en particulier du lyrisme de Paderewski, avec de grands élans symphoniques et des mélodies où la virtuosité voisine avec une poésie qui sait se révéler intense. L’Andante poco mosso s’ouvre dans un climat orchestral lent et mystérieux qui va bientôt se déployer dans une série de modulations majestueuses et des développements grandioses qui révèlent une belle maîtrise du dialogue entre le soliste et ses partenaires. Le drame sous-jacent qui marque la fin de ce premier mouvement trouve dans la Romanza. Andante sostenuto e molto cantabile qui suit un écho onirique, soulignant la fluidité des sentiments. Stojowski y introduit un rappel de la première pièce de l’opus 133 de Schumann, les Gesänge der Frühe. Le tumultueux Allegro con fuoco final, marqué par de subtiles allusions à des éléments des deux premiers mouvements, conclut le concerto dans une atmosphère brillante. L’œuvre est servie avec fougue par le pianiste polonais Marek Szlezer (°1981) qui s’est perfectionné à la Chapelle Musicale avec Abdel Rahman El Bacha, a été candidat lors de la session 2003 du Concours Reine Elisabeth et a enregistré des albums pour Warner, EMI, Amadeus, Amadeo Classics ou Dux. Le Sinfonia Iuventus, fondé en 2007 par Jerzy Semkow dont il porte aujourd’hui le nom, est dirigé avec netteté et ferveur par Marek Wroniszewski, son directeur musical, qui cède élégamment sa baguette à sa jeune assistante Zofia Guz pour le second mouvement.

Le Concerto pour piano n° 2 est confié à un autre pianiste polonais, Witold Wilczek (°1988), formé dans son pays avant un séjour de trois ans en Suisse puis un perfectionnement à Katowice. Wilczek propose une version brillamment ludique de cette partition créée en 1913 par Arthur Nikisch à la tête du London Symphony Orchestra, avec Zygmunt Stojowski au piano. Le compositeur bénéficiait alors d’une grande notoriété internationale. Le Prologue. Andante con moto propose un thème orchestral détendu qui va suivre diverses trajectoires, la mélodie du piano servant de leitmotiv aux étapes du processus. Le Scherzo. Presto enchaîne attacca dans un climat de légèreté et de dynamisme qui semble exalter une joie incessante. Le troisième mouvement, Thème avec dix Variations de dimensions variées, peut se diviser en deux sections : la première, avec sept courtes pièces, entre expression mesurée et vivacité, l’autre se développant dans une atmosphère de plus en plus tendue jusqu’à un enivrant Allegro molto conclusif où l’on retrouve des réminiscences de l’Andante con moto initial. Toujours emmené par Marek Wroniszewski, le Sinfonia Iuventus, dont la composition est détaillée dans la notice -ce qui permet de préciser les interventions de l’un ou l’autre instrumentiste (hautbois, clarinette)- révèle toute la sève dynamique de l’œuvre et porte le pianiste tout au long de son parcours virtuose. On sent, dans la démarche orchestrale comme dans celle du soliste, une ardeur collective qui rend justice aux partitions.

Il faut reconnaître à ces deux concertos une importante qualité : celle de retenir sans cesse l’attention grâce à une variété de couleurs et à des trouvailles mélodiques. Ces pages, qui rencontrent toujours du succès dans leur pays d’origine, mériteraient largement de bénéficier de programmations dans de nombreuses salles de concerts au-delà des frontières de la Pologne. Elles feront en tout cas le bonheur des amateurs de grand piano romantique.   

 Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix

 

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