Limites munichoises pour I Lombardi alla prima crociata de Verdi

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Giuseppe Verdi : I Lombardi alla prima crociata, opéra en quatre actes. Nino Machaidze (Giselda), Réka Kristóf (Viclinda), Piero Pretti (Oronte), Galeano Salas (Arvino), Miklós Sebestyén (Pirro), Michele Pertusi (Pagano) ; Chœurs des Bayerischen Rundfunk ; Münchner Rundfunkorchester, direction Ivan Repušić. 2023. Notice et synopsis en allemand et en anglais. 125’ 25’’. BR Klassik 900351. 

Après Luisa Miller avec Marina Rebeka en 2018, I due Foscari avec Leo Nucci en 2019 et Attila avec Ildebrando D’Arcangelo en 2020, voici le quatrième opéra de Verdi dirigé par le Croate Ivan Repušić (°1978), qui est à la tête des forces bavaroises depuis 2017. Quatrième, c’est aussi le numéro d’ordre d’I Lombardi alla prima crociata dans la production de Verdi, après le triomphe de Nabucco à la Scala de Milan le 8 mars 1842. Suite à cet absolu succès, le directeur de la Scala, Bartolomeo Merelli (1794-1879) commande une nouvelle partition. Ce sera I Lombardi, créé et bien accueilli le 11 février 1843. Le livret est signé par Temistocle Solera (1815-1878), déjà sollicité pour Oberto, conte di san Bonifacio et Nabucco, et auquel il sera encore fait appel pour Giovanna d’Arco et Attila. Solera s’inspire d’un poème épique et historique en 15 chants de Tommaso Grossi (1790-1853), qui porte le même titre que l’opéra et qui, avec ses tendances nationalistes, est le plus gros tirage littéraire de l’époque. 

L’entreprise s’est révélée difficile pour Solera, car le sujet est complexe ; cela aboutira à un livret quelque peu chargé, qui contient néanmoins des moments hauts en couleurs, pleins de bruits et de fureurs. Trois axes déterminent une action qui se déroule au XIIe siècle. Ils sont précisés dans l’article consacré à cet opéra dans le volume Tout Verdi (Laffont/Bouquins, 2013) : Le texte suit à la fois trois intrigues mal réunies entre elles, l’une de nature politique - la conquête de Jérusalem par les croisés lombards -, l’autre passionnelle - l’amour de la fille d’un croisé pour un musulman qu’elle convertit -, la dernière familiale et criminelle - l’histoire de deux frères dont l’un a voulu tuer l’autre par jalousie. La discographie d’I Lombardi attendait un renouvellement, les versions les plus convaincantes datant d’avant notre siècle. Avec de vraies vedettes : Luciano Pavarotti par deux fois, en 1969, avec Renata Scotto et Ruggero Raimondi à Rome sous la baguette de Gianandrea Gavazzeni (Memories), puis en 1996, avec June Anderson et Samuel Ramey au Metropolitan, sous la direction de James Levine (Decca) ; Placido Domingo en 1971, avec Christina Deutekom et Ruggero Raimondi à nouveau, avec le Royal Philharmonic Orchestra mené par Lamberto Gardelli (Philips), et aussi José Carreras en 1976 avec Sylvia Sass et Nicola Ghiuselev, toujours à Londres avec Gardelli (SRO). En vidéo, le même Carreras brillera en 1984, avec Ghena Dimitrova, et les forces chorales et orchestrales de la Scala de Milan, sous la direction de Gavazzeni (NVC Arts).

C’est donc avec un grand intérêt que l’on attendait cette nouvelle gravure, une version de concert à Munich, le 23 avril 2023 ; un petit nombre de photographies de la soirée, en noir et blanc, sont insérées dans la notice. Mais on déchante assez vite, car Ivan Repušić n’anime cette histoire de violence et de drames successifs qu’avec une ardeur relative, qui fait traîner l’action. Pas de fulgurances, une noblesse souvent absente, du dynamisme en demi-teinte. Heureusement, il y a bien plus qu’un lot de consolation dans cette mise en place qui manque de relief, c’est la prestation des chœurs des Bayerischen Rundfunks, préparés avec soin et précision par Stellario Fagone, un spécialiste de Verdi. Chaque intervention chorale est un vrai régal, notamment celle des Ambassadeurs à la cour d’Antioche, qui ouvre l’Acte II, celui, plein de solennité, des croisés et des pèlerins au III, et surtout, à l’Acte IV, « O Signore, dal tetto natio », avec son élan patriotique, qui plut beaucoup lors de la création. Ces ensembles sont les points forts de l’album.

Car le plateau vocal, de son côté, est inégal et ne risque pas de faire vaciller les prestations des illustres voix que nous avons citées. On accordera les meilleures notes au ténor italien Piero Pretti, qui campe un Oronte crédible, aux aigus éclatants, et à l’autre ténor, le Mexicain Galeano Salas en Arvino. Michele Pertusi est Pagano, vindicatif à souhait, mais aussi sincère repenti. Cette basse italienne, qui a une carrière verdienne déjà bien fournie, est valeureuse. Les autres rôles sont tenus de façon honorable. Mais la déception est vive du côté de la soprano géorgienne Nino Machaidze, en forme moyenne. Sa Giselda, aux aigus qui ne sont pas toujours soutenus et au charisme relatif, dégage peu d’émotion et son vibrato est vraiment envahissant. Ceux qui possèdent les versions anciennes y retourneront en priorité. Une gravure moderne de référence d’I Lombardi est toujours à venir. 

Son : 8  Notice : 7  Répertoire : 9  Interprétation : 6

Jean Lacroix 

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