Luthiers et Archetiers

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Les grands luthiers de l'histoire
Certains luthiers sont restés célèbres pour avoir laissé une importante production couronnée de succès, soit durant leur vie, soit après une période d'oubli. Ils pourraient être nombreux à figurer sur cette liste tant il y a de chefs-d'oeuvre. Mais le temps et les modes ont eu leurs favoris.

Etiquette de Stradivarius

La famille AMATI est illustre pour avoir sorti le violon de l'ombre (grâce à Andrea) et l'avoir amené à la première place dans la perfection de ses courbes, pour un certain style de sonorité, et dans la qualité du travail (Nicolo -1596-1684).
Celui-ci influença le grand luthier allemand: Jacob STAINER (1621-1683). Lui-même devint la référence pour nombre de luthiers. Ce sont ses instruments que voulait entendre J.S. Bach. Son travail est le reflet d'une main sûre et d'un oeil exquis. Sa conception architecturale correspond à l'esthétique sonore de l'époque. Imitée par KLOTZ ou WIOHALM dans les pays germaniques, elle sera dépassée par l'incontestable
Antonio STRADIVARI (1644?-1737), l'un des nombreux élèves d'Amati. Chercheur insatiable, il crée les instruments des grandes cours d'Europe d'alors, tant sa célébrité est grande (déjà!). Il vécu jusqu'à un âge avancé et forma des luthiers de grand talent qui font la gloire de la lutherie italienne: Carlo BERGONZI, Gianbatista GUADAGNINI.... Le bois très choisi, le vernis de Crémone, la perfection du travail et de la conception globale de la plupart de ses instruments justifient sa réputation. Celle de Giuseppe GUARNERI DEL GESU (1698-1744) ne se répand que quelques décennies après sa mort, grâce notamment à Paganini qui fut son ambassadeur, révolutionnant la technique du violon avec son compagnon construit en 1742 "il canone". L'esprit de la construction del Gesu, fort différent du reste de la famille (Andrea et Giuseppe de Crémone, Petro de Mantoue et Petro de Venise) correspond au son que réclament les salles de concerts et la musique du XIXe. La petite quantité d'instruments de ce maître, qui s'attachait moins au détail dans l'objet, sont réputés pour avoir une puissance et une "pâte" sonore hors du commun. D'ailleurs, lui et Stradivari seront les inspirateurs des grands luthiers français du XIXe.
Nicolas LUPOT (1758-1824), "Le" Maître Français à l'origine des modifications ultimes du quatuor à cordes, redécouvre Stradivari et jette les bases d'une lutherie française très brillante avec GAND, BERNARDEL, CHANOT, et la plus prolixe: Jean-Baptiste VUILLAUME (1798-1875). Inventeur, meneur d'hommes dans son métier, commerçant hors pair, il brille dans tous les domaines du métier. Sa production d'instruments et d'archets est énorme et régulière dans la qualité, car elle s'entoure des plus grandes mains de l'époque.
Pierre Caradot
Luthier à Paris

Les matériaux du luthier

Tout luthier aime son vernis...

Si le pernambouc recherché pour la fabrication d'archets devient de plus en plus rare, le sapin et l'érable, bois servant à la fabrication d'instruments à cordes, sont certes plus courants. Mais il n'en reste pas moins que le choix d'un bon matériau reste difficile et très exigeant. Deux espèces principales entrent donc dans la confection d'un violon: l'épicéa et l'érable sycomore. L'épicéa qui servira à la table vient d'un pays plutôt froid et aura poussé en altitude. L'érable sert pour le fond, les éclisses et le manche. Il vient généralement de l'Europe de l'Est. Ces arbres sont abattus en hiver, lorsque la sève s'est retirée vers les racines. Les luthiers d'autrefois préparaient eux-mêmes leur bois mais ce travail est confié aujourd'hui à un technicien spécialisé qui choisit et débite le bois selon les attentes du luthier. Des accessoires comme la touche, les chevilles, le cordier et le bouton n'ont pas d'influence sur la sonorité et sont fabriqués, en ébène surtout, mais aussi en buis ou en palissandre, essences plus chaudes et plus belles.
Les parties de l'instrument sont enfin prêtes à être assemblées. Pour ce faire, une colle -dite de Cologne- qui a la particularité de céder lors de restaurations éventuelles, reste d'usage. Vient enfin le vernissage. De nombreuses couches seront nécessaires. Ici encore, chaque époque et chaque région ont leurs traditions et leurs vernis. Les vernis à alcool sont apparus en dernier lieu. Tout luthier aime "son" vernis, il l'a cherché et composé lui-même. Pour beaucoup de profanes, sensibles à une légende tenace, le vernis est d'une importance capitale pour la sonorité d'un instrument. Musiciens autant que luthiers laissent dire. Mais il est vrai qu'un mauvais vernis, mal appliqué, peut devenir un carcan pour le violon et qu'un bon vernis n'améliorera jamais un mauvais instrument. Les prétendus "secrets" de la lutherie sont et resteront les qualités professionnelles du maître-luthier, toujours en recherche.
Jean Strick
Luthier à Bruxelles

L'atelier du luthier
Le profane rêve facilement dès qu'on lui parle d'un luthier. Lui arrive-t-il d'entrer dans son atelier, il est conforté dans ses impressions: des sons particuliers, les notes claires d'un violon que l' on accorde ou qu'un musicien impatient est venu faire vibrer pour la première fois. En même temps, des bruits de gouges qui travaillent, des rabots sur une "table" qu'on ébauche. Puis l'odeur caractéristique du bois sec, mélangée à celle de la colle qui mijote dans un pot chauffé au bain-marie. Il remarque alors l'établi, un outillage très sophistiqué -"le même depuis des siècles..." lui confie l'artisan souriant qui l'a accueilli. Ce luthier allait "détabler" un violon: "Ce n'est pas un violon d' hier, remarque-t-il, c'est un très bel instrument ancien; il a eu la malchance d'être délaissé, malmené pendant des générations". On attend du luthier qu'il lui redonne une vie nouvelle, le revalorise, tout en respectant la personnalité de son créateur. Un bruit sec: la "table" du violon à restaurer vient de se soulever. Voilà le patient travail de restauration commencé.
Tel est le métier enthousiasmant et délicat du luthier: à la fois entretenir un riche patrimoine ancien, dense et extraordinairement varié puis, fort de ces rencontres toujours nouvelles, créer en même temps de nouveaux instruments. C'est une recherche jamais achevée. Le luthier se veut tout aussi attentif que son ancêtre du 17e siècle à l'attente du musicien, au contexte culturel de ce temps-là comme à ce que vivent et souhaitent les interprètes d'aujourd'hui, et tout évolue, progresse, change continuellement.
Jean Strick
Luthier à Bruxelles

 

L'atelier de l'archetier
C'est seulement à la moitié du XVIIIe siècle que naît l'atelier d'archeterie. Jusqu'alors, le luthier fabriquait tant l'archet, un élément alors moins important, que les instruments à cordes.
La musique évolue, tout comme la technique des instruments. Dans une sonate ou un concerto, on demande à l'interprète plus de virtuosité. Tout cela amène les facteurs à progresser pour répondre ainsi aux exigences nouvelles. La musique baroque se jouait avec un archet cambré en forme d'arc. Il n'en sera plus de même par après; un sautillé, un staccato, un sforzando, vont exiger des archets plus performants. Pour maintenir une pression constante sur les cordes, la cambrure va s'inverser, un nouveau type de talon va permettre une tension plus précise attendue d'un archet plus docile, capable de surmonter les difficultés nouvelles et d'obtenir des sonorités plus riches et profondes. Voici donc l'archetier et son savoir-faire sollicités.
Naissent alors de nouveaux archets aux formes les plus galbées, avec des talons finement ornés, raffinés comme de précieux bijoux.
Ainsi l'archeterie acquiert-elle ses lettres de noblesse. Elle aura ses maîtres: Tourte (1750-1835), Peccatte (1810-1874), Voirin (1833-1885), Sartory (1871-1946) et bien d'autres.

Entrons chez l'archetier. Sur son établi, on retrouve le même outillage qu'autrefois. Les rabots à semelles plates rangés à côté de ciseaux, de bédanes et autres limes. Une lampe à alcool brûle, l'artisan en chauffe le bois déjà raboté. Lentement, délicatement, la baguette se cambre sous la traction de l'archetier. A côté, le tour mécanique de précision, le nouvel outil moderne, sera nécessaire pour notamment confectionner le bouton; il sera aussi fort utile pour les délicates restaurations d'archets anciens.
Le seul bois utilisé est le pernambouc trouvé au Brésil. Très rare aujourd'hui, en trouver du beau, de qualité et sans défaut, est devenu une obsession pour l'archetier. La moindre petite gerce est fatale vu les tractions importantes que va subir la baguette .
Le talon est le plus souvent d'ébène. Certains musiciens apprécient l'ivoire ou, mieux encore, l'écaille de tortue. Cette hausse est montée ensuite de différents métaux: le maillechort pour les archets ordinaires, l'argent ou même l'or pour les plus beaux specimens. L'archetier devient orfèvre.
Reste la mèche que va tendre l'archet Les meilleurs crins de chevaux viennent des pays froids (Chine, Canada, Pays de l'Est). Le musicien est toujours très attentif à leur qualité, tout comme au travail et au soin que prend son archetier à la fixer. Là encore, c'est l'aboutissement d'un long dialogue où interprète et artisan se découvrent une fois de plus leur mutuelle connivence.
Pierre Guillaume
Archetier à Bruxelles

Une tête d'alto Stradivarius décorée

La sonorité et son histoire
On divise habituellement l'histoire de la lutherie en trois périodes: baroque, classique et, à partir du XIXe siècle, la période moderne. Chaque époque a recherché une sonorité propre et c'est en fonction de cette sonorité particulière que les luthiers ont fabriqué leurs instruments.
C'est à la période baroque que les critères de sonorité furent les moins définis. Le violon est alors un instrument nouveau et, dans chaque pays, voire même chaque ville, compositeurs et interprètes recherchent une sonorité caractéristique. C'est ainsi qu'aujourd'hui, lors d'expertises, il importe de reconnaître le type et la technique particulière de fabrication de l'instrument.
Avec l'époque moderne apparaîtra une grande uniformité dans la lutherie, notamment à cause de l' exigence de virtuosité attendue des violonistes. Ainsi, les voûtes d'un instrument deviennent plus plates, les dimensions du coffre se limitent. Et on constate alors que le modèle Stradivarius datant de plus d'un siècle, répond aux critères demandés. Aussi le "luthier de Crémone" devient-il le maître des luthiers!
D'autre part, la matière et la fabrication des cordes a très fortement évolué, plus que tous les autres éléments de la lutherie au long de son histoire. Le boyau était la matière classique connue depuis toujours, et voici qu'apparaissent l'acier et le nylon. Ce qui provoqua encore immanquablement de nouvelles recherches, très poussées chez les luthiers et en laboratoires acoustiques. Ici aussi, le timbre d' un violon reste un sujet de recherche.
Jean Strick
Luthier à Bruxelles

A la recherche du son
Rien n'est plus subjectif que de déterminer la qualité de son d'un instrument, et c'est lorsqu'il s'agit d'évoquer avec des mots telle qualité, tel défaut d'un instrument, que l'on s'aperçoit que nous sommes désarmés. Nous pouvons cependant tirer à grands traits les qualités d'un bon instrument. S'il est certain que le musicien imprime sa "pâte sonore" à l'instrument, ce dernier, par ses qualités, doit répondre au désir de l'interprète.
Au premier contact de l'archet, l'instrument doit offrir un réponse facile, immédiate, aussi bien dans les nuances forte que piano, et ce, sur toute la longueur du manche, dans toute l'étendue de sa tessiture. Il doit avoir une émission directe et pure, avec le moins de bruit parasite possible. Sur les quatre cordes, nous recherchons une bonne égalité de rendement sonore, un bon équilibre entre mediums, graves et aigus.
Il est déjà bien plus délicat et subjectif d'apprécier directement la puissance et le timbre d'un instrument. Un essai dans l'espace d'une salle semble souvent nécessaire pour juger de la portée d'un violon.
Le timbre fait toute la personnalité d'un instrument; sa couleur, sa profondeur, sont autant de critères donnés par la richesse en harmoniques, mais aussi par la main même du musicien et son archet. La difficulté pour l'instrumentiste, dans le choix de la sonorité, réside dans le fait qu'il ne perçoit pas le son de son instrument comme l'auditeur, tout comme le chanteur sa voix. Il est des défauts sous l'oreille qui s'oublient dans la salle, et même, qui viennent, faisant partie de l'édifice sonore, enrichir au contraire le résultat.
De plus, il semble bien difficile aujourd'hui de faire son propre choix de sonorité. En effet, la reproduction musicale à grande échelle des oeuvres et leurs interprétations, véhicule des modèles de sonorité, et par là, qu'on le veuille ou non, impose une "sonorité idéale moyenne" à nos oreilles. Ceci se ressent lors du choix de l'instrument et, au-delà, sur l'originalité même de l'interprétation. Oser le choix du son, c'est reconnaître l'individualité de l'instrument, c'est reconnaître sa propre individualité. C'est dans ce jeu de miroir que se construit le couple musicien-instrument. On comprend alors toute la force du lien affectif qui se noue de l'instrument au musicien.
Par son travail, le luthier aura à concilier l'imperfection latente, inhérente à chaque instrument, avec l'idéal désiré par le musicien. Lors d'un réglage de sonorité, le luthier dépasse largement l'objectivité de son acte, il agit dans une certaine mesure sur ce lien affectif si important pour le musicien. Il est néanmoins des diagnostics objectifs que le musicien peut faire: décollage, affaiblissement du chevalet... Le luthier conseillera le choix des cordes, reconnaître les défauts de réglage, avisera son client de l'évolution de son instrument et des actes plus ou moins importants à envisager.
Une autre dimension est aussi à prendre en compte: le bien-être, la joie que l'on éprouve à côtoyer son instrument, la facilité qu'on a à le jouer. Des choses simples: le confort du manche, de la mentonnière pour le violon, mais aussi, plus importante, l'esthétique de l'instrument sont autant de paramètres liés au plaisir que le musicien aura à jouer, plaisir qui libère le son.
Le son, devenu musical, est précieux parce qu'insaisissable, à la mesure du temps qui passe. Est-ce pour cela que nos violons traversent les siècles? Comme s'ils étaient des mémoires de notre passé, comme pour conserver de lointains échos, fantômes de sons que nos oreilles ont oubliés? Non! bien au contraire! Riches d'une longue histoire, ou tout juste nés des mains du luthier, l'instrument vit dans le son à naître.
François Varcin
Luthier - Art & Son, Paris

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