Mise en place ou mise en scène ? Mais quelle belle réalisation musicale !

par

Nicolas Alaimo, Patricia Ciofi et Gregory Kunde

Luisa Miller de Giuseppe Verdi
En ces temps de dictature du metteur en scène, cette production ravira ceux qui veulent tout simplement suivre une histoire. Comme l’écrit Jean-Claude Fall dans sa note de mise en scène : "J'ai essayé de raconter ce que me racontait la musique» Il insiste sur la relation hommes-femmes dans une société patriarcale, sur l'opposition entre les classes sociales, et sur les complots politiques, tous éléments présents dans le drame initial de Schiller. Nous sommes loin ici du "Regietheater" cher à l'Opera Vlaanderen, ou des relectures intellectuelles prisées par La Monnaie. Le mélomane belge, bien chanceux, a le choix entre trois maisons d'opéra, et trois approches du répertoire. À Liège, place donc à la tradition. Les thèmes relatés par le livret se voient illustrés de manière claire et directe, épaulés par les lumières de Martine André et les costumes des ateliers de l'ORW. Tout est mis en place pour une représentation "normale". La dramaturgie des airs dépend du talent d'acteur du soliste, et les ensembles se déroulent devant la rampe, comme au bon vieux temps. Mais cela fonctionne très bien. L'émotion était présente, et plus d'un spectateur s’est senti pris à la gorge lors du dernier tableau. Le but était atteint, même sans vraie mise en scène. L'attention pouvait dès lors se porter au maximum sur la qualité musicale d'une interprétation magnifique, portée par trois chanteurs exceptionnels. Patrizia Ciofi, au zénith de sa gloire et présente sur toutes les scènes du monde, s'est surpassée par la finesse de son chant et l'intelligence de son incarnation. Quant à Gregory Kunde, ténor illustre et tout aussi actif actuellement, il a ravi par son insolence vocale, malgré un curieux changement de registre au milieu de son grand air Quando le sere al placido. Grâce à ces deux stars, le deuxième acte a atteint les plus hauts sommets de beauté vocale. Si l'on ajoute la remarquable performance de Nicola Alaimo en Miller, qui allie puissance et tendresse, et nous gratifia d'un moment de grâce lors du duo avec sa fille à l'acte III, nous avions un trio de solistes de toute première qualité. Avec son beau grave, Christine Melis a extrait le maximum du rôle sacrifié de Federica (mais pourquoi Verdi n'a-t-il pas développé ce personnage ?) Immanquables, les deux basses scélérates du comte Walter (Luciano Montanaro) et de Wurm, son âme damnée, à la présence terrifiante (Balint Szabo), ont eu leur petit succès, surtout dans le redoutable duo "L'alto retaggio". Galvanisés par tant de succès vocaux, choeurs et orchestre, dirigés par Massimo Zanetti, ont donné le meilleur d'eux-même dans ce qui restera une des meilleures réalisations de l'ORW au cours de la présente saison. Bémol cependant : le programme de salle omet de nouveau les biographies des artistes.
Bruno Peeters
Liège, Opéra Royal de Wallonie, le 7 décembre 2014

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