Mozart, suite d’une intégrale concertante en pépinière : trois opus de 1784 au clavier de Claire Huangci

par

Next Generation Mozart Soloists vol.5. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concertos pour piano no 15 en si majeur K. 450, no 16 en ré majeur K. 451, no 17 en sol majeur K. 453. Claire Huangci, piano. Howard Griffiths, Orchestre du Mozarteum de Salzbourg. Mai 2021. Livret en allemand, anglais, français. TT 71’43. Alpha 928

Que Mozart mette en lumière des jeunes solistes de la scène internationale, voici le projet de cette collection publiée par Alpha, qui ambitionne dix-huit albums, principalement dévolus à la baguette d’Howard Griffiths. Après trois parutions consacrées à des opus de jeunesse (no 5 avec Mélodie Zhao, no 6 avec Jeneba Kanneh-Mason, no 8 avec Can Çakmur) le quatrième volume se démarquait des juvenilia en proposant deux grands concertos (23 & 24) avec l'excellent Julian Trevelyan accompagné par nul moins que Christian Zacharias.

Un pas en arrière dans la chronologie mozartienne, avec le présent disque qui se focalise sur une année particulièrement fructueuse. Voilà quelque cinq décennies, Peter Serkin et Alexander Schneider s’illustraient pour RCA dans un coffret de trois vinyles rassemblant les six concertos datés de 1784. En voici la moitié, écrits à Vienne entre le 15 mars et le 12 avril. La parure instrumentale s'étoffe : flûte, hautbois, bassons et cors par deux dans le K. 450, auxquelles s'ajoutent trompettes et timbales dans le K. 451. Deux opus qui, selon une lettre du compositeur à son père le 24 mai, s’avèrent d’une exécution ardue : « je pense que ce sont deux concertos qui font transpirer mais celui en si bémol surclasse l'autre en ré pour sa difficulté ». Le style se complexifie, endosse un caractère plus symphonique et dramatique, parfois traversé des humeurs du théâtre, comme les futures créations de la maturité, quand ils ne reflète pas des muses surprenantes : ainsi l’Allegretto qui conclut le no 17, dont la mélodie, selon une célèbre anecdote, égayait le gosier du chardonneret apprivoisé de Mozart !

Dans un CD enregistré à ses débuts (Berlin Classics novembre 2012), l’impétrante américaine séduisait par un singulier programme voué aux ballets de Tchaïkovsky et Prokofiev. Mozart est « le premier compositeur dont j'ai vraiment aimé la musique quand j'ai commencé à apprendre le piano » confie-t-elle toutefois dans le livret. Elle nous propose ici une interprétation méthodiquement articulée, même si dans les Allegros du K. 450 elle ne retrouve pas la chantante fluidité d'un aîné comme Murray Perahia (CBS). Une sonorité dense et perlée mais aussi transparente et colorée qui, chez les dames d’hier n’est pas sans rappeler Ingrid Haebler (à Londres avec Colin Davis, Philips), habille des accents adroits et des phrasés mûris même s'ils ne sont pas débordés par l'imagination (inoubliables facéties d’un Arthur Rubinstein dans le Finale du K. 453 !). Au sein de cette stricte exploration des partitions, les cadences restent ainsi scrupuleusement observées, sans veine d'improvisation pour l’Andante du K. 451, où Wolfgang laissait pourtant les doigts courir en variations, selon des témoignages de l’époque.

À des virtuoses telles que Claire Huangci, auxquelles ne manquerait que l’inimitable chic d’une Lili Kraus (1903-1986), aurait-il fallu un accompagnement plus inspirant ? Malgré les sveltes tempos impulsés par Howard Griffiths, malgré des archets qui essorent le vibrato, et malgré un esprit qui ne fait pas défaut (génie du lieu…), l'orchestre du Mozarteum n'abdique pas tout embonpoint, si on compare à la souple trame du vétéran Sándor Végh avec sa Camerata salzbourgeoise (Decca, avec András Schiff). Allez savoir ce qu’est la grâce, plus aisée à sentir qu’à décrire ! La mécanique mozartienne mène cependant grand train, au sein de cet album admirable sous tout autre aspect que la finesse ou la fraîcheur : ces indicibles vertus qui nous enchantent dans les témoignages de Christian Zacharias (no 16, avec Neville Marriner, Emi), Maria João Pires (no 17, avec Theodor Guschlbauer, Erato) ou, coup de cœur personnel pour le no 15… Leonard Bernstein dirigeant du clavier le Wiener Philharmoniker (Decca).

Son : 8 – Livret : 7 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8

Christophe Steyne

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