Première mondiale de la version originale de Cavalleria rusticana

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Pietro Mascagni (1863-1945) : Cavalleria rusticana, opéra en un acte. Carolina López Moreno (Santuzza), Giorgio Berrugi (Turiddu), Elisabetta Fiorillo (Lucia), Domen Križaj (Alfio), Eva Zaïcik (Lola) ; Chœur et Orchestre Balthasar Neumann, direction Thomas Hengelbrock. 2022. Notice en anglais et en allemand. Livret complet en italien, avec traduction anglaise. 74’ 41’’. Prospero PROSP0088. 

Né à Livourne, Pietro Mascagni arrive à Milan en 1882, nanti d’une bourse, pour étudier au Conservatoire de Milan avec Amilcare Ponchielli, dont La Gioconda, d’après Victor Hugo, a connu un grand succès en 1876. Il partage sa chambre avec Giacomo Puccini. Ce dernier lui conseille de participer au deuxième concours d’opéras en un acte, organisé par l’éditeur Edoardo Sonzogno pour jeunes compositeurs. Le premier a eu lieu en 1883, et Puccini, qui a proposé Le Villi, n’a pas été couronné ; la victoire a été attribuée conjointement à Guglielmo Zuelli (1859-1941) et à Luigi Mapelli, (1855-1913), totalement oubliés de nos jours. Mascagni va être plus heureux en 1888 : il remporte le premier prix avec Cavalleria rusticana, qui est créé triomphalement à Rome, au Teatro Costanzi, le 17 mai 1890, et va connaître une rapide carrière internationale. L’ère du vérisme musical, que va confirmer, deux ans plus tard, Pagliacci de Ruggero Leoncavallo est lancée.

L’excellent livret, dont le contenu est bien connu, est signé par Giovanni Targioni-Tozzetti (1863-1934) et Guido Menasci (1867-1925), qui écriront encore pour Mascagni I Rantzau en 1892 et Zanetto en 1896, autre opéra en un acte. Il reprend une pièce du même titre de Giovanni Verga (1840-1922), éminent représentant du vérisme littéraire, influencé par Flaubert et Zola, qui inspirera aussi Luchino Visconti pour son docufiction La Terre tremble en 1948. Les ingrédients du succès sont réunis, d’autant plus que l’inspiration musicale de Mascagni est de premier plan. Mais tout n’est pas simple avant la première. Le compositeur reçoit des conseils divergents quant à la suppression ou au raccourcissement de certains passages, et lors des répétitions, les solistes se plaignent des difficultés que leur impose la tessiture qu’ils estiment trop haute, et les chœurs leur emboîtent le pas, demandant des coupures. Pour la création, Mascagni en tiendra compte, les rôles de Santuzza et de Turiddu étant transposés dans un registre plus grave, et des mesures chorales disparaissant. Le succès rencontré, Cavalleria rusticana a accompli sa brillante carrière avec ces modifications. Jusqu’à la présente interprétation, qui suit l’édition récente de l’originale chez Bärenreiter. Le mélomane découvrira dans la notice l’explication technique des éléments ici réintroduits, notamment la restauration de passages raccourcis dans la séquence Brindisi avant le final, ou la tessiture originale dans la scène de l’église, plus haute d’un ton, ce qui lui confère plus d’éclat.    

Le présent album est le reflet de la version de concert donnée au Festspielhaus de Baden-Baden au début du mois de novembre 2022. Avec un excellent plateau vocal. Le ténor Giorgio Berrugi (°1977), qui a étudié la clarinette (il a fait partie de l’Orchestre symphonique de Rome pendant cinq ans) avant le chant et de faire dans ce domaine une carrière internationale, est un Turiddu solaire. Son rival, Alfio, est confié au baryton slovène établi en Allemagne Domen Križaj (°1989), qui est à la hauteur. La mezzo-soprano Elisabetta Fiorillo (°1957), une spécialiste de Verdi, est Lucia, la mère de Turiddu, rôle qu’elle a déjà endossé ailleurs ; elle y est profondément émouvante. Eva Zaïcik (°1987) qui, rappelons-le, s’est classée deuxième au Concours Reine Elisabeth de chant en 2018, confirme en Lola son talent multiple. Quant à Santuzza, elle est interprétée avec un incontestable brio (salué par la presse allemande) par la soprano d’origine bolivienne et albanaise Carolina López Moreno (°1991), née et formée en Allemagne, que le public belge va pouvoir entendre, fin février-début mars de cette année, à l’Opéra Royal de Wallonie, en Alice Ford dans Falstaff de Verdi. Cette voix racée, riche en expressivité dramatique, en couleurs et en nuances, confirme un talent qui s’épanouit ici pleinement.

Thomas Hengelbrock (°1958), qui s’est investi dans ce projet de restauration, dirige le Chœur et l’Orchestre Balthasar Neumann qu’il a fondés dans la décennie 1990. Il assure à cette histoire tragique la dimension qu’elle demande, celle de la spontanéité et de la ferveur. La montée en tension est palpable et va en grandissant. Cette version originale ravira les amateurs d’opéra, qui connaîtront, grâce à elle, les intentions premières de Mascagni. 

Son : 8,5  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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