Amadis, Aimé de Dieu

par

JOKERJean-Baptiste LULLY
(1632 - 1688)
Amadis
Tragédie lyrique (1684)
Livret de Philippe QUINAULT
Cyril AUVITY (Amadis), Judith VAN WANROIJ (Oriane), Ingrid PERRUCHE (Arcabonne), Edwin CROSSLEY-MERCIER (Arcalaüs), Benoît ARNOULD (Florestan), Bénédicte TAURAN  (Urgande), Hasnaa BENNANI (Corisande), Pierrick BOISSEAU (Alquif, Ardan, Canile, un geôlier, un captif, un berger, un héros), Caroline WEYNANTS (une suivante d'Urgande, une héroïne, une captive, une bergère), Virginie THOMAS (une bergère, une suivante d'Urgande)
Choeur de Chambre de Namur, Les Talens lyriques, Christophe ROUSSET, clavecin et dir.
2014- CD1 42'46-CD2 64'58-CD3- 56'21- présentation et textes en anglais et français-Chanté en français- Harmonia Mundi AP094

Après Persée et Phaëton (1681 et 82), avant ses deux ultimes et grands chefs d'oeuvre Roland (1685) et Armide (1686), Lully revient curieusement, en 1684, à une nouvelle tragédie en musique d'ancien style intitulée Amadis.
Pourquoi ce retour aux émois chevaleresques ? Vieillissement du roi (qui, très souvent, fait le choix du sujet, ici notamment), de l'auteur et de la Cour, rêvant tous d'un fabuleux passé ? On peut le penser, à voir cette mélancolie qui s'installe parallèlement chez nombre d'auteurs : Madame de La Fayette (qu'on surnommait justement « Le Brouillard »), Saint Aignan, Mesdames Deshoulières et de Sévigné ; La Fontaine lui-même, qui veut croire en la (en sa?) jeunesse : «On aime encore comme on aimait jadis» -ce qui rime avec Amadis.
De fait, il y a bien un changement en ces années 1680-90 dans la psychologie générale, dans la culture, la façon de vivre -ce que Paul Hazard appelle superbement «La crise de la conscience européenne»; aux dieux antiques, à l'Olympe, viennent se substituer des fées, des forêts, des chevaliers sans peur et sans reproche. Amadis (Aimé de Dieu) lui-même devient un superlatif : le plus beau, intelligent, courageux, invincible, à l'épée toujours victorieuse et, secondé par la magicienne Urgande, consumé d'amour pour l'inégalable Oriane (Ariane à une lettre près, mais aussi Orient où le soleil renaît chaque matin)...
Cette «tragédie lyrique » dont les airs se gravent vite dans l'esprit (Madame de Sévigné le rappelle à plusieurs reprises dans sa correspondance!) indique que, Lully tout autant, a pris plaisir à l'écrire : répliques et tirades -telles que les a polies Quinault- le prouvent d'évidence : transformation graduelle des sentiments, fabuleuse Chaconne dépassant 300 mesures (Ve acte), tonalités évolutives soulignant les changements intérieurs des personnages, grâce langoureuse ou agilité véhémente des ornements, élégance des phrasés toujours variés et pleins de fantaisie dans une rigueur dynamique parfaitement contrôlée, vive, allante ; nombreux duos, trios, ensembles également, qui s'encastrent, se chevauchent, s'interpellent et se fondent avec un brio souverain... Bref, tout ici suscite admiration et émerveillement, abolissant la distance des siècles. Tout ici est supérieurement beau et annonce le futur : les danses (de bergers!) à la fin du IV acte préludent à la «tragédie-ballet»… de Rameau. De l'Amadigi de Haendel à l'Amadis de Massenet en passant par le Chevalier errant de Cervantes, la postérité de ce frère arthurien du Grand Siècle s'avère prolifique. C'est qu'il propose un périple initiatique délicieusement ouvragé qui équivaut à une pérégrination festive dans les jardins royaux.
A pareil chef-d’œuvre, il faut des interprètes remarquables. Disons-le vite : c'est bien le cas ici. Les quelques décalage et distorsions entre orchestre et plateau que l'on avait pu déplorer ici ou là dans certaines des œuvres précédemment dirigées par Christophe Rousset ont complètement disparu (chez Rameau : Castor et Pollux et surtout Zoroastre). Mieux, la prononciation est absolument parfaite (scrupuleux travail, on s'en doute!), tandis que les timbres des instruments sont merveilleusement mis en valeur par une prise de son très fine. Ajoutez une tension dramatique intense qui exalte le beau texte de Quinault. Ajoutez également une émotion profonde, sincère, qui inspire chacun des interprètes dont il faut louer l'ensemble. Ce chef d'oeuvre ressuscité dans son cadre d'origine, Versailles, (bien que la construction de l'Opéra de Gabriel soit plus tardive) trouve ici une incarnation non moins remarquable. Présentation érudite de Jean Duron et superbes illustrations. Oui - comme le chante le grand Chœur final :« Chantons tous en ce jour/ La gloire de l'amour /Ne cessez point d'être constants / Et vous serez contents » !
Bénédicte Palaux Simonnet

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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