Un Idomeneo magistral à l’Opéra de Lille !

par

Patrizia Ciofi (Elettra) © Opéra de Lille

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Ideomeneo
Emmanuelle Haïm, direction - Jean-Yves Ruf, mise en scène – Xavier Ribes, chef de chœur – Le Concert d’Astrée, chœur et orchestre ) Kresimir Spicer (Idomeneo) – Rachel Frenkel (Idamante) – Rosa Feola (Ilia) – Patrizia Ciofi (Elettra) – Edgaras Montvidas (Arbace) – Emiliano Gonzalez Toro (Grand Prêtre) – Bogdan Talos (La Voix)

Décidemment, la région Nord-Pas-de-Calais ne finit plus de nous surprendre. En ce début d’année marqué par des actes barbares et violents, l’Opéra de Lille entame une nouvelle production avec une œuvre redoutable et souvent mal comprise : Idomeneo de Mozart. Pris dans une tempête effroyable, le roi Idoménée jure à Neptune que s’il survit, il sacrifiera le premier humain visible. Pas de chance pour le roi, le premier humain sera son fils, Idamante. Inspiré de plusieurs mythes et tragédies, on y retrouve logiquement Electre, amoureuse du prince Idamante ou Ilia, princesse troyenne emprisonnée en Crète. A côté de ses frères, Idomeneo ne jouit pas de la même reconnaissance qu’un Don Giovanni ou une Flûte enchantée. Et cela se comprend dès la première écoute : œuvre complexe, bouleversante, discours parfois confus et forme très large. De fait, trouver une mise en scène appropriée relève presque de l’impossible. L’opéra est truffé de périodes statiques, de passages douloureux et houleux. Pourtant, Jean-Yves Ruf, qui a signé l’an passé la mise en scène d’Elena de Cavalli, nous revient avec une proposition élégante, sobre et particulièrement épurée. Un rideau métallique, quelques branches d’arbres mortes, des objets antiques, un arbre somptueux et des costumes justes. Derrière une mise en scène moderne, l’auditeur n’est pas face à l’Idomeneo de Ruf, mais bien devant l’Idomeneo de Mozart. Car voilà ce que souhaite souligner Ruf dans son travail : la mise en perspective du texte à travers des gestes et mouvements scéniques simples et libérés de toute vulgarité. Pas besoin de scandale, d’actes barbares ou de représentation sexuelle en tout genre pour le raffinement d’une œuvre. Finalement, c’est une mise en scène solide avec peu de mouvements scéniques, un régal pour les yeux. Sorte d’œuvre identitaire pour Mozart, pourrions-nous un instant envisager que chaque musicien doit trouver sa place ? Si quelques minutes sont nécessaires aux chanteurs pour s’installer, ce sont avant tout des artistes qui vivent une histoire, un moment à travers des lignes mélodiques déjà bien modernes pour un compositeur à peine âgé de 25 ans. Car ici, Mozart pousse l’opéra seria à son paroxysme. Mozart annonce t-il déjà des couleurs et idées romantiques voire post-romantiques ? Du côté des solistes, le chant de Kresimir Spicer (Idomeneo) est à l’image d’un roi fier et robuste. Pourtant son émission est parfois inégale, notamment à la fin de l’œuvre. La mezzo Rachel Frenkel (Idamante) est touchante et vit son personnage avec passion et dévouement, tant musicalement que scéniquement. La très jeune Rosa Feola (Ilia), timide au départ, nous transporte dans son monde bouleversé avec ferveur et expression. Le rôle d’Electre est confié à une Patrizia Ciofi, en forme et d’une violence inouïe. Notons également les très belles interventions  d’Edgaras Montividas (Arbace), Emiliano Gonzalez Toro (Grand Prêtre) et La Voix (Bogdan Talos). Voilà une distribution solide, sensible à l’œuvre. Pour les accompagner, Le Concert d’Astrée, chœur et orchestre, est sous son meilleur jour. Finesse du langage mozartien, compréhension de la forme, cuivres éclatants et justes, archets précis et continuo fluide. Mais notre coup de cœur ira aux nombreux chanteurs du chœur. Quelle belle présence, quel timbre ! Emission parfaite, texte clair, pupitres homogènes, un plaisir. Emanuelle Haïm saisit avec facilité le sens de l’œuvre et se permet plus qu’une lecture en se réappropriant l’œuvre. Elle vit l’œuvre, le moment présent et insuffle à ses musiciens une certaine fluidité. Chaque acteur participe à l’élaboration d’un projet esthétique redoutable. Tout est juste, limpide et, oserions-nous, logique et pertinent ? Se lancer dans une telle œuvre est un pari osé, relevé ici avec brio grâce à des moyens conséquents. A découvrir si ce n’est déjà fait.
Ayrton Desimpelaere
Lille, Opéra, le 29 janvier 2015

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