Première discographique pour l’opéra Janek de Wladislaw Żeleński
Wladyslaw Żeleński (1837-1921) : Janek, opéra en deux actes. Małgorzata Grzegorzewicz-Rodek (Bronka), Agnieszka Kuk (Marynka), Lukasz Gaj (Janek), Pawel Trojak (Stach), Darius Górski (Marek) ; Chœur de femmes de la Philharmonie Henryk Wieniawski de Lublin ; Ensemble vocal masculin I Signori ; Orchestre Philharmonique Henryk Wieniawski de Lublin, direction Wojciech Rodek. 2021. Notice en anglais. 89.25. Un album de deux CD Naxos 8. 660521-22.
S’il n’est pas négligé par des labels comme l’Institut Frédéric Chopin de Varsovie ou Acte Préalable, qui ont donné accès à sa musique concertante, à ses pages de musique de chambre, à ses mélodies ou à ses pièces pour piano, un DVD de son opéra Goplana de 1896 étant même disponible depuis 2021, le compositeur et pédagogue polonais Wladislaw Żeleński demeure un méconnu chez nous. On saluera donc avec intérêt la publication par Naxos, en première mondiale, d’un autre opéra, Janek, créé à l’occasion de l’ouverture du Théâtre municipal de Lviv, le 4 octobre 1900.
Né près de Cracovie, le jeune Wladyslaw, fils d’un officier pianiste amateur, voit son enfance marquée par un événement tragique : il est âgé de neuf ans lorsque son père est assassiné lors d’une révolte de paysans locaux. Sa mère part avec lui pour Cracovie : il y étudie le violon, le piano et la composition. Mais sa formation ne se limite pas à la musique : à Prague, il se voue à la philosophie, tout en perfectionnant le piano, et s’adonne à l’orgue. On le retrouve à Paris en 1866, au Conservatoire, auprès de Henri Reber, un élève de Reicha et de Le Sueur, et de Berthold Jacques Damcke, formé par Ferdinand Ries. Rentré en Pologne, il est d’abord enseignant à Varsovie, puis s’installe à Cracovie où il fonde en 1881 le Conservatoire dont il assumera la direction jusqu’à sa disparition. Il laisse un catalogue varié d’où émerge une page célèbre : l’ouverture Dans les Tatras (1857), notamment gravée avec ardeur par Grzegorz Nowak à la tête de la Sinfonia Varsovia (Accord, 1995).
C’est aussi dans les Tatras, cette chaîne des Carpates aux sommets vertigineux, frontière naturelle entre la Slovaquie et la Pologne, que se déroule une intrigue qui se résume en quelques lignes. Dans un paysage de rochers et de forêts, Janek, le chef blessé des montagnards locaux, sauvé par Stach et Marek, est soigné par Bronka. L’amour naît vite entre eux, mais Bronka est convoitée par un autre montagnard, Stach, et Janek est fiancé à Marynka. Après quelques péripéties, dont la célébration d’une fête pour le retour de Janek, ce dernier sera tué, laissant Bronka et Marynka dans le désespoir. Le livret est de la main de Ludomil German (1851-1920), dramaturge et critique littéraire polonais, qui a fait aussi une importante carrière politique ; German avait déjà été sollicité pour l’écriture du livret de Goplana, un drame historique. Les mélomanes qui pratiquent le polonais trouveront le texte du livret en langue originale sur le site du label Naxos, les autres se contenteront du résumé en anglais, plus détaillé que notre présentation, dans la notice.
Żeleński est un compositeur dans la tradition romantique, nullement intéressé par les évolutions stylistiques, mais attiré par le vérisme italien de Leoncavallo et Mascagni. Janek aurait été inspiré par l’ambiance de Cavalleria rusticana, qui date de 1890, et dont le succès s’était étendu dans toute l’Europe. Le héros éponyme donne la couleur locale, et la vie des montagnards est illustrée par des airs de musique traditionnelle. Le vérisme italien des villages est transplanté dans les forêts polonaises. Ce qui donne en fin de compte une partition des plus agréables, orchestrée avec de jolies couleurs bucoliques et des nuances dramatiques, dès l’Ouverture (un peu plus de neuf minutes) qui installe le décor dans lequel Janek, blessé, va être soigné par Bronka. La narration musicale coule de source dans une atmosphère marquée du sceau du XIXe siècle.
Le plateau vocal est de qualité. Le ténor Lukasz Gal, formé à Katowice, est un vaillant Janek, capable de nobles envolées et d’expression de sentiments amoureux. La soprano Malgorzata Grzegorzewicz-Rodek, qui a étudié à Wroclaw, mais aussi au Studio de l’Opéra des Flandres, a une voix fraîche et lumineuse. Elle est touchante dans le rôle de Bronka. Sa rivale pour gagner le cœur de Janek est la soprano Agnieszka Kuk, une habituée du bel canto, qui a aussi chanté le rôle d’Elisabeth dans Tannhäuser. Elle est une Marynka convaincante qui, par déception, entraînera la fin tragique de celui qu’elle aime. Le baryton Pawel Trojak, dans le rôle de Stach, et la basse Dariusz Górski, dans celui de Marek, sont à la hauteur des attentes, ainsi que les deux montagnards épisodiques, incarnés par le ténor Dawid Jarzab et la basse Mateusz Slonina. Une distribution équilibrée et engagée, logiquement en phase avec la langue polonaise : elle fait apprécier les beaux airs d’une partition que l’on découvre avec curiosité, puis avec plaisir, sans prise de tête.
Les chœurs, féminins et masculins, ainsi que la Philharmonie Henryk Wieniawski de Lublin, formation fondée en Pologne dès décembre 1944 (Philippe Herreweghe, Antoni Wit ou Krzysztof Penderecki l’ont conduite), sont menés de main de maître par Wojciech Rodek (°1977), avec les couleurs locales indispensables et la mise en évidence d’une action qui avance. Cette gravure effectuée du 20 au 22 octobre 2021 est une intéressante découverte, qui permet d’approfondir le si riche patrimoine musical polonais.
Son : 8,5 Notice : 10 Répertoire : 8 Interprétation : 9
Jean Lacroix