Ces odes à la joie de Connesson qui illuminent la création contemporaine

par

Guillaume CONNESSON
(° 1970)
« Pour sortir au jour », « Flammenschrift », « Maslenitsa », « E chiaro nella valle il fiume appare »

Mathieu Dufour, flûte, Brussels Philharmonic, dir. Stéphane Denève
2016-52'08''-Textes de présentation en français et anglais-DG 4812711

A lire l’intitulé de ce disque intégralement dédié à Guillaume Connesson, l’on pourrait a priori penser que celui-ci nous convie à un fastidieux pèlerinage à travers les brumes aux côtés des âmes en peine de l’Egypte ancienne. C’est en effet le Livre des Morts de l’Egypte antique, recueil de prières destiné à accompagner les défunts lors de leur voyage dans l’Au-Delà, qui prête son nom au concerto pour flûte du compositeur français. Si c’est bien un périple en clair-obscur qu’entend ici retracer Connesson, l’issue paradisiaque y est suggérée avec conviction tout au long de la partition, où s’imposent d’ailleurs quelques pas de danse. Dieu(x) merci, Sortir au jour n’est donc pas une œuvre pseudo-romantique imprégnée d’un mysticisme nauséabond. Si l’instrumentarium que retient Connesson dans cette œuvre en appelle vaguement à l’Antiquité (deux hautbois et une trompette figurent les Aulos, les deux harpes et la percussion ainsi que quatre altos soli suggèrent les sonorités des orgues hydrauliques), les effets faciles sont soigneusement évités pour céder la place à un climat quasi impressionniste; un tissu orchestral chatoyant confère aux arabesques de la flûte l’éclat d’un diamant exposé à la lumière lunaire. Les trois autres pages pour orchestre présentes sur ce disque rendent chacune hommage à un pays et à une culture chers au compositeur. Mû pratiquement de bout en bout par une force tellurique peu commune, Flammenschrift, glorifie la musique germanique; véritable « air de furie » hésitant sans cesse entre drame et exaltation, l’œuvre dresse, selon son auteur, un portrait psychologique de Beethoven, que les images d’Epinal nous dépeignent si souvent comme impétueux et bouillonnant. Sans dédaigner quelques clins d’œil à l’écriture de Brahms ou de Richard Strauss, Connesson use dans cette « Lettre de feu » de la même nomenclature instrumentale que la Cinquième Symphonie du maître de Bonn et opte pour des schémas rythmiques évoquant plusieurs œuvres de ce dernier. E chiaro nella valle il fiume appare célèbre la beauté de la nature italienne, « le calme et le lyrisme de cette nature qui renaît et resplendit après un orage » (Connesson); tout à la fois élégante et mystérieuse, l’œuvre – dont le titre est tiré d’un poème de Giacomo Leopardi – traduit les vagues d’ombre et de lumière dans lesquelles baignent les paysages transalpins. Portrait d’une Russie ancienne rêvée par un Français, colorée et débridée, Maslenitsa, enfin, s’inspire d’une fête folklorique russe célébrée une semaine avant le Grand Carême orthodoxe, au terme de laquelle une mascotte, Dame Maslenitsa, est jetée dans un feu de joie.
Hugo Wolf estimait qu’on reconnaissait la grandeur d’un compositeur à sa capacité de jubilation. Si tel est le cas, alors vraiment, quel grand musicien que Connesson ! Car c’est bien la joie sous toutes ses formes (pure et simple ou, au contraire, céleste et exaltée) qui caractérise le climat des œuvres qui nous sont partagées en l’occurrence. A vrai dire, le contenu programmatique révélé par le compositeur n’y apporte pas grand-chose. On s’en serait passé d’autant plus volontiers qu’il est susceptible d’induire en erreur l’auditeur qui penserait trouver dans ces pages des réminiscences mélodiques de Beethoven, de Brahms, de Strauss, de Respighi, ou encore du Groupe des Cinq. Contrairement à ce que ces programmes pourraient donner à penser, Connesson ne s’est « travesti » ni dans les tableaux épiques ou orgiaques que sont, respectivement, Flammenschrift et Maslenitsa, ni dans le poème élégiaque E chiaro; on ne peut que le féliciter d’avoir conjuré la tentation descriptive et les artifices à deux sous, qui auraient condamné ces œuvres à une momification certaine. Certes, Connesson n’est ni Dusapin, ni Mantovani; si une révolution lui tient à cœur, ce n’est pas tant celle du langage musical que celle de l’astre solaire dont il admire la course universelle et le flamboiement. Il est de ceux qui, tels Karol Beffa, Thierry Escaisch et Richard Dubugnon, opèrent, sans en rougir, un « retour à »: tonalité et modalité s’épousent avec bonheur dans ses œuvres, qui rappelleront à d’aucuns Roussel ou Debussy bien plus certainement que le romantisme germanique ou l’école nationaliste russe. Sa dialectique se veut transparente; son langage, immédiatement accessible, prend des tournures volontiers spectaculaires et hédonistes, animées par l’esprit de la danse (ce dont témoignaient déjà des pages telles que Night Club, Disco-Toccata ou Techno-Parade). Nous sommes décidément à mille lieues de la musique objective, de l’expérimentalisme et de la spéculation recherchées comme des fins en soi. Lumineux, voire exotiques, les fresques que brosse Connesson ont pour but avoué de toucher l’auditeur. N’est-ce pas Debussy qui clamait que la musique devait « chercher humblement à faire plaisir »? Selon qu’on estime que c’est dans les vieux chaudrons qu’on fait les meilleures soupes ou, au contraire, que l’on ne taille pas de nouveaux costumes avec de vieilles étoffes, les uns s’enticheront de ces pages, là où d’autres n’y verront que des œuvres rétrogrades et les condamneront sans appel à l’oubli. Nous laisserons à d’autres le soin d’apprécier si ces quelques pages méritent de résister à l’épreuve du temps. En attendant, rien n’empêche de les saluer comme de véritables odes à la joie, se distinguant dans le paysage musical contemporain souvent aride par une exquise fraîcheur. Il n’est pas non plus interdit de savourer la parfaite maîtrise de l’orchestration dont fait preuve le compositeur. Pourquoi, dès lors, bouderait-on notre plaisir? D’autant que chacune des quatre œuvres est servie avec tout l’éclat qu’elle réclame par l’un de nos fleurons artistiques, le Brussels Philharmonic, ancré à Flagey, sous la férule de celui qui en assure la direction musicale depuis 2015, Stéphane Denève. Mathieu Dufoir, flûte solo au Berliner Philharmoniker, qui s’est notamment illustré aux côtés de Julia Fischer et de Mitsuko Uchida, ainsi que sous la baguette de chefs d’exception tels que Boulez et Barenboïm, dialogue avec subtilité et finesse avec l’orchestre dans le concerto, sans en faire le terrain d’une lutte fratricide qu’il n’a manifestement pas vocation à devenir. C’est intelligent, et tout simplement beau.
Olivier Vrins

Son 10 - Livret 9 - Répertoire 8 - Interprétation 10

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