Le Bartók inattendu de Cheng Zhang

par

Béla Bartók (1881-1945) : Sonate pour deux pianos et percussions ; Sonate pour pianoEn plein air ; Suite de danses. Cheng Zhang (piano), Tomoki Kitamura (piano), Juris Azurs et Weiqi Bai (percussion). 2020. 71’03. Texte de présentation en anglais. Claves 50-3009

En dépit de sa victoire au Concours Clara Haskil de Vevey en 2011 (où, parmi les lauréats à l’avoir précédé, on relève les noms d’aussi fins musiciens que Christoph Eschenbach, Richard Goode, Michel Dalberto , Steven Osborne, Martin Helmchen, Till Fellner ou son prédécesseur immédiat Adam Laloum), Cheng Zhang reste encore peu connu. Dans le très sincère entretien qui accompagne cette parution sur le label helvétique Claves, le pianiste chinois livre avec beaucoup de sincérité les doutes qu’il éprouva à la suite de cette victoire et finirent par déboucher sur une dépression et à un difficile retour à la normale.

Avant d’aborder les interprétations offertes par ce jeune artiste (et quel plaisir de le voir s’engager en faveur de ce répertoire qu’on rencontrait si régulièrement en récital comme au disque jusqu’il y a une vingtaine d’années, et si injustement négligé aujourd’hui), une remarque est absolument nécessaire quant à la sonorité même de l’enregistrement. De nombreuses écoutes amènent à penser que plutôt que par l’instrument choisi ou par les décisions artistiques de l’interprète, cette dernière s’explique plus que probablement par un choix conscient en faveur d’une image sonore un peu distante, veloutée et assez résonante qui estompe fortement -voire gomme carrément- la netteté des attaques du piano, si essentielles dans ce répertoire.

Tout au long de cet exigeant programme, Cheng Zhang fait preuve d’une souplesse et d’une aisance technique indéniables et signe deux très belles interprétations de la Sonate comme de la Suite En plein air. De la Sonate, il offre une version pleine de caractère avec, dans l’Allegro moderato introductif, une pesanteur bienvenue (très belle main gauche) et un jeu décidé mais sans agressivité. On admire le beau dosage des nuances et la transparence par moments debussyste à laquelle Cheng parvient dans le mouvement lent, avant de conclure sur un Allegro molto où il soutient sans peine la tension et fait aisément ressortir l’aspect ludique et dansant de la musique.

En dépit d’une prise de son malheureusement trop feutrée et floue (la comparaison avec l’interprétation de référence de Stephen Kovacevich -bénéficiant d’une captation analogique Philips de la grande époque- est ici cruelle pour le présent enregistrement), Cheng Zhang se montre un interprète plein de vie et de sensibilité dans En plein air. On admire sa souplesse dans la Barcarolle, et dans Musettes il instaure sans peine une atmosphère très prenante. Il distille magnifiquement l’étrangeté, le mystère et la poésie presque surnaturelle de la Musique nocturne qui est le coeur du cycle, rendue d’un seul jet avec un superbe contrôle de la sonorité et un emploi judicieux de la pédale, avant de terminer sur une Chasse pleine de vie et aux rythmes bien marqués. 

La Suite de danses (une transcription pour piano par Bartók lui-même de son oeuvre orchestrale) convainc moins, Chenz Zhang manquant souvent de légèreté malgré quelques beaux moments, comme dans le Moderato initial aux accents fermes mais sans lourdeur ou l’Allegro molto qui suit, bondissant et aux rythmes enlevés, mais malheureusement surpédalé tout comme le Comodo qui conclut l’oeuvre. Chen Zhang se montre particulièrement à l’aise dans le Molto tranquillo qui sous ses mains sonne plus oriental que d’habitude.

La Sonate pour deux pianos et percussions qui ouvre le programme déçoit. On n’arrive pas à se défaire de l’idée que l’impressionnant naturel et l’aisance de Cheng Zhang et de son partenaire japonais Tomoki Kitamura -assistés de deux très bons percussionnistes- les amènent paradoxalement à donner de l’oeuvre une version étonnamment décontractée mais cruellement dépourvue de tension. La force et l’âpreté, la magie même, de la musique -si bien rendues dans la justement légendaire version Argerich-Kovacevich (Decca)- semblent tout à fait étrangères à ces très bons instrumentistes.

Son 6,5 - Livret 9 - Répertoire 10 -Interprétation 9 (Sonate, En plein air), 7 (Suite de danses), 6 (Sonate pour deux pianos et percussion).

Patrice Lieberman

 

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