Second volume de l’intégrale Bach de Peter Kofler : palette et aisance

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Orgelwerke vol. 2. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Préludes et Fugues en ut majeur BWV 531, en sol mineur BWV 535, en ut majeur BWV 547, en ut mineur BWV 549, en sol majeur BWV 568. Toccata, Adagio & Fugue en do majeur BWV 564. Toccata & Fugue en fa majeur BWV 540. Sonates en trio en mi bémol majeur BWV 525, en ré mineur BWV 527. Fantaisies en si mineur BWV 563, en sol majeur BWV 571. Concertos en sol majeur BWV 592, en ut majeur BWV 595. Pedal-Exercitium BWV 598. Partita Herr Christ, der einge Gottessohn BWV Anh. 77. Fugues BWV Ahn. 42 & 90. Kleines harmonisches Labyrinth BWV 591. Chorals « Kirnberger » Christ lag in Todesbanden & Christum wir sollen loben schon BWV 695-696. Christ lag in Todesbanden BWV 718, Ein feste Burg ist unser Gott BWV 720, Wie schön leuchtet der Morgenstern BWV 763 & 764. Chorals « Neumeister » BWV 1090-1097. Chorals « de Leipzig » BWV 651, 652, 667. Orgelbüchlein BWV 599-612, 625-633, 635-638. Clavierübung III : Prélude et Fugue en mi bémol majeur BWV 552, Préludes de choral BWV 669-689, Duetti BWV 802-805. Choralpartita O Vater, allmächtiger Gott BWV 758. Trios en ut mineur, sol majeur BWV 585-586. Peter Kofler, orgue de la Jesuitenkirche St. Michael de Munich. Livret en allemand, anglais. 2019-2021. Cinq CDs TT 72’45 + 74’04 + 78’22 + 74’30 + 65’51. Farao Classics B108113

Après un premier coffret réalisé en 2017-2019, le label Farao poursuit son intégrale Bach avec ce récent volume de format similaire. On y retrouve un programme complémentaire, dont l’agencement hétéroclite pioche à divers recueils et genres, parfois étrangement. Voici une nouvelle série de diptyques et triptyques (BWV 531, 535, 540, 547, 549, 564, 568), deux autres Sonates en trio et Concertos, trois des dix-huit « chorals de Leipzig », huit des trente-et-un « Neumeister ». À l’instar du premier volume, on pourra se surprendre que certains chorals (BWV 718 & 720) soient rattachés aux « Kirnberger » (usuellement BWV 690-713). Après les six derniers chorals de l’Orgelbüchlein inclus dans le précédent coffret, celui-ci invite maintenant ceux pour l’Avent, Noël, Pâques et Pentecôte (le second Liebster Jesu, wir sind hier, BWV 634, est toutefois évincé) et quatre des six hymnes, mais le cycle liturgique n’est toujours pas bouclé (manquent les temps de Nouvel An, Chandeleur et Carême).

Peut-être plus dérangeant, l’architecture de la Clavierübung III (qui forme un cycle progressif, aux implications tant théologiques que symboliques et numérologiques, enchâssé par le Prélude et Fugue en mi bémol) se trouve dissociée : les six paires du catéchisme luthérien se répartissent en quinconce dans les CD1-2, le premier regroupant les chorals manualiter et le second les élaborations plus ambitieuses flanquées par le diptyque BWV 552. Cette audace est assumée dans le livret-interview indiquant que le contenu de chaque CD « est structuré comme un arc dramaturgique ». Malgré quelques exemples (les BWV 549 et 547 organisant une polarité d’ut mineur vers ut majeur dans le premier disque), on aurait aimé en savoir davantage pour ne pas être dérouté par ce drôle de kit. La notice soulève aussi de judicieuses questions : pourquoi d’un geste puriste écarter de l’intégrale les « huit petits préludes & fugues » tout en incluant des pièces non authentifiées comme le BWV 758 ? Même si les lignes n’en font pas mention, on pourrait similairement s’interroger sur le choix du BWV 585 de paternité incertaine (Johann Friedrich Fasch ?)

À cette tribune de St. Michael de Munich qu’il connaît bien pour y être nommé depuis 2008, Peter Kofler a déjà enregistré plusieurs disques, d’abord pour le label Querstand. Romantisme germanique (Reger, Rheinberger), transcriptions (Liszt, Fauré, Debussy, Ravel…). En 2013, Shin-Young Lee y avait aussi gravé un récital où Bach voisinait avec Tournemire ou Dupré, sur ce Rieger (2011) de 75 jeux d’une synthétique facture. L’éclat des anches (Herr Gott, nun schleuss den Himmel auf) est contrebalancé par des flûtes câlines, des fonds sans lourdeur ni opacité : les baumes de l’Adagio de la Sonate BWV 527, du Puer natus in Bethlehem, de la Fantaisie en si mineur ! Les concrétions restent transparentes comme on le vérifie dans Es ist das Heil ou le plenum d’apparat mais aéré (superbe vivacité du Präludium BWV 568 !) Même si les sonorités ne sont pas des plus typées ni des plus idiomatiques, la console permet un éventail de textures qui prête un foisonnant imaginaire au champ liturgique : des Principaux nacrés (Wie schön BWV 739), des encens (section médiane de la Fantaisie en sol majeur, 3’44), des tufs (Christe, der du bist Tag und Licht), des gaufrages (Erschienen ist der herrliche Tag), des levures (O Jesu, wie ist deine Gestalt), des spumescences (Der Tag der ist so freudenreich)... Les alliages en contraste sont tout aussi riches et évocateurs, ainsi les gypse et basalte pour le Durch Adam Fall. Particulièrement réussi, le Christ lag in Todesbanden BWV 718, d’abord lové dans un collant suaire, vivifié par son triomphe sur la mort, et lumineux dans la conclusion eucharistique. Au fil de cette poétique interprétation des chorals, le bréviaire se rapproche d’un livre d’enluminure. Servi par une prise de son d’ambition audiophile, comme l’explique le livret. Le vaste vaisseau de l’église est traduit par une captation spacieuse et lumineuse, équilibrée et naturelle, comme si l’on écoutait en bas depuis la nef. Toutefois, la perspective varie imperceptiblement d’un disque à l’autre. Sur certains, un surcroît de transparence et d’étagement aurait gagné l’excellence ; le CD 5 apparaît plus proche et plein, d’une présence quasiment holographique (Christum wir sollen loben schon).

Certes, face à la pullulante discographie de ces opus, l’auditeur se permettra l’exigence, escompterait peut-être une lecture moins assoupie du Herr Christ, der ein’ge Gottessohn, souhaiterait que la lisibilité du dessin s’ancre dans des affects ou des substrats approfondis (l’interprétation de la Clavierübung ne nous a pas captivé) ou des émois mieux sentis (l’Adagio BWV 525). Par ailleurs, et à défaut d’une constante caractérisation, Peter Kofler manifeste une admirable technique, coloriste certes, mais d’une impeccable discipline rythmique, que n’effraie aucune gageure polyphonique. Au chapitre virtuose, on saluera l’agilité du pédalier dans Dies sind die heiligen zehn Gebote, d’un fluide rebond. L’exécution du BWV 535 fournit le modèle d’une éloquence où s’équilibrent tension du discours et respiration du phrasé. L’ornementation réserve ses rares coquetteries aux pages intrinsèquement décoratives (trilles dans le Concerto en sol majeur, ou vaporisés au cœur du BWV 564). 

Le programme mosaïste ne nous enferme pas dans un dédale mais nous invite à puiser comme dans la ruche : peu de surprises nous attendent dans les alvéoles, mais sur la durée on est conquis par la nourricière variété des nectars, parmi les plus fins. Globalement, cette approche n’épuise pas par son dogme ou ses décibels, n’est pas de celles à imposer ses vues (raison supplémentaire de lui prêter attention), mais conséquemment grand est son pouvoir de suggestion. Sans exclure un certain brio, d’autant singularisé. Car quand même, que notre propos ne laisse accroire une prestation anodine ! Certaines séquences de l’Orgelbüchlein (eg Wir Christenleut) nous ont rappelé la suprême aisance et l’électrisante loquacité d’un Michel Chapuis. L’irrésistible Toccata du BWV 540 qui referme le coffret nous a elle rappelé la verve et l’absolue précision du Ton Koopman des années 1980. Il existe pires références.

Son : 8,5-9,5 – Livret : 8 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

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