Requiem à la Monnaie : Mozart revisité par Romeo Castellucci et plus vivant que jamais

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Si les conceptions de Romeo Castellucci ne font pas toujours l’unanimité (on se souviendra autant de sa pénible et prétentieuse Flûte enchantée que de sa sensationnelle Jeanne d’Arc au bûcher), on ne peut dénier le sérieux du travail du metteur en scène italien et son souci de toujours vouloir interroger et remettre en question des oeuvres que nombre de ses confrères paresseux se contentent d’illustrer plus ou moins bien.

Aussi, lorsqu’on apprend que l’artiste a jeté son dévolu sur le Requiem de Mozart, on est en droit de se demander à quoi on peut bien s’attendre dans cette production déjà montrée à Aix-en-Provence en 2019 et présentée pour la première fois à la Monnaie.

En 1917 déjà, Victor Chklovski écrivait fort à propos que le propre de l’oeuvre de l’art était d’opérer une désautomatisation de la perception. Et si le théoricien russe avait à l’esprit la littérature, Castellucci applique ici parfaitement cette notion en faisant du remarquable choeur Pygmalion le véritable héros de la représentation. Nous n’avons plus devant nous des choristes en rangs d’oignons le nez dans la partition, mais des artistes qui chantent bien sûr, mais aussi -renforcés par une douzaine de danseurs- jouent et dansent avec une confondante habileté.

Si, avant même que la musique ne retentisse, on se demande ce que fait dans son lit une dame entre deux âges en train de regarder les actualités télévisées et qui ne tardera d’ailleurs pas à décéder, la réponse est vite donnée : pas de Requiem sans mort préalable. D’ailleurs, même si ce Requiem dansé procédera à rebours de la mort pour glorifier la vie, la présence de la mort ne cessera de s’inscrire sur la scène par un procédé que certains trouveront peut-être pédant, à savoir que tout au long des 100 minutes de la représentation se trouvera projeté sur le fond de la scène l’Atlas des grandes extinctions. Cette énumération reprendra une série d’espèces animales et végétales éteintes, mais aussi une liste de lieux, de lacs, de peuples, de langues, de religions, monuments et même de prédécesseurs de l’homo sapiens à jamais disparus. 

En revanche, c’est bien la vie qui ne cessera de s’affirmer sur la scène. La première partie qui voit les protagonistes (dont les excellents solistes du chant) en tenue d’été sur la scène est une parfaite réussite marquée -en dépit de ce que dit le texte liturgique- par une atmosphère de bienveillance et de liberté, les choristes et danseurs allant jusqu’à entamer des rondes qui rappellent curieusement ce que faisait Béjart en son temps dans sa chorégraphie de la IXe Symphonie de Beethoven. Arrivera ensuite un enfant -le petit soprano Chadi Lazrek qui conclura le Requiem par une désarmante interprétation de l’anonyme antienne In Paradisum- jouant au football avec un crâne humain (utile rappel de notre finitude, semble-t-il) et suivront quelques épisodes, disons, curieux.  

Ainsi, dans un bel effort pour en arriver à des costumes non-genrés, hommes et femmes seront vêtus de robes à mi-mollet au bas brodé et de bas blancs, rappelant assez les tenues traditionnelles des cavaliers de la Puszta hongroise. On y ajoutera après des manteaux rouges pour les messieurs et des tabliers de la même couleur pour les dames qui arboreront également des couvres-chefs à pompons et rubans tout à fait dans le style du folklore ukrainien. (Ces représentations de Requiem sont d’ailleurs expressément dédiées aux citoyens ukrainiens victimes de la guerre et -pour reprendre les mots de l’intendant Peter de Caluwe- au risque d’être anéantis.)

Au moment du Benedictus, une voiture -en fait, une épave- est tirée sur scène et une bonne partie des choristes vient prendre la pose devant le véhicule avant de s’allonger sur le sol. L’autre partie s’y couche directement. Heureusement, la voiture est évacuée au son du Hosanna. Et après le Lux aeterna, tout le monde se dévêt sur une scène à peine éclairée (raison pour laquelle les choristes viendront saluer en peignoir). Il faut avouer que malgré la conception généralement très convaincante du metteur en scène, on se surprend à penser qu’il pourrait y avoir par moments un soupçon de foutage de gueule.

Mais là où le doute n’est absolument pas permis, c’est lorsqu’il s’agit de saluer la qualité exceptionnelle de l’interprétation musicale. On a déjà dit tout le bien qu’il fallait penser des fabuleux chanteurs du Choeur Pygmalion, mais il faut tout autant saluer la superbe prestation et l’autorité naturelle de Raphaël Pichon à la tête de l’Orchestre Pygmalion ainsi que les belles interventions des quatre excellents solistes vocaux : la soprano Sandrine Piau, la mezzo Sara Mingardo, le ténor Anicio Zorzi Giustiniani et la basse Luca Tittoto. Il convient d’ajouter que la partition de Mozart se voit ajouter -excellente manière de désautomatiser la perception de ce Requiem si connu- plusieurs morceaux dus -outre deux chants grégoriens- au compositeur salzbourgeois, dont la peu connue mélodie O Gottes Lamm K. 343/i, paraphrase de l’Agnus Dei dans un style archaïque de choral pré-bachien.

Bruxelles, La Monnaie, le 29 avril 2022.

Patrice Lieberman

Crédits photographiques :  B. Uhlig

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