Une époustouflante Leonora Armellini pour achever le Festival Chopin 

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Pour conclure sa saison du 25e anniversaire, la Société Chopin de Genève a invité la pianiste italienne Leonora Armellini. « Pour l’extraordinaire musicalité et la beauté du son », verdict formulé par le jury du Prix Janina Nawrocka, elle a remporté, à dix-neuf ans, cette consécration lors du Concours International Chopin de Varsovie en 2010. Native de Padoue, cette jeune artiste de trente ans a été l’élève de Laura Palmieri dès l’âge de… quatre ans, s’est diplômée à douze ans avant de poursuivre sa formation à l’Académie Sainte Cécile de Rome avec Sergio Perticaroli, tout en se perfectionnant auprès de Lilya Zilberstein et Marian Mikaà. 

Plusieurs fois déjà, elle a été l’invitée du Festival Chopin ; et je me souviens de l’y avoir entendue le 9 octobre 2011 au Conservatoire de Musique de Genève. Dans la même salle, le dimanche 16 octobre 2022, son programme est particulièrement exigeant puisqu’il comporte en première partie rien moins que les Deux Nocturnes op.32 et les Douze Etudes op.25. Dans le Premier des Nocturnes en si majeur, elle immerge dans un halo mystérieux la ligne mélodique en y intégrant l’ornementation, avant de buter sur un declamato dramatique qui ne trouve pas d’issue. Le Second en la bémol majeur est expression de profonde mélancolie qui tourne au tragique avec les triolets angoissés du Più agitato. Absolument ahurissant, le second cahier des Etudes, déroulant à fleur de clavier les notine ondoyantes de la Première tout en reliant celles qui constituent le cantabile, tandis que la Deuxième tient du moto perpetuo fugace. Indépendance des mains, staccato aux deux mains, appoggiature sur arpèges de la gauche débouchent sur un Più lento de la Cinquième à vous émouvoir intensément. Tierces chromatiques, octaves ascendantes ou descendantes, sixtes en triolets s’effacent devant la noblesse de la Septième s’imposant sur une basse vrombissante laissée en arrière-plan ou devant le babillage virevoltant de la Neuvième. Les voix intérieures affleurent dans le Lento de la Dixième, alors que l’étude suivante soutient le déferlement des doubles croches de la droite par les colonnes en accords de la gauche. Et l’appui sur les pouces canalise la houle véhémente de la Douzième en ut mineur. Magistral !

En seconde partie, Leonora Armellini recourt d’abord à une sonorité beaucoup plus ample, à mon avis non nécessaire, pour la Polonaise-Fantaisie en la bémol majeur op.61. Elle la greffe au détaché du motif A tempo giusto, se superposant à une basse tonitruante qui s’effacera devant la poésie douloureuse du Poco più lento, brève parenthèse avant la péroraison en larges accords fortissimo. Revenant à un son beaucoup plus concentré, la pianiste glisse à titre d’intermède les Quatre Mazurkas op.41 en passant de l’élégie triste à la danse de salon aux reflets clinquants. Elle propose ensuite deux pages pittoresques : le Boléro en la mineur op.19 joue des contrastes de coloris en une introduction embuée de larmes, encadrée de passaggi virtuoses, aussi évanescents qu’une bouffée d’air, avant que ne se dessine l’Allegro vivace, de fière allure sous une ornementation de plus en plus bavarde. La Tarentelle en la bémol majeur op.43 aux pieds légers virevolte sur la solidité des appuis rythmiques, tout en glissant de subtiles suspensions de phrase. En une sobriété retenue, la Troisième Ballade en la bémol majeur op.47 écoute une poésie toute intériorisée qui ménage avec art la progression dramatique sur une basse ondoyante afin de parvenir à une péroraison pathétique. Et le programme s’achève avec la célèbre Polonaise en la bémol majeur op.53 conservant une clarté de ligne sous les élans fougueux provoquant un ostinato d’octaves qui sait se maintenir au second plan. 

A peine plantés les deniers accords, le public enthousiasmé hurle ses hourras auxquels la jeune artiste répond sans coup férir en enchaînant la Première des Nouvelles Etudes au Premier Impromptu en la bémol majeur op.29 puis en leur ajoutant la Quatrième des Mazurkas de l’opus 30 et la Grande Valse brillante op.18. Un véritable triomphe pour cet ultime volet d’un Festival Chopin de haute tenue !

Paul-André Demierre

Genève, Conservatoire Musique, salle Franz Liszt, 16 octobre 2022

Crédits photographiques : DR

 

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