Les françaises de Bayreuth

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Le temple wagnérien a beau être un bastion germanique, il n’est pas rare pour autant de croiser certaines figures hexagonales sur la Colline verte. Dans la fosse, au pupitre ou encore au parterre, rencontre avec trois d’entre elles.

Que fais-tu la vie ?

Nathalie Stutzmann, je suis chef d’orchestre.

Comment as-tu découvert Wagner ?

Les premiers souvenirs que j’ai remontent à mon enfance. Mon père chantait l’un des Meistersinger (ndlr : Maître chanteur dans Les Maîtres chanteurs de Nuremberg). Je suis tombée totalement amoureuse de tous ces airs. Puis ce fut Tristan und Isolde dirigé par Kleiber, dont on m’avait offert le CD. Ma mère étudia ensuite le rôle de Senta. Le goût étant là, j’ai ensuite exploré le reste. À 18 ans, je suis sélectionnée à l’Académie des jeunes de Bayreuth, j’ai ensuite passé l’été 83 là-bas. Nous avions accès à la galerie tout en haut de l’auditorium, et c’est alors que je découvre l’acoustique si particulière du Festspielhaus. Puis, à 21 ans, je rentre à l’école de l’Opéra de Paris, où j’ai la chance d’étudier avec l’immense wagnérien Hans Hotter  tout le répertoire du lied allemand, ainsi que la poésie avec Lou Bruder, qui était le mari de Régine Crespin lors de ses débuts à Bayreuth .  

Quaimes-tu particulièrement à son sujet ?

Tout ! Lorsque l’on tombe amoureux de son œuvre, c’est tellement envoûtant et différent, que cela en devient presque comme un poison. Cet univers est si particulier que, si l’on y est pris, on n’en sort plus. En tant que chef, c’est d’autant plus un régal que tout part de l’orchestre chez Wagner ; l’orchestration est la source de toute l’architecture musicale, et les chanteurs n’ont finalement qu’à se poser sur la structure orchestrale. 

La musique wagnérienne est d’une richesse et d’une complexité qui nourrit toute une vie et  pour jouir pleinement de son génie, je recommande une certaine préparation à l’œuvre, l’étude des leitmotiv et légendes nordiques apporte beaucoup.

Depuis quand viens-tu à Bayreuth ?

Je suis venue pour la première fois à 18 ans, et je n’y suis revenue ensuite qu’en tant que chef en 2023. L’émotion fut alors d’autant plus grande que j’en rêvais depuis très longtemps et que je n’étais jamais venue en tant que chanteuse.

Comment es-tu arrivée au Festival ?

Par un courriel de Katharina Wagner, qui m’a proposé de diriger la production de Tannhäuser en 2023. J’étais tellement heureuse que je n’en ai pas dormi pendant deux jours !

Une anecdote sur le Festival ?

Difficile de choisir. Je me souviens de ma première entrée en fosse d’orchestre, avec ce tabouret mythique où tous ces immenses chefs se sont assis. C’était lors de la première scène orchestre, avec assez peu de temps de répétition avant la première car il y avait 8 opéras à répéter pendant la période du festival ! et l’acoustique du Festspielhaus à dompter. Il y a aussi les queues à la cantine où tout le monde se côtoie, chefs, chanteurs, musiciens choristes, généralement autour d’une saucisse / frite pendant les répétitions et même pendant les spectacles !

Toujours au début du festival, je me souviens aussi de marcher dans le fameux couloir qui mène à la fosse d’orchestre avec le portrait de toutes ces idoles que l’on a eues… pour finalement voir sa propre photo à la fin du couloir. Alors, l’on se dit que l’on a réussi quelque chose.

Je me souviens également de la première de Tannhäuser l’année dernière : lors du premier acte, il y a eu un petit problème technique avec la voiture sur le plateau, une vieille Citroën, qui ne s’est pas arrêtée et a continué sa course jusqu’à la trappe du souffleur, à quelques dizaines de centimètres de la fosse ! Sur le moment, l’on voit sa vie défiler devant ses yeux, mais l’on continue de diriger. Il ne fallait rien montrer à l' orchestre pour éviter tout chaos. Une fois la frayeur passée, ma crainte était d’avoir des remarques sur le fait qu’il s’agissait d’une voiture française !

Dans un tout autre registre, il y a aussi le souvenir rempli d’émotion du travail avec Stephen Gould, qui n’a duré qu’une semaine car il est tombé malade ; puis l’on a appris son décès très peu de temps après. Il avait fort heureusement pu être remplacé par le magnifique Klaus Florian Vogt.

Ton plus beau souvenir en lien avec Bayreuth ?

La première et la dernière de la série de Tannhäuser en 2023, où l’on clôturait le Festival.

Ta production préférée de lhistoire du Festival ?

Je suis forcément biaisée, mais je trouve cette production de Tannhäuser fantastique. La transposition de la dualité entre amour chaste et profane en culture élitiste / populaire est très intelligente, moderne et respecte particulièrement la musique. Avec, en plus, un contraste très marqué entre les passages très drôles du premier acte et le drame terrible du troisième. Pourtant, Tannhäuser est loin d’être l’opéra le plus facile à mettre en scène.

Un artiste ty a-t-il particulièrement marqué ?

Difficile de citer un seul nom. En disque, Karajan, car je trouve que son Ring tient presque du lied schubertien dans sa manière de faire jouer l’orchestre et les chanteurs. Il avait énormément travaillé sur ce point des couleurs… Et Carlos Kleiber avait réussi à apporter un feu, une passion, même un érotisme inédit. Plus récemment, Christian Thielemann est d’un grand raffinement musical et il apporte toujours une énergie et une façon de ne pas s’appesantir pour être toujours dans l’action qui me semble correspondre aux souhaits de Wagner dont l' idée fausse de lourdeur que certains s' en font est à mon sens erronée . 

Quel est le spectacle que tu attends le plus pour les éditions à venir ?

Rienzi, bien sûr ! Je me demande comment la partition va résonner dans le Festspielhaus puisque ce sera la première fois qu’elle y sera jouée . C’est un grand honneur pour moi mais aussi une grande responsabilité. Mais je suis tout à fait passionnée par l’idée de rendre justice à cette œuvre controversée, qui fut l’un de ses plus grands succès de son vivant et qui lui a permis de financer beaucoup d’autres projets. Le public dresdois était tombé fou de cette œuvre, qui présente au demeurant quelques réminiscences de l’opéra français, mais aussi du bel canto, tout en déployant déjà toutes les bases des œuvres qui suivront . 

Mon but sera que les spectateurs sortent de la représentation en se disant que l’œuvre a tout à fait sa place à Bayreuth, et que toutes les polémiques sur le personnage soient éclipsées par le génie musical de Wagner.


Que fais-tu dans la vie ?

Cécile Tête, violoniste à l’Opéra national de Paris depuis 2012, chef d’attaque des seconds violons depuis 2016  et depuis 2019 membre des seconds violons du festival en tant que tuttiste ou Vorspieler ».

Comment as-tu découvert Wagner ?

La première fois que j’ai joué du Wagner, c’était lors de concerts avec l’orchestre Prométhée alors que j’étais au CNSM ainsi que lors de mes cours d’analyses musicales au Conservatoire, notre professeur Anne-Charlotte Rémond nous avait fait découvrir Tristan et en plus de l’ouverture, nous avions écouté le duo d’amour. Je me souviens être restée perplexe et n’avait pas saisi le discours de Wagner… Mais le fait de le jouer plus tard en fosse à Paris m’avait beaucoup plus convaincue, au point de pouvoir écouter en boucle cet opéra.

Après ces Adieux de Wotan, il y a eu le festival de Verbier, où nous avons joué le premier acte de La Walkyrie sous la direction de Gergiev. Cette découverte s’est ensuite poursuivie plus largement à l’Opéra de Paris puisque, lors de ma première saison, nous avons joué La Walkyrie et Le Crépuscule des Dieux sous la baguette de Philippe Jordan.

Quaimes-tu particulièrement dans son œuvre ?

La manière dont l’ouverture des opéras conditionne toute l’œuvre, mais aussi l’état des artistes et des auditeurs, et donne un aperçu de tout ce qui va arriver ; c’est assez envoûtant. Cela l’est d’autant plus à Bayreuth, où l’on baigne dedans en permanence tout au long de son séjour, et où l’on ressent vraiment cette emprise.

Au-delà de cela, il y a l’immensité de son œuvre, évidemment, ainsi que sa faculté à dire tout ce qu’il a à dire dans ses partitions, sans concession ni restriction.

Depuis quand viens-tu à Bayreuth ?

Depuis l’été 2019. Mes trois productions de l’époque étaient Les Maîtres chanteurs avec Philippe Jordan, Tristan und Isolde et Lohengrin avec Thielemann.

Comment es-tu arrivée au Festival ?

Au détour d’un couloir à l’Opéra, Philippe Jordan, voyant mon intérêt pour l’orchestre et pour Wagner, m’a demandé en plaisantant à moitié : « Quand est-ce que tu viens à Bayreuth ? »

J’ai répondu : « Quand vous voulez. »

Il m’a alors conseillé de demander aux musiciens de l’orchestre déjà invités au Festival comment candidater, puis m’a bien indiqué de mentionner que je postulais sur sa proposition.

Sans Philippe Jordan, je ne serais probablement jamais entrée dans l’orchestre du Festival.

Une anecdote sur le Festival ?

En tant que musicien, on a le droit d’écouter les répétitions dans la fosse, derrière les cuivres, tout en bas. C’est là que l’on se rend compte de l’unicité de cette fosse : tout au fond, on n’entend absolument pas les chanteurs, il y a un boucan du diable et un chef très distant — complètement aux antipodes de l’impression que l’on a dans l’auditorium.  Dans les Meistersinger avec Philippe Jordan, le rôle du Nachtwächter était chanté depuis la fosse, et le pauvre chanteur a dû se perdre dans les couloirs car il n’était pas là à sa première intervention, des collègues ont commencé à chantonner sa phrase et une fois finie, nous avons vu le chanteur arrivé en fosse avec un air dépité, nous pouvions voir sa détresse sur son visage et son attitude d’avoir raté son entrée et son solo ! 

Ton plus beau souvenir en lien avec Bayreuth ?

Jouer l’ouverture des Maîtres chanteurs pour la première fois, et arriver sur le do majeur particulièrement majestueux.

Au milieu de tous ces musiciens allemands, je ressentais un lien particulier avec le chef, et je réalisais la chance que c’était de jouer avec cet orchestre qui connaît si bien cette musique.

C’est d’ailleurs particulièrement marquant : le filage d’un acte se fait directement dès la première lecture, sans accroc, car tout le monde connaît déjà sa partition sur le bout des doigts.

Encore aujourd’hui, alors que nous répétons l’ouverture des Meistersinger, c’est une ouverture dont la solennité confère un sentiment de plénitude unique.

Ta production préférée de lhistoire du Festival ?

Die Meistersinger mis en scène par Barrie Kosky était superbe, mais je garde un souvenir particulier du Tannhäuser de Tobias Kratzer.

Au-delà de sa beauté esthétique, j’avais adoré cette utilisation particulièrement intelligente de la vidéo, et les différentes intrications dans la narration et les lieux. Au surplus, la présence d’une vieille Citroën au pays des grosses cylindrées me faisait sourire.

Un artiste ta-t-il particulièrement marquée ?

Lise Davidsen m’a beaucoup marquée, tout comme Klaus Florian Vogt. Mais celle qui m’impressionne le plus est certainement Christa Mayer, qui est, comme Zeppenfeld, la constance incarnée dès les répétitions. Un modèle de clarté, toujours à l’aise, et qui n’a jamais besoin d’être reprise !

Quel est le spectacle que tu attends le plus pour les éditions à venir ?

La nouvelle production de Die Meistersinger cette année. La mise en scène de Barrie Kosky avait été un franc succès, et j’ai hâte de voir comment Matthias Davids va réussir à proposer une nouvelle vision.


Que fais-tu dans la vie ?

Roselyne Bachelot, ancienne ministre de l’Écologie, de la Santé, des Sports, des Affaires sociales et de la Culture. Actuellement, éditorialiste, auteur et militante dans de nombreuses associations caritatives avec deux occupations principales : la présidence de la Fédération des ensembles vocaux et instrumentaux, qui regroupe plus de 200 ensembles, ainsi que celle du comité d’histoire des administrations chargées de la santé… ET cultureuse !

Comment as-tu découvert Wagner ?

Dans mon parcours lyrique, l’intimité avec Wagner est une découverte tardive. Ma famille n’allait pas à l’opéra, si ce n’est pour une opérette au moment de Noël. Je n’avais toutefois pas encore 30 ans lorsqu’un ami m’a emmenée à Vérone, et c’est alors le choc amoureux absolu avec le lyrique. Viennent alors trois décennies de découvertes du lyrique. Une première verdienne, une mozartienne et enfin une wagnérienne quand j’avais pratiquement 50 ans, qui se sont superposées les unes aux autres.

C’est après tout un chemin initiatique complexe de découvrir une œuvre aussi magistrale que celle de Wagner. Je pense même qu’une découverte trop précoce peut entraîner des rejets. Si vous voulez dégoûter quelqu’un de l’opéra, vous pouvez toujours l’emmener voir Parsifal à 15 ans, je serai alors curieuse de connaître ses intentions à la sortie, quand bien même le coup de foudre absolu demeure toujours possible ; mais l’échec peut également être au rendez-vous.

Quaimes-tu particulièrement au sujet de Wagner ?

Certainement l’unicité de l’œuvre dans le sens où Wagner est le poète, le musicien et également le metteur en scène car les didascalies sont extrêmement précises. Ce sont des œuvres holistiques mais aussi profondément spirituelles ; et quand on cherche ce que tout individu un tant soit peu cortiqué cherche, i.e. un sens à sa vie, chercher la relation que l’on a avec, non pas Dieu mais la religion et le spirituel, il faut se plonger dans Parsifal qui est l’œuvre totale sur le sujet. 

D’ailleurs, à la question : « quelle œuvre emmèneriez-vous sur une île déserte ? » si tant est que l’on ait le moyen sur place de l’écouter, j’emmènerai certainement Parsifal, alors qu’à d’autres moments de ma vie cela aurait été certainement, d’abord Don Carlos, puis Don Giovanni. Pour Parsifal, probablement dans un des enregistrements de Knappertsbusch.

Depuis quand viens-tu à Bayreuth ?

Depuis « simplement » une trentaine d’années, à partir du moment où je plonge dans ma décennie wagnérienne. Les deux découvertes sont concomitantes. J’avais naturellement entendu parler de Bayreuth avant mais cela me paraissait inatteignable. Il me semble au demeurant que l’on n’a pas réellement découvert Wagner tant que l’on n’est pas allé à Bayreuth, tant les deux sont intimement liés.

Lorsque l’on y est, le Festival occupe la totalité de votre temps quand, dans les autres, à Aix par exemple, le spectacle n’est qu’un moment de la journée, même lorsque l’on y donne la Tétralogie ! À Bayreuth en revanche, vous ne faites que cela, vous êtes avec Wagner et vous partagez ce moment avec des gens entièrement dans cette même logique.

Quelle est la première production que tu aies vue à Bayreuth ?

Je ne sais plus, j’ai développé une mémoire sélective puisque j’ai décidé d’oublier certaines productions, notamment La Walkyrie dans la mise en scène actuelle de Valentin Schwarz. Je vais d’ailleurs m’attaquer à Siegfried avec une certaine appréhension. Avec les difficultés actuelles du Festival, on peut saucissonner la Tétralogie, pas forcément toujours pour le pire.

Je me souviens de l’année dernière, j’étais avec deux amis, Alain Lanceron (ndlr directeur général de Warner Music) et Lionel Esparza (ndlr, producteur d’émissions de radio sur France Musique), nous étions tous les trois sur nos sièges et lorsque nous avons vu les walkyries chanter leurs “hojotoho” dans une clinique en s’arrachant les pansements de leurs liftings, on s’est alors dit que l’on était quand même sur autre chose, d’autant plus lorsqu’on voyait ensuite Wotan violer sa fille pendant qu’elle accouchait. Les Adieux de Wotan sont pourtant d’habitude pour moi un déluge lacrymal mais alors là, lorsque l’on a vu Fricka réarriver sur la scène avec une bouteille de rouge…

As-tu une anecdote à partager sur le Festival ?

J’ai quelques anecdotes personnelles, notamment sur la réalité virtuelle. On vous annonce d’abord un prix des places absolument délirant, puis l’on vous demande d’envoyer les dioptries de vos corrections, puis d’arriver un jour à l’avance pour adapter les lunettes ; ensuite on vous demande d’être là une demi-heure pour qu’un type vous explique comment cela marche, bon. Finalement cela commence avec une mise en scène quelque peu pénible, puisque l’on avait l’impression que les chanteurs avaient trouvé leurs vestiaires chez les Deschiens. Vous vous rendez alors compte que vous ne voyez absolument pas la scène avec ces maudites lunettes, et que cela pèse une tonne. Au bout d’un moment, l’on finit donc par les reposer derrière le siège et l’on abandonne. Puis, au premier entracte, j’ai félicité la matrone allemande qui était à côté de moi de les avoir gardées et elle m’a répondu : « j’ai payé ça très cher donc je les garde ». Je me suis dit que c’était cela la différence entre l’Allemagne et la France.

Quelques temps avant, dans la mise du Ring de Frank Castorf, après le Siegfried et ses crocodiles, je me sentais quand même mal et j’avais l’impression d’être trompée. Même si j’avais adoré la réaction de Castorf à la fin de la Walkyrie. Les sifflets étaient déchaînés et il m’a fait penser à Pialat au festival de Cannes quand il avait reçu sa Palme d’Or devant les huées des festivaliers. Il avait alors dit : « vous ne m’aimez pas mais je ne vous aime pas non plus ». En revanche, après ce Siegfried qui fusillait l’une des plus belles scènes d’amour du répertoire, il y avait le fameux jour d’intervalle avant le Crépuscule des Dieux. Je me suis donc dit que j’allais aller au bureau des Amis du Festival pour récupérer une place pour écouter Vogt en Lohengrin. Et là, un vieux bayreuthien français m’interpelle : « Madame, quand on se pique d’aimer Wagner, l’on n’écoute rien entre Siegfried et le Crépuscule ».

Peut-être que mon anecdote préférée concerne mon panthéon wagnérien et plus précisément le Lohengrin de Jonas Kaufmann en 2010, avec Andris Nelsons à la baguette et Annette Dasch. Je suis alors assise à côté de la chancelière Merkel. Angela préférait être au Parkett que dans la loge d’honneur. Au moment de l’aria final que Kaufmann chante dos au public, je sens une main qui presse la mienne : Angela Merkel était en larmes. Deux ans plus tard, après que le FMI ait mis la Grèce à l’amende, je revois Jonas qui chantait Carmen à Orange. Je vais l’embrasser dans les coulisses et lui dis alors : « les Grecs devraient vous engager Jonas, car vous êtes le seul homme sur cette terre capable de faire pleurer Angela Merkel ! ».

Ton plus beau souvenir en lien avec Bayreuth ?

Au-delà de Jonas Kaufmann dans Lohengrin en 2010, c’est certainement la production des Maîtres Chanteurs de Barrie Kosky dirigée par Philippe Jordan. J’avais envoyé un mot à Philippe en en sortant en lui disant qu’avant il devait quelque chose à Wagner et que c’était désormais Wagner qui lui devait quelque chose !

Ta production préférée dans lhistoire du festival ?

Certainement les Meistersinger de Barrie Kosky, que j’avais trouvée d’une intelligence remarquable, d’autant plus qu’elle résolvait beaucoup de problématiques complexes. Je vois par exemple mon ami Bruno Le Maire, qui est un germanophone formidable, musicien et qui écrit sur la musique : il ne peut pas aller à Bayreuth. Il y a un empêchement politique pour lui. Je sais d’ailleurs que Kosky a longuement hésité et ne voulait pas faire de mise en scène à Bayreuth ; mais il a résolu cette torsion incroyable en faisant cette mise en scène d’une intelligence absolue. C’est d’ailleurs là que l’on comprend ce que peut apporter un metteur en scène dans une œuvre : il peut permettre de résoudre les conflits intérieurs. C’est surement d’ailleurs cela qui fait les grandes mises en scène.

Un artiste qui ty a particulièrement marqué ?

C’est tellement difficile de choisir… il y a des artistes qui n’étaient pas nécessairement tout en haut du casting mais qui sont de très grands wagnériens. Je pense notamment à Georg Zeppenfeld. Il y a aussi bien sûr Kaufmann et, chez ces dames, Anja Harteros, pour son italianité intrinsèque. Sans oublier le chœur de Bayreuth, le meilleur du monde. J’ai failli oublier Andreas Schager que je considère comme le wagnérien absolu et qui donne l’impression d’être seul quand il chante. Une grande émotion a été pour moi d’entendre Nathalie Stutzmann diriger Tannhaüser dans la magnifique mise en scène de Tobias Kratzer. Une femme cheffe d’orchestre, française, ovationnée par l’auditoire le plus difficile du monde, je me suis mise à pleurer. 

Y a-t-il une production que tu attends particulièrement dans les années à venir ?

De toute façon, quand on est wagnero-bayreuthienne, l’on attend toutes les productions. Il n’y a pas de petit opéra dans les dix retenus par Wagner. L’on attend forcément la nouvelle vision et la nouvelle compréhension, tant toutes les œuvres sont riches et foisonnantes. Il n’y en a pas une qui ne soit marquée par la complexité, l’appel à l’absolu, la spiritualité, le franchissement des valeurs traditionnelles… tout est marqué par des choses qui viennent contrebattre la culture de la vigilance sociétale… Bien sûr, l’on attend la nouvelle mise en scène de la Tétralogie car cette œuvre parfaite peut avoir tant de visions. Je me demande toutefois si, un jour, ce qui ne serait pas le plus étonnant à Bayreuth serait de faire une mise en scène tout à fait classique qui paraîtrait alors complètement révolutionnaire, du style de Wieland Wagner. Un truc « zimboumboum », avec des chevaliers en armure, plutôt que les Filles du Rhin dans une piscine gonflable, c’est peut-être cela que j’attends !

Propos recueillis par Axel Driffort

Crédits photographiques :  Bayreuther Festspiele - Enrico Nawrath - Lorenzo Ciavarini Azzi/ Culturebox - DR

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