Pierre-Laurent Aimard feuillette la collection des Játékok de Kurtág
György Kurtág (°1926) : Játékok (Jeux). Pierre-Laurent Aimard, piano. 2022 et 2024. Notice en anglais, en hongrois et en français. 125’ 52’’. 2 CD Pentatone PTC 5187 030.
György Kurtág et le pianiste Pierre-Laurent Aimard (°1957) se connaissent depuis 1978. La première rencontre eut lieu à Budapest, au domicile du compositeur hongrois, occasion qui permit à Aimard de jouer avec Kurtág quelques-uns des premiers Játékok. Le pianiste explique dans la notice les contacts qui ont suivi, notamment à Paris, lorsqu’avec son épouse Márta (1927-2019), Kurtág venait enregistrer ses miniatures à quatre mains. L’envie de graver l’intégralité de la collection est venue au Français plus récemment, lorsque, l’âge avançant, le compositeur n'a plus eu la même mobilité manuelle pour les jouer. Mais, en fin de compte, avec l’accord du créateur, une large sélection a été faite parmi les dix livres existants (avec des extraits d’un onzième en gestation), éliminant des pièces considérées comme anecdotiques, répétitives ou étant de simples exercices.
Le tout s’est effectué en deux phases, au Music Center de Budapest, du 27 juin au 1er juillet 2022, puis du 20 au 25 avril 2024, sous le contrôle artistique bienveillant, mais précis, de Kurtág lui-même. J’ai conservé le groupement par livres, présenté le tout dans l’ordre chronologique de composition, confie Aimard. Les livres 4 et 8 sont absents simplement parce qu’ils sont constitués d’œuvres pour quatre mains ou deux pianos. Une note rédigée par le compositeur (en hongrois, traduite en anglais, mais pas en français) confirme la relation amicale et musicale qui l’unit à Aimard et accrédite l’interprétation de ce dernier comme des messages sonores authentiques. Dont acte.
Composées à partir de 1973, mais publiées seulement six ans plus tard, les pièces des quatre premiers livres ont eu des motivations pédagogiques, comme Kurtág l’a expliqué dans le volume Entretiens, Textes. Écrits sur son œuvre (Ed. Contrechamps, 1995) : Mon idée fut d’abord de trouver pour l’enfant la possibilité de mouvements rapides, et de développer le concept de prise de possession de tout le clavier. Au fil du temps, l’idée d’exploration et de voyage s’est installée, les Játékok prenant alors une dimension autobiographique, sous la forme de fragments d’un journal intime ou d’un journal de bord, cette dimension étant de plus en plus présente dans les derniers volumes. Le plaisir de jouer y est toujours fondamental. On lira d’autres détails dans la notice de Zoltán Farkas, notamment sur la thérapie d’autoguérison, la vie de Kurtág ayant été semée de crises à côté de phases fertiles.
C’est dans cet foisonnante collection, univers qui s’étale sur plus de quatre décennies, qu’Aimard entraîne l’auditeur, à travers un parcours truffé de pièces - ici, un peu plus de quatre-vingt en tout -, courtes (aucune n’atteint les quatre minutes), voire allusives ou brévissimes (quelques secondes). Si le caractère pédagogique d’un certain nombre est manifeste, un peu à la manière d’exercices, d’autres revêtent un aspect personnalisé, avec des allusions à ses propres œuvres ou des dédicaces à d’autres compositeurs de la vague néo-avant-gardiste hongroise, puisent au répertoire du plain-chant, le compositeur ayant participé à un chœur pratiquant le chant grégorien, ou sont des hommages à des proches, en particulier à son épouse. Comme l’écrit très bien Farkas, c’est une entrée dans les secrets de l’atelier qui est offerte. Mais un atelier qui devient le langage d’amour du créateur.
Même si la fréquentation de ces pages est conseillée à petites doses pour en savourer toute la portée émotionnelle, cette exploration d’un parcours intime est une possible introduction à l’œuvre si personnelle de Kurtág. Pierre-Laurent Aimard, au toucher aérien, nous en livre une version subtile, claire et complice. Des photographies en couleurs insérées, prises pendant les séances d’enregistrement, portent témoignage de cette collaboration, tant musicale qu’amicale.
Son : 9 Notice : 10 Répertoire : 9 Interprétation : 10
Jean Lacroix