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Pfingstfestspiele Baden-Baden : Boulez 100

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Baden-Baden entretient une longue relation avec Pierre Boulez, né à Montbrison, dans la Loire, en 1925 : invité par Heinrich Strobel, critique musical engagé pour la promotion des musiques nouvelles, directeur du département de musique de la SWR, à la base de la renaissance du Festival de Donaueschingen au début des années 1950, le compositeur français s’établit en 1959 dans la petite ville thermale au sud-ouest de la Forêt Noire (aujourd’hui un peu plus de 57.000 résidents, dont le plus haut taux de millionnaires par habitants du pays) et y est inhumé à sa mort en 2016 – cent ans après sa naissance, Baden-Baden fête l’héritage musical de son citoyen d’honneur (il a aussi une place à son nom) en lui consacrant une série de concerts (et d’événements) lors de son Festival de Pentecôte.

Une œuvre, deux chaises : changement de perspective

Je prends le temps de déposer ma valise dans l’avenant petit studio perché sur les hauteurs de la cité (boîte à clé, code wifi et taxe de séjour), avant de descendre à pied, à travers le parc (dont les poubelles débordantes témoignent de la fréquentation en cette fin de week-end), vers le Kurhaus Baden-Baden (vestiaire, ticket contre pièce, prendre carnet et stylo) et de découvrir la Bénazetsaal, somptueuse salle de bal surmontée d’une voûte en berceau et au portail de scène doré : les vingt-quatre musiciens de l’Ensemble Intercontemporain (fondé en 1976 à Paris par Pierre Boulez – et dirigé aujourd’hui par Pierre Bleuse, chef pétillant aux doigts frétillants) prennent place sur un carré central surélevé, dont chaque côté accueille plusieurs rangées de chaises destinées au public, alors que, placés sur au-delà de l’audience (et également surhaussés), deux pianistes entourent un cymbaliste et, en face, une harpiste sépare deux percussionnistes – six haut-parleurs complètent le dispositif, qui diffusent le son des solistes modulés par l’électronique de l’IRCAM (fondé à Paris en 1977 par Pierre Boulez).

Répons, œuvre majeure du compositeur de la décade 1980, connaît des versions successives (22 minutes à Donaueschingen en 1981, 35 minutes à Londres l’année suivante et 45 minutes à Turin en 1984) et plusieurs spin-offs (Dérive 1, Anthèmes I et II), qui exploitent certaines idées surgies durant la gestation de cette pièce de grande dimension. « Répons », un refrain chanté par le chœur en alternance avec le chant d’un soliste, est entendu ici comme l’antiphonie entre l’ensemble, les solistes et l’électronique : le son du premier, « unplugged », s’oppose à celui des solistes, retravaillé en temps réel ; les six humains s’opposent à l’informatique, qui outrepasse les possibilités des instruments ; l’orchestre, immobile, s’oppose au son électronique qui, spatialisé par les haut-parleurs, bouge dans l’espace de concert.

Le procédé qui consiste à répéter la pièce peut étonner : j’en ai eu à plusieurs reprises l’expérience (valorisante) à la Philharmonie Luxembourg, où l’on écoutait une première fois l’œuvre, candide et (quasi) vierge d’information, avant une seconde découverte qui succédait à un commentaire par le compositeur ou l’interprète. Ce soir, le « changement de perspective » se traduit par le déplacement de l’auditeur, lors de l’entracte et avant la deuxième exécution de la partition, pour rejoindre un siège, en symétrie de l’autre côté de la salle (de cet enclos acoustique – de solistes et de haut-parleurs – qui entoure le public) : une façon de percevoir l’impact de la spatialisation (un axe essentiel dans le rêve de Boulez de réinventer la modularité des salles de concert), de proposer un point de vue différent sur l’agencement scénique et les musiciens… et de doubler le plaisir de recevoir les sons fantasmagoriques d’une pièce-pivot de la musique mixte, alliance affriolante entre l’instrumentarium acoustique et les possibilités de l’électronique.

György Kurtág et Benjamin Appl, une émouvante et féconde collaboration

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Lines of Life. Lieder de György Kurtág (°1926), Franz Schubert (1797-1828) et Johannes Brahms (1833-1897). Benjamin Appl, baryton ; Pierre-Laurent Aimard, James Baillieu et György Kurtág, piano ; Csaba Bencze, trombone ; Gergely Lukács, tuba. 2024. Avec une conversation entre Kurtág et Appl. Notice en anglais, en allemand et en français. Textes chantés, avec traductions.  67’ 45’’. Alpha 1145.

Tamara Stefanovich, pianiste

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Fêtant cette année leur dixième édition, les Flagey Piano Days sont chaque année le rendez-vous à la fois des pianistes et des pianophiles curieux d’entendre valeurs confirmées et talents prometteurs de l’instrument classique se produire dans un répertoire souvent inattendu et toujours choisi par les interprètes.

Parmi les récitals les plus attendus figure certainement celui de l’aussi brillante qu’aventureuse pianiste serbe, Tamara Stefanovich qui a accepté de répondre à nos questions depuis son domicile berlinois. 

Votre programme qui fera entendre pas moins de dix sonates en une heure de temps sort résolument de l’ordinaire. Comment l’avez-vous choisi ?

En fait, je travaille un peu comme le ferait un bon cuisinier qui combinerait différentes saveurs. Lors de mes études au Curtis Institute de Philadelphie, je me rendais souvent à la Fondation Barnes -ce lieu extraordinaire où les œuvres ne sont pas montrées par ordre chronologique ou par école, mais par affinités artistiques- et cela m’a beaucoup marquée.

Je suis une passionnée de musique de notre temps et j’essaie ensuite de constituer des familles musicales apparentées par l’esprit plutôt que par la généalogie. Ce programme comportait à l’origine 20 sonates et je l’ai interprété il y a près d’un an au South Bank Centre de Londres. 

En fait, le problème est que les grandes sonates du répertoire sont trop jouées. Et que, trop souvent, on va au concert pour écouter ce qu’on connaît déjà et juger l’interprétation plutôt que l’œuvre. Franchement, je n’aime pas cette idée. Je me vois à la fois comme une détective et une archéologue : j’aime découvrir et faire découvrir des choses, et j’essaie de jouer, même pour mon usage personnel, tout ce qui existe, d’autant plus que j’ai la chance d’avoir une bibliothèque musicale extraordinaire chez moi. 

Pour revenir à votre question, j’ai réfléchi à l’histoire de la sonate, depuis ses débuts à l’époque baroque jusqu’à nos jours, sur une période de près de 300 ans. Comment l’habiter ?

Et ici, j’essaie de trouver une fraternité, des œuvres qui se répondent. On peut par exemple établir des parallèles entre C.P.E. Bach et Busoni (dont la Sonatina seconda est une espèce de fantasme) et le côté amateur et la naïveté de Ives. La Troisième sonate de Hindemith est passionnante, et j’aime retrouver des pièces souvent négligées ou même oubliées et montrer la fraternité qu’elles entretiennent, car ce sont des œuvres fortes qui doivent être entendues et exister.

La sélection des concerts de novembre 2021

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On commence ce parcours avec le dernier concert du festival Voce & Organo qui se déroulera à l'église Saint-Jacques de Liège, le 20 novembre 2021. Au programme Michael Praetorius et Jan Pieterszoon Sweelinck par l’Ensemble Polyharmonique sous la direction de Alexander Schneider avec, en soliste, l’organiste Arnaud van de Cauter. 

A Bruxelles, La Monnaie propose la reprise de la production iconique de Lulu d’Alban Berg avec dans la rôle-titre Barbara Hannigan sous la direction d’Alain Altinoglu. Le directeur musical de la maison lyrique bruxelloise sera également au pupitre de son orchestre pour un concert symphonique avec le Concerto à la mémoire d’un ange d’Alban Berg (soliste Renaud Capuçon) et la Symphonie n°1 de Gustav Mahler (28 novembre à Bozar). 

Le Belgian National Orchestra proposera deux belles affiches : le pianiste Jean-Yves Thibaudet et le chef d’orchestre Lionel Bringuier (5 et 6 novembre à Bozar) et un concert Mozart avec la Grande messe en ut placée sous la direction de Riccardo Minasi avec le Choeur de Chambre de Namur et une belle distribution avec, en tête d’affiche, la soprano Jodie Devos (13 novembre à Namur et 14 novembre à Bozar).   

Novembre, c’est également le mois du festival Ars Musica qui prend ses quartiers à Bruxelles. On note deux beaux événements : Une dyptique “Voix Humaine” avec des oeuvres de Lukas Ligeti et Françis Poulenc avec la soprano Clara Inglese au Théâtre des Martyr (15 septembre) et "Madrigali", liens entre le passé et le présent avec des œuvres de Gualtiero Dazzi et Claudio Monteverdi par l’Ensemble Variances de Thierry Pécou (16 novembre aux Halles de Schaerbeek).  

Un anniversaire avec Messiaen par Kent Nagano 

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Olivier Messiaen (1908-1992) : La Transfiguration de notre seigneur Jésus Christ, Poèmes pour Mi, Chronochromie. Pierre-Laurent Aimard, piano ; Lionel Cottet, violoncelle ; Henrik Wiese, flûte ; Stefan Schilling, clarinette ; Christian Pilz, Guido Marggrander, marimba ; Jörg Hannabach, vibraphone ; Jenny Daviet, soprano. Chor und Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Kent Nagano. 2017-2019. Livret en anglais et allemand. Textes chantés en latin et français, traduction en anglais et allemand. 3 CD BR KLassik.  900203 

Le Klarafestival débute en beauté

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Même si le Klarafestival s’est choisi pour thème cette année un Libera me qui n’est peut-être pas d’une parfaite clarté (on peut se libérer de tant de choses), le concert inaugural du festival n’en fut pas moins une réussite due autant à une programmation intelligente et libérée des facilités de la routine qu’à des interprètes qui s’engagèrent pleinement en faveur des oeuvres qui figuraient au programme de cet European Gala.

A la tête d’un Chamber Orchestra of Europe qui, basé à Londres, livre par son existence même la plus belle des réponses -y compris dans son pays d’accueil- à ceux qui pourraient se demander à quoi peut bien servir l’Europe, le jeune chef allemand David Afkham entama la soirée par les rares Deux épisodes tirés du Faust de Lenau de Liszt. Dans le premier, La Procession nocturne, tant les effectifs réduits de l’orchestre que la patte légère du chef (dirigeant ici sans baguette) assurèrent une exécution toute de transparence et de poésie, alors que La Danse dans l’auberge du village (qui n’est autre qu’une adaptation pour orchestre de la Méphisto-Valse N° 1 du compositeur) se vit enlevée avec un élan irrésistible par un David Afkham menant ses troupes - cette fois-ci avec baguette- avec cette autorité naturelle qui est la marque des vrais chefs.