Les Wiener Philharmoniker et Franz Welser-Möst dans Mozart et Tchaïkovski : l’évidence

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Quelques mois après une splendide 9e de Bruckner, l’Orchestre Philharmonique de Vienne était de retour au Théâtre des Champs-Élysées. Les deux symphonies proposées n’ont pas été moins mémorables : la 38e de Mozart (dite « Prague »), et la 6e de Tchaïkovski (dite « Pathétique »).

Depuis 1933 les Wiener Philharmoniker n’ont plus de chef d'orchestre permanent, mais ont noué de relations privilégiées avec des chefs invités. Parmi eux, Franz Welser-Möst, qui le dirige régulièrement dans différents contextes (notamment pour la saison au Musikverein et au Festival de Salzbourg). Signe de la grande confiance que lui font les musiciens (qui choisissent eux-mêmes leurs programmes et leurs invités) : il a été déjà trois fois le maître d’œuvre du mythique Concert du Nouvel An.

À le voir diriger, on ne peut s’empêcher de le comparer à un autre musicien qui a marqué cet orchestre au XXe siècle, et et particulier ces Concerts du Nouvel An : Carlos Kleiber. Ils ont en commun l’élégance et la prestance du geste, ainsi que, si l’on tient compte du rendu musical, une certaine sensualité.

Datée de 1786, la 38e de Mozart est celle qui précède la trilogie de l’été 1788, ces trois dernières que l’on peut considérer comme l’aboutissement de la pensée symphonique du compositeur. Son surnom vient de ce qu’elle a été composée pour être jouée à Prague, ce qui a son importance : il venait d’y faire un triomphe avec Les Noces de Figaro (qu’il allait renouveler la même année avec Don Giovanni), et savait qu’il pouvait s’y montrer lui-même, loin des contraintes de Vienne. En revanche, sans doute parce qu’il n’était pas certain d’y trouver de suffisamment bons clarinettistes, il s’est passé de cet instrument que pourtant il adorait. Il en résulte une couleur d’ensemble brillante et lumineuse, renforcée par la tonalité jubilatoire de ré majeur.

Avec un effectif plus réduit que pour la suite (une trentaine de cordes), Franz Welser-Möst en donne une interprétation magistrale. Il y a du drame, mais sans pathos. Il y a de la joie, mais sans excitation. Il y a de la tendresse, mais sans sensiblerie. Personne, ni le compositeur, ni l’orchestre, ni le chef, n’a rien à prouver. Ils laissent simplement leurs talents s’exprimer.

La légendaire homogénéité des cordes (tous recrutés exclusivement parmi les musiciens de l’Opéra de Vienne, après y avoir fait leurs preuves pendant au moins trois années) fait d’autant plus merveille qu’avec la légèreté de l’orchestration de Mozart, on entend distinctement chaque partie. C’est absolument admirable.

En deuxième partie, la 6e de Tchaïkovski. Elle doit son surnom de « pathétique » à son dernier mouvement, un déchirant Adagio lamentoso, donc un mouvement lent, ce qui était contraire à tous les usages de la symphonie, y compris chez Beethoven (qui les avait pourtant bien bousculés). Ces termes (« pathétique », « lamentoso ») peuvent induire un malentendu : cette symphonie n’est pas inévitablement larmoyante, ainsi que nous l’a prouvé Franz Welser-Möst.

Nous pourrions louer chaque note, chaque accord, chaque phrase, chaque solo, tant les Wiener Philharmoniker sont éblouissants. Mais ce qui frappe avant tout, c’est la sonorité d’ensemble, qui reste toujours, quelle que soit l’orchestration, d’une cohésion exceptionnelle. Quand le piccolo ou le tuba interviennent, à chaque extrémité de la tessiture,on les entend distinctement ; ils parviennent néanmoins à s’intégrer sans aucun heurt pour l’oreille.

Quant au contenu artistique, on y retrouve les mêmes qualités que dans la 38e de Mozart. Et, donc, nul apitoiement sur soi-même. Franz Welser-Möst en donne une interprétation à cœur ouvert, où chaque épisode convainc de sincérité, toujours dans une continuité musicale, même quand il y a des secousses émotionnelles. Symphonie d’un romantisme exacerbé ? Sans doute. Mais avec, ici, un propos qui dépasse le subjectif, pour tendre à l’universel.

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 10 septembre 2025

Pierre Carrive

Crédits photographiques : © Julia Wesely

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