Deux rares messes d’Annibale Padovano, superbement défendues par l’ensemble Cinquecento
Annibale Padovano (1527-1575) : Missa A la dolc’ombra. Motet Domine a lingua dolosa. Missa Domine a lingua dolosa. Cipriano de Rore (c1515-1565) : Motet A la dolc’ombra. Cinquecento Renaissance Vokal. Terry Wey, contreténor. Achim Schulz, Tore Tom Denys, ténor. Tim Scott Whiteley, baryton. Ulfried Staber, basse. Avec Bernd Oliver Fröhlich, Jan Petryka, ténor. Février 2023. Livret en anglais, allemand. Paroles en latin, traduction en anglais et allemand. 75’23’’. Hyperion CDA68407
Compositeur originaire de Padoue, comme l’indique son patronyme, sa carrière se partagea entre Venise (outre son maître Adrian Willaert, il y côtoie ses confrères Claudio Merulo, Cyprien de Rore, et Andrea Gabrieli) et la cour de Graz, au service de Charles II (1540-1590). Même s’il laisse aussi un intéressant catalogue dans le répertoire vocal, tant profane (madrigaux) que sacré, il reste surtout connu pour sa musique instrumentale : précurseur de la Toccata italienne pour orgue, auteur d’un fondamental recueil voué au Ricercar (1556), l’année-même où il sera un temps congédié de la tribune de la basilique San Marco où il avait été titularisé à l’âge de vingt-cinq ans.
Une semonce qui n’empêcha pas une augmentation de sa rétribution en 1564, alors que sa situation désargentée briguait des positions plus lucratives. Il les obtint en 1565 auprès de l’empire des Habsbourg, après la mort de Ferdinand I, frère de Charles Quint. Son fils Charles se l’attache alors à grands frais pour développer les ressources musicales de sa chapelle, dans le style de la cité sérénissime, plaçant d’abord Padovano à la tête de son ensemble instrumental (1567), puis aussi des chanteurs (1570), et le chargeant de l’instruction musicale de son épouse Marie de Bavière. Gage de la fierté que l’archiduc tirait de sa recrue, il l’emmène en 1568 aux festivités organisées à Munich pour les noces de son futur beau-frère Wilhelm V et Renée de Lorraine. Outre une Aria della Battaglia pour l’ensemble de cuivres qu’il dirigeait, Padovano y fit entendre une Missa à 24 voix.
En 1573, il dédiera à Wilhelm une collection de trois messes, dont A la dolc’ombra et Domine a lingua dolosa enregistrées sur cet album. Elles relèvent de la catégorie des messes-parodies, empruntant à un matériau polyphonique préexistant. En l’occurrence, un madrigal publié par De Rore en 1550, et un motet de Padovano lui-même, que l’équipe de Cinquecento place tous deux au cœur du CD. Recourant à une paire de ténors invités en complément des cinq chanteurs, l’Agnus Dei à sept voix atteste la maîtrise polyphonique d’un créateur au faîte de son art.
Si l’on excepte sa Missa à 24 gravée par le Huelgas Ensemble de Paul Van Nevel (Harmonia Mundi, juin 2000) et par La Capella Ducale de Roland Wilson (DHM, juin 2018), les messes du Padouan ont peu motivé l’engouement des micros. On saluera d’autant l’initiative de Cinquecento, qui les tire de l’oubli, et en propose une interprétation superlative.
« Des lectures bien pensées et sensibles, aussi transparentes que somptueuses, baignées d’une lumineuse et charismatique ferveur » écrivions-nous au sujet de l’album consacré à Ludwig Daser, –autre contributeur de la cour bavaroise. Derechef, même compliment mérite la présente parution, accompagnée d’une experte et captivante notice biographique signée de Grantley McDonald, docteur en Musicologie de l’Université de Melbourne, et docteur en Histoire de l’Université de Leyde. Pareil hommage à Padovano fait date, et confirme le très haut niveau de la discographie qu’accumule l’ensemble viennois depuis une vingtaine d’années.
Christophe Steyne
Son : 9 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10