A Genève, Chopin et sa musique de chambre
A Genève, s’achève le Festival Chopin qui, pour sa 28e édition, a comporté un programme mixte récital/concert avec l’intervention du Quintette Ephémère, trois récitals et une masterclass dirigée par la pianiste Leonora Armellini. En la Salle Franz Liszt du Conservatoire, la soirée du 12 août était dédiée à la production pour violoncelle et piano de Chopin et à son Trio pour piano, violon et violoncelle op.8.
A cet effet, Aldona Budrewicz-Jacobson, la présidente et organisatrice du Festival, a invité deux artistes polonais, un remarquable violoncelliste de 37 ans, Marcin Zdunik, et un pianiste de douze ans son aîné, Pawel Mazurkiewicz. Tous deux natifs de Varsovie, ils s’y sont rencontrés récemment pour la première fois, car le second enseigne actuellement à la Haute Ecole des Arts de Berne.
Formé auprès d’Andrzej Bauer à l’Université de Musique de Varsovie puis auprès de Julius Berger au Leopold Mozart Zentrum d’Augsburg, Marcin Zdunik s’est produit sur des scènes aussi prestigieuses que Carnegie Hall, le Konzerthaus de Berlin, le Cadogan Hall de Londres ou le Rudolfinum de Prague. Quant à Pawel Mazurkiewicz, il a été élève de Jan Ekier et de Bronislawa Kawalla au Conservatoire Fryderyk Chopin de Varsovie dont il est diplômé depuis 2000. Il a poursuivi ensuite ses études à la Haute Ecole des Arts de Berne et est lauréat du XXXe Concours Chopin de 1997 à Varsovie et du Concours Szymanowski de 2001 à Lodz.
Leur programme du 12 octobre comporte l’intégrale de la musique pour violoncelle et piano de Chopin et commence par l’Introduction et Polonaise brillante en ut mineur op.3 qui fut écrite durant l’automne de 1829 à Antonin près de Poznan chez le Prince Antoni Radziwill avec l’espoir que Wanda, sa fille, la jouerait, ce qui advint pour la Polonaise qu’elle créa avec son père. L’Introduction fut rajoutée en avril 1830 et la partition complète fut éditée à Vienne en 1831. Dès les premières mesures, le violoncelle imprime un caractère majestueux au cantabile qui se développe sur un accompagnement volubile qui semble vouloir prendre le dessus. Mais ses traits bavards se rigidifient pour conférer du panache à la Polonaise dont Marcin Zdunik s’ingénie à tirer expression, tandis que les passaggi échevelés déferlent sur le clavier.
La Sonate en sol mineur op.65 est d’une tout autre qualité, car elle date de la fin de la vie de Chopin qui y travailla durant les années 1845-1846 et la créa chez lui en mars 1847 avec le concours de son ami Auguste Franchomme en l’honneur de la Comtesse Delphine Potocka. Tous deux en jouèrent les trois derniers mouvements (à l’exception du premier, si difficile) lors du dernier concert de Chopin à Paris le 16 février 1848. Dans l’Allegro moderato initial, le violoncelle recherche l’intériorité en cultivant un lyrisme profond sous un legato intense que le piano exacerbe en lui insufflant de pathétiques élans. Le Scherzo voit l’instrument à cordes préserver à tout prix cette noblesse racée que le clavier tente d’émoustiller, avant de s’unir à lui pour imprégner le Largo d’une ineffable poésie où perlent les larmes. Le Final est emporté par le dynamisme exubérant du piano que le violoncelle s’ingénie à tempérer en diversifiant le discours par de subtils ritardandi.
En seconde partie, est proposé le Grand Duo concertant sur des thèmes de Robert le Diable écrit dans les années 1832-1833 au moment où Chopin fait la connaissance d’Auguste Franchomme. Le piano livre ici une introduction semblable à celle qui précéderait un air d’opéra. Et c’est le violoncelle qui expose trois thèmes de la partition de Meyerbeer, la romance du ténor et le chœur des chevaliers de l’acte I et le trio du cinquième acte, avec un lyrisme retenu qui contraste avec le florilège de traits virtuoses déferlant continuellement sur le clavier.
Pour achever le concert, Olivia Vilmart-Jacobson, violoniste fondatrice du Quintette Ephémère, se joint aux deux exécutants pour présenter le Trio en sol mineur op.8 élaboré entre 1828 et 1829, alors que Chopin fait la connaissance du Prince Radziwill auquel l’œuvre sera dédiée. Et c’est chez le compositeur lui-même qu’aurait eu lieu la première exécution. Violon et violoncelle prêtent un caractère pathétique à l’Allegro con fuoco que le piano ornemente abondamment, avant de se laisser gagner par la veine nostalgique du dialogue de ses partenaires. Le Scherzo est innervé de joyeuses envolées que le Trio rendra bucoliques, tandis que l’Adagio sostenuto confie au clavier le soin d’opposer un motif dramatique à un cantabile émouvant par son intensité expressive. Le Final (Allegretto) est un rondò à la krakowiak qui fait briller le piano, tandis que le violoncelle épaulé par le violon développe un récit d’une simplicité touchante que la coda emplira d’une joie débordante. Et c’est bien le sentiment qui habite le public ravi de découvrir ce répertoire peu prisé, alors qu’en bis est offerte la reprise du Scherzo.
Par Paul-André Demierre
Genève, Conservatoire de Musique, Salle Franz Liszt, 12 octobre 2025
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