Rose Naggar-Tremblay, Haendel en menu dégustation
La contralto Rose Naggar-Tremblay fait paraître un album consacré à Haendel (Arion). C’est un choix logique tant les partitions du compositeur accompagnent la carrière de la jeune artiste qui nous offre un véritable menu de roi au fil des airs, accompagnés par l'Orchestre de chambre de Toulouse. Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec cette musicienne, bien dans son temps et qui développe une carrière loin des catégories passant avec aisance du lyrique à la chanson.
Pour votre premier album, vous avez choisi le répertoire des airs de Haendel ? Pourquoi ce compositeur ?
Enregistrer un album solo, dans le climat financier mondial actuel, est un immense privilège. Je voulais m’assurer de proposer un répertoire qui me colle à la peau. Haendel est le compositeur que j’ai chanté le plus souvent sur scène. Il n’y a pas un seul de ses rôles pour contralto (ou contre-ténor) du registre de Senesino que je ne me sentirais pas apte à défendre en production. J’ai d’ailleurs accepté de changer de rôle à la dernière minute l’an dernier, passant de Cornelia à Cesare dans une production du Capitole de Toulouse sous la direction de Christophe Rousset, à peine une semaine avant le début des répétitions. J’ai pu relever ce défi parce que je savais que le rôle de Cesare serait idéal pour ma voix, et que le plus grand défi, pour moi, serait simplement de le mémoriser.
Une fois le compositeur choisi, il vous a fallu déterminer les œuvres et le nombre de partitions de Haendel est colossal. Comment avez-vous choisi les airs ?
Bien qu’il y ait encore plusieurs rôles que je rêvais d’interpréter au moment du choix de pièces (Orlando, Bertarido, Cesare pour n’en nommer que quelques-uns ), je me suis inspirée des apprentissages découlant de l’enregistrement de mon album de chansons. En effet, mon seul regret suite à celui-ci avait été de ne pas avoir prévu ma tournée de spectacles avant d’aller en studio. La scène est le meilleur laboratoire. La relation avec le public et les collègues transforme nos interprétations, les font passer du papier à la chair vibrante. J’ai donc choisi d'interpréter sur l’album uniquement des œuvres que j’avais déjà vécues sur scène. À l’exception des airs de Cornelia, que j’aurais dû faire une semaine après à Toulouse, et de Polinesso, clin d’œil à la gigantesque Ewa Podles qui nous a quittés l’année dernière.
Dans le communiqué de presse qui accompagne la sortie du disque, vous déclarez “J’ai envie que l’on offre ce disque à ses amis, à l’heure de l’apéro, comme une délicatesse qui inspire la joie du partage.”. La musique ne peut-elle être que synonyme de bonheur et de joie ?
Bien sûr que non, l’album comprend bon nombre de moments mélancoliques ou suspendus, mais la tristesse est déjà tellement plus douce quand elle est partagée. Haendel était lui-même un gourmand notoire, c’est ce qui m’a donné l’idée d’évoquer la joie d’un festin de jour de fête sur la pochette.
Vous êtes Canadienne et contralto colorature et naturellement, on pense aussitôt à votre compatriote Marie-Nicole Lemieux, bien connue ici en Belgique. Je crois savoir qu’elle est une figure particulièrement inspirante pour vous ? Quelles sont les autres chanteuses qui vous inspirent ?
J’ai suivi la carrière de Marie-Nicole de loin depuis mon adolescence, mais j’ai eu le bonheur de travailler avec elle tout récemment alors que j’étais sa doublure pour une production de Carmen. Quel bonheur de pouvoir la côtoyer de plus près ! C’est un véritable feu roulant d’idées musicales et théâtrales, il faut arriver en pleine forme pour pouvoir la suivre. J’ai toujours été fascinée par le timbre unique et la bravoure d’ Ewa Podles et le raffinement de Nathalie Stutzmann. Je rêverais d’ailleurs de pouvoir chanter sous sa direction.
Vous êtes également auteure-compositrice et vous avez sorti en 2024 un premier album de chansons originales intitulé "je me souviens à toi". En quoi cette pratique nourrit-elle vos activités dans le domaine de la musique classique ?
Je pense que les plus grands interprètes nous donnent l’impression que la musique coule de leur âme dans l’instant présent, comme si elle n’avait jamais existé sur le papier auparavant. L’écriture de mes chansons, bien qu’étant un tout autre genre que ce que j’interprète dans le monde classique, me rappelle au geste de la création, de l’expression la plus sincère et vulnérable dont je suis capable. Inversement, les exigences technique et stylistique lyriques m’inspirent à traiter toutes les musiques que j’interprète avec le plus grand respect. Je me suis préparée avec la même discipline pour chanter les chansons de Robert Charlebois avec lui et l’orchestre symphonique de Montréal que pour faire mes débuts à la Scala avec les Talens Lyriques.
La musique classique est un domaine qui (trop souvent) adore catégoriser les artistes dans des répertoires précis. Est-ce qu’il est important pour vous, à travers vos activités, de garder une flexibilité et d’éviter cette catégorisation ?
Je pense que certaines personnes ont une fibre de spécialistes, et d’autres sont trop gourmands et avides de tout essayer. Je fais définitivement partie de la deuxième catégorie. Cependant, je sais bien m’entourer quand j’aborde un nouveau répertoire. J’ai la candeur d’admettre ce que j’ignore et de poser beaucoup de questions. J’aimerais avec le temps développer quelques rôles signatures, parce que j’adore avoir la satisfaction d’aller au bout de la recherche, mais il y aura certainement toujours une grande part d’exploration à ma pratique.
Le site de Rose Naggar-Tremblay : www.rosenaggartremblay.com/
A écouter :

Händel Gourmand. Orcheste de Chambre de Toulouse, Rose Naggar-Tremblay, contralto. Arion
Au concert :
Concert de sortie le 23 novembre 2025 Salle Colonne
Crédits photographiques : Marjorie Guindon
Propos recueillis par Pierre-Jea Tribot
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