A Genève, le succès mérité de Daniele Gatti  

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 En ce début de saison 2022-2023, l’Orchestre de la Suisse Romande invite un chef que l’on entend rarement dans nos contrées, actuellement affiché régulièrement à l’Opéra de Rome et au Mai Musical Florentin. A partir de la saison 2024-2025, il deviendra le directeur musical de la Sächsische Staatskapelle de Dresde. Pour l’avoir entendu diriger Rossini au Festival de Pesaro et Verdi à la Scala de Milan, j’ai eu l’étrange impression que la musique italienne n’était pas son point fort. Mais lors du concert du 5 octobre consacré à Wagner et à Richard Strauss, j’ai découvert un tout autre chef dans son répertoire d’élection. 

Son programme commence par diverses pages symphoniques extraites de Götterdämmerung. Pour suggérer le ‘Lever du jour’, il soutire des graves un brouillard imprécis d’où émerge une phrase ascendante des violoncelles. La clarinette imprègne le discours des cordes d’un flux passionné qui s’enfle jusqu’à la boursouflure, alors que les cuivres dessinent le profil du Siegfried conquérant. Le cor sonne dans le lointain, au moment où il s’embarque pour descendre le Rhin, tandis que s’imbriquent les motifs rappelant les trois naïades privées de l’or maudit, l’anneau du Nibelung et le cercle de feu provoqué par Loge en une fluidité des lignes qui allège le canevas. Par des accords à l’arraché entrecoupés de brèves pauses, est dépeinte la ‘Mort de Siegfried’ qu’enveloppe le murmure presque imperceptible des violons dans l’aigu. La ‘Marche funèbre’ prend ici une dimension abyssale sur ces ponctuations de timbales abasourdies soutenant le choral des cuivres qui proclame les thèmes caractérisant l’intrépide héros. Le chef prend le temps de les détailler, avant que l’évocation ne s’achève sur de longues tenues interrogatives.

La seconde partie est constituée par Ein Heldenleben, l’imposant poème symphonique op.40 de Richard Strauss exigeant un effectif orchestral considérable qui fait ressentir que la scène du Victoria Hall est trop étriquée pour l’accueillir. Daniele Gatti imprègne le thème initial d’une grandeur ronflante que produisent les arpèges de cordes dans le grave, épaulées par le cor. Les lignes s’entrelacent en un lyrisme passionné qu’attaquent les bois cinglants des critiques raillant la pseudo-stature du héros à coup de piques acérées. Mais le violon solo de Bogdan Zvoristeanu fait apparaître la compagne de l’artiste, ironisant en légers apartés sur ses sautes d’humeur que l’amour conjugal finira par apaiser. Les appels de fanfare en coulisse lancent le combat que vitriolent la petite flûte et les cuivres jusqu’à obtenir la victoire, en reprenant le motif du début enveloppé par les harpes. ‘Les œuvres de paix’ s’attardent sur les autocitations tirées de Don Juan, Tod und Verklärung, Zarathoustra, Macbeth et Don Quichotte. Le cor anglais prescrit la retraite et la résignation que corrodent brièvement les souvenirs belliqueux. Le discours se décante progressivement, tandis que les trompettes marquent l’apothéose du héros atteignant enfin la sérénité.

A peine parvenu à la dernière mesure, un spectateur laisse échapper un cri enthousiaste que le public amplifie pendant de longues minutes, en faisant fête à un maestro timide qui écrase une larme d’émotion.

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, concert du mercredi 5 octobre 2022

Crédits photographiques : Marco Borggreve

 

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