Au coeur du laboratoire Harnoncourt

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Nikolaus Harnoncourt Live. The radio recordings 1981-2012. Oeuvres de Johann Sebastian Bach (1685-1750)  ; Felix Mendelssohn (1809-1847) ; Joseph Haydn (1732-1809) Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) ; Ludwig van Beethoven (1770-1827) ; Franz Schubert (1797-1928) ; Johannes Brahms (1833-1897) ; Robert Schumann (1810-1856) ; Antonín Dvořák (1841-1904) ; Anton Bruckner (1824-1896) ; Johann Strauss Jr (1825-1899). Solistes, choeurs et Royal Concertgebouw Orchestra Amsterdam, direction : Nikolaus Harnoncourt. Enregistré en concert entre 1981 et 2012. Livret en anglais, allemand, français et néerlandais. 15 CD RCO 19007

L’Orchestre Royal du Concertgebouw d’Amsterdam rend hommage à Nikolaus Harnoncourt avec un coffret qui reprend des captations de concerts réalisées entre 1981 et 2012.

La collaboration entre le chef autrichien et la phalange batave s’étend entre 1975 et 2013 et le maestro fut même élevé, en 2000, au titre de chef honoraire. Les Pays-Bas, haut lieu du mouvement baroque, étaient par ADN un territoire ouvert aux expérimentations d’un musicien visionnaire comme Harnoncourt. Au début des années 1970, le chef avait fait quelques apparitions au pupitre des voisins de l’Orchestre de la Résidence de La Haye avant d’être convié au pupitre de l’illustre phalange d’Amsterdam. Les débuts furent naturellement consacrés à Bach avec la Passion selon Saint Jean, l’entente fut parfaite et ainsi s'amorça une longue relation. C’est au pupitre de l’Orchestre du Concertgebouw qu’Harnoncourt commença à élargir un répertoire qui se limitait alors à des œuvres composées avant 1800. Schubert et son "Inachevée" fut le premier pas ! Mendelssohn, Brahms, Schumann, Brahms, Johann Strauss Jr mais aussi Dvořák, Smetana, Berg et Berio (du moins son Rendering d’après Schubert) suivirent.  La collaboration entre Harnoncourt et les Amstellodamois est bien documentée avec plusieurs disques parus chez Teldec, le fidèle label du musicien et nombre d’entre eux consacrés à Haydn, Mozart, Schubert, Dvořák ou Bruckner sont des grandes références. 

Ce coffret archive des concerts qui par nature sont plus expérimentaux et où le chef est à la recherche de solutions créatives et novatrices. Cet exercice du concert apporte une tension qui touche souvent au sublime, à l’image des trois dernières symphonies de Mozart. Harnoncourt impose un Mozart à la pointe fine et sans joliesse, purement centré sur sa force musicale. Chef et musiciens se hissent à des niveaux vertigineux, galvanisés par une force commune ou tout s’imbrique avec innovation et naturel. D’autres captations sont plus expérimentales avec cette Inachevée de Schubert dont l’Andante con moto s’isole dans un exercice fabuleux de poésie et de nuances, comme si la balance initiée dans le premier mouvement parvenait à éclore jusqu’au sublime. La Symphonie n°1 de Brahms est plus inégale mais l’Andante sostenuto est magique là où les autres mouvements sont un peu plus raides jusqu’à une coda dantesque à la dimension épique vertigineuse. La Symphonie n°4 de Bruckner est étonnamment objective, boulezienne presque dans son côté diamant ciselé d’une musique pure. Au pupitre, Harnoncourt est le chef du laboratoire, expérimentant les solutions et ouvrant des possibles jusqu'ici inenvisageables. Les lectures des symphonies de Brahms, Schubert, Beethoven, Schumann ou Dvořák  sont très personnelles et réfléchies même si l’urgence du concert débouche parfois sur un résultat où certains détails sont un peu rigides car c’est la tradition que l’on questionne sans tabous. Les extraits des répétitions de la symphonie n°7 de Dvořák sont ainsi passionnants, nous permettant de plonger dans des séances de travail intenses.      

Du côté des œuvres vocales, tout semble éloigner la lecture pure de la Passion selon Saint Jean dans une dynamique collective dramatique et un peu austère, de la captation de la Missa Solemnis de Beethoven telle une cathédrale de lumières intimidante. La force de la direction parvient dans les deux cas à englober les œuvres comme un ensemble logique unifiant les pupitres vocaux et instrumentaux. On apprécie également les lectures. Mendelssohn (Songe d’une nuit d’été et Psaume 42) et Haydn (la Création) sont étincelants et portés par une unité de la conception du chef qui parvient à faire ressurgir les moindres détails des tissus orchestraux et vocaux. 

Ce coffret est naturellement un pilier dans la compréhension de la démarche et de l’art du chef d’orchestre. Le résultat évolue entre l'exceptionnel et le magistral et même les réserves émises sur certains détails sont des plus-values dans le questionnement sur les œuvres. Tous les amoureux de l’art unique d’Harnoncourt ne pourront pas faire l’impasse sur ce coffret édité avec un soin méticuleux qui se manifeste par un booklet passionnant pour ses précis historiques et sa remise en perspective.

Son : 9  Notice : 10   Répertoire 10  Interprétation : 10

Pierre-Jean Tribot

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