A Genève, l’OSR in American style
Pour un concert intitulé Made in America, l’Orchestre de la Suisse Romande braque les feux sur cinq compositeurs nés aux Etats-Unis. Pour des motifs personnels, Marin Alsop a renoncé à diriger le programme qu’elle avait minutieusement concocté pour cette soirée du 6 mars. Et elle est remplacée par Roderick Cox, natif de Géorgie, qui a remporté le Prix Sir Georg Solti décerné par la Fondation américaine Solti en 2018, alors qu’il était chef assistant du Minnesota Symphony Orchestra. Actuellement fixé à Berlin, il est le fondateur d’un programme qui offre des bourses et des opportunités de travail aux jeunes musiciens.
A peine arrivé sur le podium, il prend la peine de s’adresser au public en anglais afin de donner quelques indications à propos de la première pièce figurant à l’affiche, Fearful Symmetries, écrite par John Adams en 1988 en s’inspirant des dessins animés et de la musique pour les films muets. Prônant la culture pop à l’encontre du dodécaphonisme et du sérialisme, il joue la carte de la veine parodique en recourant à un big band élargi incluant un quatuor de saxophones, un synthétiseur et un keyboard sampler (clavier échantillonneur). Par un geste d’une extrême précision, Roderick Cox déroule lentement un ostinato mélodique qui s’amplifie démesurément avant de se confiner en de suspensives accalmies qu’anéantira la virulence des oppositions de coloris.
Faut-il ensuite conserver une formation aussi considérable pour la célèbre Rhapsody in Blue de George Gershwin conçue pour jazz-band et piano ? En tout cas, le canevas orchestral paraît bien épais, étouffant presque le jeu limpide du pianiste Alexandre Malofeev, prodige russe de 23 ans ayant remporté en 2014 le Concours Tchaikovsky pour jeunes musiciens. Mais il ne s’en laisse pas conter en tirant son épingle du jeu par un son clair, libre comme une improvisation, pouvant devenir, au fil des diverses séquences, percutant ou jazzy en demi-teintes fascinantes, tout en concluant avec un brio endiablé qui électrise la salle. Face à un succès aussi délirant, notre ange blond enveloppe de subtiles arabesques une transcription de la Danse de la Fée Dragée au dernier tableau de Casse-Noisette.
En seconde partie, n’apparaissent d’abord que la percussion et les cuivres pour deux pages mises en parallèle, Fanfare for the Common Man d’Aaron Copland et Fanfare for the Uncommon Woman de Joan Tower. Composée en hommage aux conscrits sous les drapeaux, la première, créée à Cincinnati en mars 1943, requiert quatre cors, trois trompettes, trois trombones, un tuba, les timbales et la percussion. Elle tient de la pièce de circonstance, vibrante de patriotisme, qui met en valeur la qualité des pupitres de l’OSR, ce que l’on dira aussi de la page de Joan Tower, répondant à une commande du Houston Symphony Orchestra qui la créa en janvier 1987 et qui est dédiée « aux femmes qui prennent des risques et qui sont entreprenantes », selon une allégation du programme du Philharmonique de Rhode Island.
Le concert s’achève par la Symphonie n.1 op.9 de Samuel Barber, écrite en 1936 en un seul mouvement, même si l’on distingue nettement quatre parties. Dès les premières mesures de l’Allegro ma non troppo, Roderick Cox s’emploie à mettre en valeur la générosité mélodique du motif des premiers violons, auquel répondent les alti avec modération. L’onctuosité des cordes est délibérément amplifiée par les vents en un crescendo pathétique que semble prendre à partie l’Allegro molto, au dessin nerveux comme un scherzo désinvolte. Par contraste, l’Andante tranquillo est empreint d’une sobre sérénité que chante le hautbois, tandis que, des registres graves, prend forme une passacaille exploitant les couleurs opulentes qui rendront triomphal le final en apothéose. Et le public acclame longuement ce chef que l’on souhaite revoir rapidement au pupitre de l’OSR !
Genève, Victoria Hall, 6 mars 2024
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