A Genève, une réussite absolue, Il Giasone de Cavalli

par
Il Giasone

Que l’opéra baroque peut être fascinant lorsqu’il est représenté intelligemment ! C’est l’impression que produit cette nouvelle production d’Il Giasone, l’un des ouvrages majeurs de Francesco Cavalli créé au Teatro San Cassiano de Venise le 5 janvier 1649. S’étirant sur plus de quatre heures mais réduite ici à un peu plus de trois heures, l’intrigue nous dévoile un Olympe de fantaisie où les dieux et l’Amour se gaussent des unions souvent licencieuses des mortels, même s’ils sont des héros de légende.

Tel est le cas de Giasone qui a engendré deux paires de jumeaux, l’une avec Isifile, reine de Lemnos, l’autre avec Medea, la magicienne de Colchide. La situation exaspère Ercole (Hercule) et les Argonautes qui voudraient poursuivre avec lui la quête de la Toison d’or. Débarquant avec ses enfants, Isifile affronte sa rivale qui exige de son amant (Giasone) qu’il lui donne la mort. Dans l’empressement, l’un des sbires, Besso, jette à la mer une Medea qui sera sauvée par son ancien soupirant, Egeo, qu’elle finira par épouser. Et notre héros pourra convoler en justes noces avec Isifile.
La mise en scène de Serena Sinigaglia s’empare cette trame souvent grivoise avec une distance ironique qui émoustille continuellement le spectateur en haleine. Ezio Toffolutti lui prête main-forte en concevant des costumes ‘historicisants’ pour les dieux ou pour Medea qui abandonnera le noir de la sorcellerie pour un fourreau blanc, alors que la rejoindra le mortel Giasone en chemise-cravate et pantalon de flanelle ; Ercole et ses Argonautes en tenues cuir de loubard côtoient une Isifile en robe-sac, toujours efflanquée de ses nounous ‘frenchies ‘ années trente poussant leurs landaus. Et ce parti pris déjanté se répercute sur son décor qui s’inspire des scénographies d’époque de Giacomo Torelli, avec une perspective de nuages débouchant sur une île dont les rochers peuvent s’entrouvrir. Et la tempête en mer recourt à une machine à vent prêtée par La Fenice de Venise, alors que les machinistes exhibent la maquette d’un vaisseau luttant contre les éléments en furie.
Passionnés par cette musique, Leonardo Garcia Alarcon* et sa Cappella Mediterranea emportent la longue partition dans une dynamique ébouriffante qui a la consistance idéale pour soutenir le plateau vocal. S’impose d’abord la Medea au grain sombre de Kristina Hammarström qui n’avait pas produit pareil effet en Bradamante d’Alcina mais qui est aussi saisissante dans la scène des enfers que l’apparition de Caronte dans L’Orfeo de Monteverdi. Tout aussi somptueuse s’avère l’Isifile de Kristina Mkhitaryan, alors que le contre-ténor Valer Sabadus** use de toutes les couleurs de sa palette expressive pour donner crédibilité au volage Giasone. Migran Agadzhanyan a la cocasserie de Demo, le serviteur bégayant d’Egeo, quand Dominique Visse tente de lui en ravir la palme en personnifiant à la fois la matrone Delfa, nourrice de Medea, et Eole, le dieu des vents. Mary Feminear campe un Amore joufflu comme les ‘putti’ de fresques vénitiennes quand Willard White a toujours fière allure tant en Giove (Jupiter) qu’en Oreste, valet d’Isifile. Raul Gimenez doit d’abord trouver ses marques avant de conférer une stature émouvante à Egeo, l’amant éconduit de Medea. La force tranquille habite tant l’Ercole d’Alexander Milev que le Besso de Günes Gürle, tandis que rayonnent l’Alinda de Mariana Florès et le… Soleil de Seraina Perrenoud. En résumé, la première réussite incontestable de la saison à l’Opéra des Nations !
Paul-André Demierre
Genève, Opéra des Nations, première du 25 janvier 2017

* ICMA Award Catégorie Musique ancienne
** Jeune Artiste de l'Année, ICMA 2013

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