Adrien Perruchon et l’Orchestre Lamoureux 

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Le chef d’orchestre Adrien Perruchon vient d’être renouvelé à la direction musicale de l’Orchestre Lamoureux. Cette annonce vient récompenser un travail exemplaire auprès de l’un des grands orchestres associatifs français, une phalange qui a tant marqué l’histoire de la musique symphonique. En prélude à un concert autour de Ravel, Adrien Perruchon répond aux questions de Crescendo Magazine. 

L’Orchestre Lamoureux est historiquement lié à l'œuvre de Ravel, est-ce que vous pouvez revenir un peu sur cette relation historique entre Ravel et l'orchestre ? 

Les liens entre l’Orchestre Lamoureux et Ravel sont en effet très forts avec plusieurs premières mondiales, l’orchestre ayant en quelque sorte accompagné le développement de l'œuvre de Ravel des Valses Nobles et Sentimentales (1912) jusqu’au Concerto pour piano (1932). L’Orchestre Lamoureux c’est donc la création d’autres grandes œuvres avec en plus de celles déjà citées La Valse, la version de concert de Bolero (création française), mais aussi des partitions moins emblématiques, voir oubliées comme l’orchestration hélas perdue du Noël des jouets  ou celle très belle de la Tarentelle styrienne de Debussy. 

Cette relation, c’est aussi un lien avec des interprètes directement liés à Ravel : les chefs d’orchestre Gabriel Pierné, Camille Chevillard, Paul Paray ou la pianiste Marguerite Long. Cette filiation ravélienne s’est poursuivie au fil des années avec des mandats de chefs d’orchestre comme Eugène Bigot, Jean Martinon, Igor Markevitch, Yutaka Sado. Un formidable capital discographique témoigne de cet héritage. Il est intéressant de noter, en regardant les programmes de saison que, déjà du vivant de Ravel, en marge des créations, son œuvre est  très rapidement entrée au répertoire régulier de l’orchestre. Daphnis et Chloé, par exemple, a été introduit par Camille Chevillard et donné en une décennie par une demi-douzaine de chefs dont Ravel lui-même, et Eugène Bigot en fit, bien avant Charles Munch, un des ses chevaux de bataille.   

Quand on pense orchestre français, et Ravel, on pense sonorité. Quelles étaient les particularités sonores de l'orchestre tel que Ravel a pu le connaître ?  

Le profil sonore des instruments était autre, avec une palette de timbres à coup sûr plus différenciée. Les cordes naturelles, les sourdines en bois, la perce plus petite des cuivres et bien entendu l’insensée richesse de la facture chez les bois. Paris seul comportait plus d’une dizaine de fabricants de hautbois alors qu’il y’en a probablement une poignée dans le monde actuel. L’outil qu’est la salle de concert est aussi un paramètre intéressant à envisager. Jouer une partition comme Daphnis et Chloé dans un espace comme la Salle Gaveau produisait certainement un effet différent du point de vue des auditeurs et des interprètes que celui que nous avons intégré en jouant dans des salles au lustre et au volume bien différents. 

Est-ce que cette esthétique sonore est maintenant totalement différente  ? 

L’évolution est inéluctable. Déjà la facture instrumentale a évolué, ce ne sont plus les mêmes instruments et les typologies spécifiques à l’époque de Ravel se sont évaporées au fil des années. Pour schématiser on peut dire qu’il a été cherché une sorte de dénominateur commun, en termes de volume, de timbres, d’intonation, bref dans à peu près tous les paramètres du son de l’instrument entre les composants de l’orchestre. En ajoutant à cela la grande mobilité des musiciens de nos époques contemporaines, l’expansion du corpus d'œuvres et des techniques instrumentales, on cherche probablement à se rassurer en retrouvant ses repères. 

Mais le corollaire est cette grande ouverture du répertoire avec des pans inconnus du temps de Ravel qui enrichissent l’orchestre et qui, bien exploités, nourrissent nos interprétations.  

Par rapport au son, est-ce que vous essayez de retrouver une  certaine sonorité française ? 

Je crois qu’il n’est pas antinomique de chercher à retrouver cet univers sonore avec l’évolution de la sonorité d’ensemble qui tire vers l‘internationalisation. C’est aussi le rôle du chef d’orchestre que d’être le garant des options interprétatives en fonction du répertoire. On ne fait pas sonner l’orchestre de la même manière dans Bruckner que dans Ravel. Les musiciens d’orchestre ont de nos jours une grande connaissance des styles et sont particulièrement aptes à s’adapter aux particularismes des compositeurs et à se montrer parfaitement à l’aise, quelque soit le répertoire. Il est enrichissant d’apprivoiser chaque œuvre via le prisme de tel ou tel orchestre, c’est un des grands privilèges de ma profession. 

L'Orchestre Lamoureux est un monument du patrimoine culturel français. Il a créé un grand nombre de partitions importantes de Ravel bien sûr, et d'autres grands compositeurs. Qu'est-ce qui reste, à l'heure actuelle, de ce prestigieux ADN ?

En effet l’orchestre Lamoureux a donné des premières mondiales de partitions de Debussy, Pierné, Chabrier, Boulanger, d’Indy, Ropartz, Chausson, Magnard… C’est un capital musical absolument fabuleux et il nous importe de faire vivre ce legs en intégrant ces œuvres à nos programmes, c’est une grande responsabilité pour nous ! Regarder vers cette histoire et s’enorgueillir d’avoir commandé à Pierre Boulez sa première pièce symphonique a toujours donné à l'orchestre le goût d’être dans son temps, dans son époque. Je crois beaucoup au fait, au delà de la création, de faire vivre les œuvres tant que les auteurs sont parmi nous. C’est ainsi que Ravel lui-même a pu revisiter ses partitions au fil des interprétations,  et c’est donc un souhait que nous partageons avec l’orchestre que de continuer ces collaborations. 

Depuis votre début de mandat de Directeur musical, vous revenez aux fondamentaux de l’orchestre avec le répertoire français, par la programmation de partitions célèbres mais aussi de pages plus rares, surtout des œuvres de compositrices françaises négligées pendant de longues décennies. Quelle est votre démarche ? Comment sélectionnez-vous les œuvres ? 

Chaque saison, nous reprenons ce répertoire par touches en fonction des programmes. Nous sommes fiers d’avoir pu rejouer des mélodies avec orchestre d’Edouard Lalo dont les partitions dormaient dans nos archives depuis leur création ou des mélodies de Nadia Boulanger dont nous avions perdu la trace et qui ont réapparu par hasard dans une bibliothèque à Lyon.

La recherche, remise en forme, parfois même l’édition totale de ces pépites demande beaucoup d’investissement et mobilise nos musiciens. 

C’est aussi un échange formidable avec les solistes de premier plan qui nous accompagnent dans cette démarche, et qui ont le goût de défendre ces musiques au même titre que les tubes du répertoire. Ainsi nous présentons prochainement avec la merveilleuse Momo Kodama le Concerto pour piano  (dans la version révisée, grâce au soutien de Ravel Edition) en tandem avec la Ballade  op. 111 de Fauré. Dans les saisons précédentes c’est Jean-Frédéric Neuburger qui a défendu la Fantaisie de Nadia Boulanger avec le Concerto pour la main gauche, ou encore Edgar Moreau qui a livré une version d’anthologie du redoutable Concerto de Jacques Offenbach.

Quelles sont les recettes afin de régénérer l'outil orchestre ? Qu'est-ce qu'il faudrait idéalement, pour réarmer,  l'Orchestre Lamoureux ? 

L’orchestre appartient à ses sociétaires et nos membres sont extrêmement investis dans la vie de l’orchestre.   Son excellente santé musicale et les recrutements de nouveaux sociétaires sont gage d’un avenir plein de promesses. 

Artistiquement, tout ce travail sur le répertoire mériterait d’être enregistré et diffusé, et nous recherchons activement les moyens financiers pour le faire.  Chaque programme symphonique est l’objet d’un faisceau d’activités autour du concert: séances pour les familles, scolaires, bébé concerts, accueil de jeunes musiciens avec lesquels nous travaillons et restituons ensemble lors des avant-concerts, et à partir de la saison prochaine nous étendons ces actions aux enfants en situation de handicap. Tout le pan social de l’activité de l’orchestre représente en fait un impressionnant volume d’activité.  La situation en région parisienne ayant évolué vers une plus grande offre en termes de lieux de concert, c’est l’occasion aussi pour l’orchestre de toucher de nouveaux publics. Bien évidemment, par rapport à la seconde partie de la question : il nous faudrait plus de moyens  pour amplifier nos actions.   

En plus de votre mandat auprès de l'Orchestre Lamoureux, vous dirigez très régulièrement en Allemagne et en Asie. Comment ce patrimoine musical français est-il apprécié dans ces zones géographiques  ?

Je perçois un intérêt grandissant pour la découverte de ces répertoires. Les programmateurs en Asie, y compris dans un pays avec une tradition symphonique plus récente comme la Chine, demandent de plus en plus des œuvres françaises sortant des canons du répertoire. En Allemagne, la situation est différente, le volume d'activité orchestral étant tel qu’il y a évidemment une place pour les partitions françaises. Nous avons par exemple, avec le Komische Oper Berlin, amorcé une tradition annuelle d’ouvrages moins connus d’Offenbach qui remporte chaque fois un vif succès auprès du public. Dans tous les cas, je crois à la résonance des œuvres et répertoires moins populaires avec les choses plus connues du public. 

C’est dans cet esprit que, lors de notre prochain concert parisien, Mel Bonis dialogue avec Debussy et Ravel, car c’est en jouant ces œuvres juxtaposées que l’on perçoit le mieux les passerelles entre elles. 

J’aimerais pouvoir proposer dans un futur proche les merveilles symphoniques d’Ernest Fanelli et  d’Augusta Holmes,  ou une intégrale des symphonies d’Albéric Magnard, coup de foudre musical dont j’ai découvert l’univers si particulier via la musique  de chambre dans mes jeunes années de bassoniste. À suivre ! 

Le site de l’Orchestre Lamoureux :  https://orchestrelamoureux.com/

Prochain concert : 

Le Monde de Ravel. Oeuvres de : Maurice Ravel, Claude Debussy, Gabriel Fauré, Mel Bonis. Momo Kodama, piano ; Orchestre Lamoureux, direction : Adrien Perruchon. Samedi 10 février à la Seine Musicale (20h30). 

Crédits photographiques :  OH JOONG SEOK

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