Aldo Ciccolini, l’indispensable

Aldo Ciccolini. The Complete Erato Recordings. 1956-2010. Livret en français, anglais et allemand. 1 coffret de 60 Cd. Warner. 5021732612069
Warner célèbre les 100 ans de la naissance d’Aldo Ciccolini avec un superbe coffret reprenant tous ses enregistrements pour EMI. Bien évidemment, nous ne sommes pas en terres inconnues tant le legs du grand artiste est régulièrement réédité et présent aux catalogues tant physiques que numériques. Il faut rappeler les liens entre l’artiste et le label qui lui offrit dès 1950 un premier contrat pour enregistrer des sonates de Scarlatti et qui le soutint pendant près de 40 ans dans toutes ses explorations discographiques.
En 2010, pour les 85 ans d'Aldo Ciccolini, Warner avait déjà édité un coffret monographique. Il n’empêche pour cette présente édition, on se régale de de découvrir de nouveaux inédits : des concerts au festival des Fêtes romantiques de Nohant (1972 & 1982) et un enregistrement studio de 2010 avec des pièces de bis.

Le répertoire
Ce qui fascine d’emblée c’est le répertoire, qui sortait des sentiers battus de la musique française, une passion pour ce napolitain de naissance, naturalisé français : Alexis de Castillon, César Franck, Déodat de Séverac, Emmanuel Chabrier, Jules Massenet, Vincent d’Indy ou Erik Satie. En effet, pour ce dernier, il n’avait pas dans les années 1950 l’aura dont il jouit actuellement. Aldo Ciccolini va particulièrement contribuer à la diffusion de l'œuvre de Satie. En 1956, il enregistre un premier album, premier pas d'une aventure au long cours et succès commercial incontestable. Il s’ensuit une première série d’anthologies au milieu des années 1960, mais le couronnement de ce parcours réside dans l’intégrale des années 1980 enregistrée en DDD. Ciccolini / Satie, c’est aussi l'histoire d’un succès commercial, le directeur de la filiale française d’EMI ne pensait vendre à peine plus de 200 exemplaires d'un premier album Satie ; 4000 seront vendus en une semaine ! Plus que tout autre pianiste, Aldo Ciccolini a particulièrement contribué à la reconnaissance de l’art du compositeur au point parfois d’être identifié à ce compositeur comme Glenn Gould peut l’être avec Bach. Dans ce parcours francophile, étonnamment peu de Ravel, sauf les concertos et l’accompagnement de mélodie et une intégrale tardive de l'œuvre de Debussy, enregistrée en 1991, en une dizaine de jours (après un premier disque gravé en 1969).
Franz Liszt est également un autre domaine d’excellence du pianiste. Il y a déjà une sorte de filiation spirituelle. Aldo Ciccolini avait étudié avec Paolo Denza, un élève de Busoni. On peut légitimement considérer l’artiste comme l’un des héritiers d’une école du piano romantique. Les doubles gravures des cycles des Années de Pèlerinages et des Harmonie poétiques et religieuses sont ici des sommets par la capacité narrative, mais aussi par la sûreté technique.
On redécouvre aussi deux autres péchés mignons du musicien : la musique espagnole et la musique russe. D’Espagne, il retient : Albéniz, Granados, de Falla et Monpou avec un enregistrement magistral de la suite d'Iberia d’Albéniz. Des Russes, à propos desquels, il disait que leur musique présentait un «charme indéfinissable fait de nostalgie, d'insatisfaction chronique de tendresse et de tristesse lancinante» est bercée sous des doigts passionnés, de la puissance virtuose de Tchaïkovski et Rachmaninov à la poésie de Borodine ou au pictorialisme de Moussorgsky.
On aurait tort de négliger ses lectures du répertoire classique : Brahms, Mozart, Schubert, Schumann.

Le style et la manière
Au fil de ces disques, l'oreille reste émerveillée par le don du pianiste à suggérer des couleurs mêlées à une saine pudeur devant toutes les intentions du compositeur. On peut certainement rêver Debussy plus charnel ou Déodat de Séverac plus impressionniste, mais Ciccolini sait trouver le ton juste entre subjectivité, respect du texte, maîtrise technique et sens narratif. La technique est au service de la narration comme il le disait si bien “on dit d’abord les choses, après on se préoccupe de la façon dont on les dit”. Peu de pianiste, on mieux cerner l’art de Chabrier, avec une digitalité un peu sèche qui permet de jouer de ces saynètes musicales, on est plongés dans des scènes de genre bigarrées d’une France un peu bourrue du Second Empire à des débuts de la IIIe république.
Au fil des disques, on se rend compte de l’une sorte d’une sorte de fascination méditerranéenne du musicien, des couleurs rauques et chaudes d’Albéniz, aux paysages méridionaux de Déodat de Séverac sans passer par l’éclat coloriste des sonates de Scarlatti. A travers les temps et les pays, Aldo Ciccolini semble le fil conducteur d’une passion pour le sens des musiques baignées par la lumière du soleil. Dans le Liszt des Années de pèlerinage, Ciccolini est un conteur magnifique, nous emmenant au fil des routes, des paysages et des rencontres alors que dans celui des Paraphrases d’opéras, il fait chanter son piano avec toute son élégance napolitaine.
Dès lors, on considérera ce millésime 2025 des enregistrements d’Aldo Ciccolini comme une référence incontournable avec tant de gravures auxquelles on revient souvent. Plus que jamais, Aldo Ciccolini est indispensable, il est tant un modèle, qu'une source d'inspiration.
Note globale : 10
Crédits photographiques : Foto Adelmann et Jean Mainbourg