Anna Besson, la flûte et Mozart
La flûtiste Anna Besson fait l'événement avec un album intégralement consacré à Mozart et à ses concertos avec flûte (Alpha). Cet enregistrement s’impose comme l'un des sommets dans une discographie déjà bardée de références ! Anna Besson, qui est liée à la Belgique, puisqu’elle enseigne au Conservatoire royal néerlandophone de Bruxelles, répond aux questions de Crescendo Magazine.
Pour les flûtistes, ces concertos de Mozart sont parmi les œuvres les plus connues et l’un des fondements de votre répertoire. Qu’est-ce qui vous a motivé à les enregistrer ?
J'ai tant joué ces concertos sur flûte moderne depuis mon enfance sans jamais vraiment comprendre comment parvenir au plus proche de ce qu'avait imaginé Mozart que la redécouverte de ce répertoire sur instrument d'époque a été un vrai déclic pour moi. Les jouer sur la flûte traversière traversière en bois (conique à une clé) répondait à presque toutes mes questions d'interprétation que ce soit au niveau du phrasé, des couleurs ou du timing, en apportant un tel éclairage à mon jeu et ma conviction de musicienne que l'idée de les graver au disque s'est imposée comme une évidence.
Vous êtes accompagnée pour cet enregistrement de l’ensemble A Nocte Temporis sous la direction de notre compatriote Reinoud van Mechelen. Comment avez-vous amorcé la perspective d’enregistrer avec cet ensemble et son chef.
Après avoir enregistré le dernier volet de la trilogie autour de la voix de haute-contre consacré au chanteur Legros, muse de Gluck, nous avions envie de continuer vers le répertoire classique et notamment Mozart : les airs de concert pour ténor pour lui et les concertos pour moi, en imaginant une sorte de diptyque, d’où les pochettes de nos disques qui une fois réunies forment une seule et même image. Nous nous sommes beaucoup renseignés sur la formation de l’orchestre à l’époque de Mozart, aux cadences, aux longueurs d’appoggiatures et autres questionnements pour être au plus proche de ce qui aurait pu se faire à la fin du XVIIIeme siècle à Vienne.
On connaît bien Reinoud van Mechelen comme chanteur. Est-ce que jouer et enregistrer ces concertos avec un chef d’orchestre qui a une pratique de chanteur a amené une réflexion différente sur la manière d’envisager les œuvres, les équilibres, les respirations ?
Travailler sous la direction d’un chanteur est un véritable atout. Ça l'est depuis notre tout premier enregistrement de cantates de Bach en 2016 et pour tous les projets de musique française qui ont suivi. La vocalité de l’ensemble, la capacité à exprimer les émotions contenues dans les œuvres ont été notre première mission depuis les débuts de l’ensemble et travailler avec Reinoud est une grande chance, dans Mozart comme dans Rameau !
Sur cet album, il y a le célèbre Concerto pour flûte et harpe, instrumentation assez rare. Comment trouver les bons équilibres entre ces deux instruments à la base si différents ?
Ces deux instruments n’ont en effet rien en commun mais leurs sonorités se marient extrêmement bien. Il y a par ailleurs pléthore de répertoire pour ce duo, notamment au début du XIXe siècle. Le grand avantage de jouer avec une harpe est que sa sonorité laisse toute la marge nécessaire pour aller chercher l’extrême des nuances et couleurs propres à chaque instrument sans crainte d’être couverte par l’autre (comme ça peut être le cas avec un piano). Nous avons d’ailleurs décidé de monter un programme en duo avec Clara en mettant à l’honneur le répertoire pour flûte et harpe de la période du Premier Empire en France.

Pour cet enregistrement, vous jouez deux instruments historiques. Comment les avez-vous sélectionnées ?
Nous savons que les Concertos en sol majeur KV 313 et ré majeur KV 314 ont été commandés à Mozart par Dejean, un riche flûtiste amateur représenté dans deux tableaux tenant une flûte en bois à une clé, ce que j’ai également choisi pour l’enregistrement. Le Concerto pour flûte et harpe K.299 correspond à la commande du duc de Guisnes qui voulait jouer une pièce avec sa fille elle-même harpiste. Le duc était ambassadeur à Londres où s’est développé en premier l’utilisation de clés supplémentaires pour parer aux sons faibles de la flûte à une clé et a ainsi pu faire découvrir à Mozart un modèle de flûte à 8 clés (avec notamment l’ajout de clés de do# et do grave). J’ai donc joué le Concerto pour flûte et harpe sur une copie de modèle Grenser à 8 clés, proche de la flûte qu’a pu entendre Mozart dans les années 1770.
Vous enseignez également au Conservatoire royal flamand de Bruxelles ? Qu’est-ce que vous apporte l'enseignement? Était-il important pour vous d’enseigner ici en Belgique, pays historiquement pionniers dans l’approche historiquement informée ?
Je trouve l’enseignement nécessaire et tout à fait complémentaire à ma carrière de concertiste. Chaque concert est un moment fort en émotions mais éphémère, tandis que l’enseignement offre cette possibilité de continuité et d’inscription dans le temps. Être actrice de l’évolution d’un futur flûtiste professionnel est extrêmement gratifiant et formateur puisque je continue moi-même à progresser en cherchant toujours des solutions pour les faire s’améliorer !
J’ai moi-même bénéficié de l’enseignement de Frank Theuns au KCB et lorsque j'ai obtenu le poste, j'ai réalisé que je prenais la suite de l’incroyable héritage de Barthold Kuijken et des merveilleux flûtistes qu’il a formés. C’est bien évidemment un grand honneur de pouvoir enseigner à mon tour dans ce lieu prestigieux.
Vous avez déjà réalisé et participé à de nombreux albums. Est-ce que vous avez déjà en tête une prochaine étape discographique ?
Oui, je vais débuter dans moins d’un mois l’enregistrement de l’intégrale des quatuors de Mozart avec flûte accompagnée de trois musiciens de l’ensemble a nocte temporis. J’ai encore d’autres projets en tête mais il est encore un peu tôt pour en parler !
A écouter :

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concertos pour flûte et orchestre n° 1 en sol majeur KV 313 et n° 2 en ré majeur KV 314 ; Concerto pour flûte et harpe en do majeur KV 299. Anna Besson, flûte ; Clara Izambert, harpe ; A Nocte Temporis, direction Reinoud Van Mechelen. 2023. Notice en français, en anglais et en allemand. 69’ 19’’. Alpha 1115.
Crédits photographiques : Senne Van der Ven et Arn Van Wijmeersch
Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot