Bernard Haitink en concert à Munich, étrange architecte dans la Septième de Mahler

par

Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie no 7 en mi mineur. Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, direction : Bernard Haitink. Live février 2011. Livret en allemand, anglais. TT 81’50. BR Klassik 900209

Pour le vinyle puis le CD, Bernard Haitink enregistra trois fois cette symphonie en conditions studio : avec le Concertgebouworkest d’Amsterdam (1969, 1982), puis le Berliner Philharmoniker (1992), la plus lente et fouillée de ce tiercé. Dix ans avant la disparition du chef néerlandais, le présent concert munichois profitait d’une somptueuse captation dans une salle silencieuse, et reconduit quelques aspects des précédents témoignages chez Philips. Une approche souplement façonnée, aux angles gommés, aux dynamiques fluides, qui peint chaque tableau avec un soin tout pictural mais en escamotant le potentiel narratif, au risque d’une certaine sous-caractérisation. Cette euphémisation menace gravement les visions cauchemardesques d’un Scherzo qui s’en trouve embourgeoisé, sans once de frayeur : un amorphe exercice de style pour une lecture des plus inoffensives qu’on ne saurait craindre. Cette fade épure désamorce les fantasmagories qu’instillait Rafael Kubelik avec le même orchestre (DG, 1970).

Quoique prudents, les tempi sont moins en cause qu’une articulation onctueuse qui estompe le relief tant discursif qu’émotionnel. Sous cette baguette, les embrayages du premier mouvement s'enchaînent sans hiatus (la transition Adagio – Allegro risoluto) et privilégient la continuité du flux, dénervé mais non dégraissé. On pourra certes succomber à ce regard homogénéisateur qui engendre une cohésion artificielle mais séduisante, sertie dans un jeu instrumental dense, précis et chaleureux, déployée dans des timbres cossus même si pauvres de nuances. La dignité, l’intelligence et la sobriété du ton dissuaderont de suspecter l’emphase.

On pourra néanmoins regretter des Nachtmusiken trop banalisées, simplifiées dans une veine néoclassique. Une sorte de résidu à sec. Dans l’Allegro moderato, illustrant la ronde d’une patrouille dans un « clair-obscur fantastique » digne de la Ronde de Nuit de Rembrandt, Bernard Haitink dilate les strates et aligne des phrasés purs mais dépourvus de subtilité. Dans l’Andante amoroso qui doit laisser palpiter l’allusion, un débit régulier enfile ici des charmes gironds et un peu sots : malgré l’avenante plénitude des cordes bavaroises, le prosaïsme évacue la grâce.

Pour clore le banc d’essai d’une interprétation singulière : un Rondo-Finale schématisé au forceps, impeccablement analysé et cadastré, renie sa facétieuse découpe séquentielle par une opulence qui éconduit les joutes ludiques et urbanise les rythmes de foire. Au terme de ce disque, on convient que le vénérable maestro défend une conception autoritaire, fièrement objective, souvent à front renversé, qui se cartographie dans une irréprochable prestation orchestrale, manifestement bien préparée. Derrière la douce manière et le gant de velours, on en vient toutefois à se demander si cadrer l’œuvre dans un temple académique ne relève pas d’une certaine violence esthétique qui mouvement après mouvement conspire contre la variété d’ambiances que l’on attend de cette partition. Difficile donc d’évaluer cette prestation à la physionomie inattendue et aux tentatives dérangeantes : une écoute, un questionnement, des étonnements à réserver aux mahlériens curieux et chevronnés.

Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 10 – Interprétation : 7

Christophe Steyne

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