Birgit Nilsson Prize 2025 : honneur au Festival d’Aix-en-Provence à Stockholm

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La cérémonie de remise du Birgit Nilsson Prize, décerné cette année au Festival d’Aix-en-Provence, s’est tenue le 21 octobre dernier au Konserthuset de Stockholm, en présence du roi Carl XVI Gustaf et de la reine Silvia.

L’annonce du sixième Prix Birgit Nilsson avait été faite en mai dernier, « pour les réalisations artistiques exceptionnelles du Festival, avec une mention spéciale pour la création en 2021 de l’opéra Innocence de Kaija Saariaho ». Doté d’un million de dollars américains — ce qui en fait le prix le plus prestigieux et le mieux doté du monde de la musique classique —, il avait été attribué pour la première fois en 2009 à Plácido Domingo, puis à Riccardo Muti (2011), au Philharmonique de Vienne (2014), à Nina Stemme (2018) et à Yo-Yo Ma (2022).

Une cérémonie sous le signe de l’opéra contemporain

Puisque le Prix 2025 met en lumière Innocence de Kaija Saariaho, créé à Aix-en-Provence, sa librettiste Sofi Oksanen figurait parmi les invitées d’honneur. Sir George Benjamin, dont les opéras Written on Skin et Picture a Day Like This furent également créés à Aix (respectivement en 2012 et 2023), était présent aux côtés du roi et de la reine, ainsi que de la maire d’Aix-en-Provence et du président du Festival.

En amont de la cérémonie, Oksanen et Benjamin participaient à un press talk en compagnie d’un invité surprise : Klaus Mäkelä. Tous trois ont évoqué la fabrique du Festival d’Aix et la genèse de Innocence, tandis que le chef finlandais laissait entrevoir « une grosse production » à venir pour l’édition 2026.

Un hommage au rôle du Festival

Dans son discours, Susanne Rydén, présidente de la Fondation Birgit Nilsson, a parfaitement résumé la motivation du Prix 2025 : « Depuis la naissance de l’opéra, cet art a offert à l’humanité des expériences musicales extraordinaires, des émotions fortes et des récits mêlant réalité et fiction, stimulant à la fois l’esprit et la société. La Fondation Birgit Nilsson est convaincue que l’opéra a un rôle essentiel à jouer à notre époque, en apportant de nouvelles perspectives et en nous invitant à vivre des expériences tant personnelles que collectives. Tout au long de ses 77 ans d’existence, le Festival d’Aix-en-Provence a précisément offert cela, en créant des expériences qui ont profondément marqué artistes et publics. »

Un concert d’une grande tenue

Outre la remise du prix par le roi de Suède, les moments les plus attendus pour les mélomanes furent sans doute les intermèdes musicaux. Trois chanteurs — le baryton Peter Mattei, la soprano Matilda Sterby et le ténor Daniel Johansson — se sont produits sous la direction de Susanna Mälkki.

Dans la sérénade de Don Giovanni et la romance puis le final de Tannhäuser, Peter Mattei a déployé son timbre velouté avec une autorité naturelle et une stabilité vocale impressionnante, semblable au tronc d’un grand arbre. En une seule apparition dans le final de Tannhäuser, Daniel Johansson a fait valoir une voix ouverte et ample.

La véritable révélation de la soirée fut toutefois Matilda Sterby, boursière Birgit Nilsson 2024. Lauréate du prix Schymberg 2022 et du concours international Wilhelm Stenhammar 2024, la soprano allie une technique irréprochable à une projection puissante, idéale pour le répertoire wagnérien. Dans l’air du mariage de l’acte V d’Innocence — dont la création suédoise date de moins d’un an —, elle a séduit par la richesse de son timbre, son aisance sur toute la tessiture et une présence scénique évidente. Sa manière d’entrer dans le rôle laisse présager une carrière internationale prometteuse.

L’Orchestre philharmonique royal de Stockholm, éclat et précision

Les moments orchestraux, assurés par l’Orchestre philharmonique royal de Stockholm, furent une autre belle surprise. Par son unité sonore, la qualité de chaque pupitre et l’équilibre subtil entre cordes et vents, la formation a démontré un niveau lui permettant de rivaliser avec les meilleurs orchestres européens. La direction de Susanna Mälkki y a certainement contribué. L’ancienne directrice musicale de l’Ensemble Intercontemporain manie les timbres avec une précision de magicienne, comme dans Excelsior ! de Wilhelm Stenhammar (1871–1927), une ouverture à la manière d’un poème symphonique au lyrisme chromatique.

Une autre pièce orchestrale, Laudatio de Sir George Benjamin, fut dirigée par le compositeur lui-même, qui a exprimé sa reconnaissance : « Collaborer avec Aix, c’est comme vivre un rêve d’opéra. Depuis le tout début jusqu’à la première mondiale […], j’ai toujours reçu un soutien incroyable. Les lieux d’Aix ont un charme unique, et même le public possède quelque chose de très particulier. »

Au cours de la cérémonie, un hommage a été rendu à la mémoire de Pierre Audi, directeur du Festival d’Aix-en-Provence, subitement disparu en mai dernier.

Une immersion dans l’esprit baroque suédois

En marge de la cérémonie, une visite du célèbre Drottningholm Palace Theatre — avec ses machineries du XVIIIᵉ siècle toujours en état de marche — a été organisée. Dans la soirée, un dîner musical s’y est tenu, ponctué d’extraits interprétés par l’Ensemble Höör Barock et la soprano Karolina Bengtsson, lauréate 2025 de la bourse Birgit Nilsson. Fondé en 2012 dans le village de Höör, dans le sud de la Suède, l’ensemble est dirigé par la flûtiste Emelie Roos et le luthiste Dohyo Sol. Communicative et d’une virtuosité confondante, Emelie Roos allie brio technique et intensité expressive. Un ensemble à découvrir, que l’on espère bientôt entendre au-delà de ses frontières.

Karolina Bengtsson, formée à la Royal Danish Academy of Music de Copenhague et au Mozarteum de Salzbourg, a chanté le rôle titre dans Louise de Gustave Charpentier cet été au Festival d’Aix. Sa voix se prête magnifiquement au répertoire baroque, mais son vaste répertoire laisse aussi présager de belles interprétations, de Mozart aux œuvres contemporaines.

Par cet hommage à la fois artistique et humain, la Suède a célébré non seulement l’excellence du Festival d’Aix-en-Provence, mais aussi sa capacité à faire vivre l’opéra d’aujourd’hui avec audace et fidélité à son esprit d’origine : celui d’un dialogue fécond entre création, mémoire et émotion.

Concert du 20 octobre au Drottningholm Palace Theatre et cérémonie du 21 octobre, au Konserthuset Stokholm, Suède.

Victoria Okada

crédits photographiques : Yunan Li

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