Castor et Pollux, constellation éclatante à Lille

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Comment l'australien, Barrie Kosky, actuel directeur de l'Opéra Comique de Berlin, est-il parvenu à épouser si étroitement le génie baroque français, dans sa cosmogonie, sa splendeur intime et sa dimension initiatique ? Certes, Monteverdi, Goethe, Shakespeare, Mozart, Strauss, Janacek et bien d'autres jalonnent sa trajectoire de metteur en scène... mais, au fond, peu importe! Car l'émotion esthétique et l'émotion humaine tout court, consument l'espace scénique tout au long de la représentation et cela suffit. Du désespoir de la jeune femme abandonnée à la jalousie furieuse en passant par les poignantes retrouvailles des deux frères gémeaux, on souffre avec les héros, on respire avec la musique de Rameau. Espace scénique défini par un cube de bois qui propulse admirablement les voix et à l'intérieur duquel les panneaux coulissent en hauteur. Espace traversé en diagonale par un monticule de terre où Télaïre enfoncera les bras pour creuser la tombe de son amant; d'où Castor surgira tel un nouveau-né des Enfers; pans coupés horizontaux laissant seulement apparaître les ballets de jambes des choristes dansants; mains surgissant du sol comme un tapis d'étranges et mouvantes fleurs; l'aspiration à l'épure (costumes contemporains qui équivalent à la simple nudité) met en œuvre une ingéniosité qui émerveille à chaque instant et enclenche le processus typiquement baroque du désir. Désir de dévoilement des apparences, désir de Vérité que l'artifice exacerbe. Cette vérité nous dit Rameau réside dans l'Harmonie des contraires. Ciel et enfers, masculin et féminin, divinités et mortels. Et c'est ce qu'incarne la représentation avec les moyens les plus crus. Jamais plaisir féminin ne fut plus approprié sur scène. Ainsi de la main sortie de terre qui caresse Phébé alanguie, ainsi des fausses petites filles aux innombrables dessous: car la trivialité du geste aiguise le mystère de l'attraction sexuelle. Comprenne qui voudra ou qui pourra, car comme au XVIIIe tout est proposé, rien n'est imposé. Le public de tous les âges peut trouver là de quoi nourrir ses songes sans jamais être violenté. En effet, tout est imbriqué dans une musicalité de mouvements, de gestes, de sentiments qui «sont» la palpitation même de la partition de Rameau. Chanteurs, Choeurs et Orchestre se sont embarqués à fond dans cette aventure collective et méritent une admiration unanime. D'Emanuelle Haim à la tête des impeccables Choeurs et instrumentistes de son Concert d'Astrée, des jumeaux Pascal Charbonneau et Henk Neven nobles et touchants, aux amoureuses aussi bien chantantes qu'excellentes actrices Emmanuelle de Negri (Télaïre) et Gaëlle Arquez (Phébé). Il est vrai que l'artifice scénique de la caisse en bois rend homogènes et sonores des voix qui ne seraient pas forcément aussi avantagées sur un plateau vide. Philippe Beaussant raconte qu'il eut la «révélation» baroque dans ses jeunes années lors de son séjour d'assistant en Australie. Des Antipodes, l'esprit baroque vient donc encore une fois ranimer les vieux sortilèges et ceux de Rameau tout spécialement, à l'occasion d'un anniversaire qui commence à rayonner dans les directions les plus surprenantes. Source d'étonnement, de joie, énigme éternelle de la musique lorsqu'elle est aimée.
Bénédicte Palaux Simonnet
Opéra de Lille, le 17 octobre 2014
A noter: L'Opéra de Lille a ajouté une exposition, une série de manifestations en l'honneur de cette année Rameau ainsi qu'un remarquable dossier pédagogique.

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