Dans l'ombre de Johann Sebastian...

par
L'Achéron

Johann Bernhard BACH
(1676 - 1749)
Quatre ouvertures
L'Achéron, dir.: François JOUBERT-CAILLET
2016-DDD-76'50-Textes de présentation en anglais, français et allemand-Ricercar RIC 373

Johann Bernhard Bach est assurément l'un des membres les plus méconnus de la dynastie Bach. Fils d'un cousin du père de Johann Sebastian, né à Erfurt en 1676 et donc l'aîné d'une petite dizaine d'année de son célèbre parent, il est par contre décédé un an à peine avant lui. Il semble que les deux hommes ne se soient rencontrés qu'à une occasion, lors de la mort en 1703 de Johann Christoph, cousin d'une autre branche de l'arbre familial, auquel Johann Bernhard succédera, à Eisenach, en tant que musicien de cour; il y deviendra plus tard, en 1712, maître de chapelle. On ne sait de lui pratiquement rien d'autre, hormis le fait qu'il obtint son premier emploi comme organiste dans sa ville natale avant d'être nommé à Magdebourg en 1699. Qu'en est-il de son oeuvre? Ce qui nous est parvenu est squelettique mais la qualité de ces quelques partitions nous fait regretter que le temps n'ait pas été plus clément à son égard: ne subsistent en effet que trois chaconnes pour clavecin, quelques chorals pour orgue et, surtout, les quatre ouvertures rassemblées ici, en fait des suites de structure similaire à celles de l'illustre cousin ou de Telemann, par exemple (le terme « suite » n'était pas utilisé en Allemagne, au contraire de la France). On y rencontre à foison gavottes, rondeaux, bourrées, airs, gigues, courantes et autres passepieds, d'usage tant chez les Français que les contemporains allemands de Johann Bernhard. L'importance de ces oeuvres ne saurait être sous-estimée: elles nous sont parvenues essentiellement à partir de copies de la main de Johann Sebastian et ont été retrouvées dans l'héritage de Carl Philipp Emmanuel; on y retrouve également l'écriture de Johann Ludwig Krebs pour certaines parties, ce qui atteste l'importance qu'elles revêtaient aux yeux du cantor de Leipzig... et à d'autres. Dès le début des années 1990, Thomas Hengelbrock et son Freiburger Barockorchester en avaient réalisé un enregistrement, disponible aujourd'hui dans la collection Erato Veritas. Il est à remarquer que la nouvelle version semble un rien plus complète que l'ancienne car elle intègre, dans deux des suites, des menuets absents chez Hengelbrock. Ce dernier, par contre, inclut à son programme des pages de Fasch, Telemann, Zelenka et Johann Ludwig Bach, au prix d'un deuxième disque. Avantage (décisif?) pour la version Ricercar: la notice remarquable, érudite et didactique de Jérôme Lejeune, claire, très complète et dont on appréciera la finesse d'analyse. L'honnêteté oblige d'ailleurs à reconnaître que l'article de votre humble serviteur s'inspire en grande partie de la richesse des informations fournies dans cette notice. L'écoute de ces partitions tout à fait remarquables surprend d'emblée: on se sent en permanence voyager, quant au style, entre l'univers de la musique française versaillaise et celui, très caractéristique, des innombrables suites de Telemann. On pourra être surpris par le choix de François Joubert-Caillet d'enrichir, grâce à l'ajout d'instruments à vent, l'orchestration de ces pièces, destinées à l'origine aux seules cordes. Cela n'a cependant rien d'iconoclaste: outre que cet « arrangement » est très bien fait et ne se laisse en rien deviner, Johann Sebastian lui-même revoyait à l'occasion « à la hausse » l'instrumentation originale de certaines des pages qu'il avait écrites; ce fut le cas, notamment, pour l'une de ses propres ouvertures. A noter qu'Hengelbrock avait procédé de même dans son disque, mais de manière plus discrète, nous a-t-il semblé, encore qu'il faisait intervenir ici et là une claironnante trompette, absente du disque Ricercar. Cette différence défavorise quelque peu la version Erato sur le plan auditif car l'opulence des sonorités de l'ensemble L'Achéron, ainsi qu'une prise de son plus flatteuse, rend l'écoute davantage agréable et séduisante. Précisons encore que l'orchestration choisie ici rend plus encore perceptible la proximité avec la musique française: on pense souvent à Lully. En ce qui concerne l'interprétation, les deux versions ont des atouts différents mais se rejoignent dans une remarquable élégance et l'amateur ne se posera pas la question de savoir qui choisir car la qualité de ces pages vaut bien le double investissement.
Bernard Postiau

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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