Deux récitals époustouflants

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Plus que trois jours d’épreuves nous séparent de la proclamation des douze finalistes.

Evan Wong
Evan Wong

C’est l’Américain Evan Wong qui ouvre la séance consacrée aux Concertos de Mozart. Agé de 26 ans, il vient d’achever ses études à la Hannover Hochschule für Musik après un passage par la Julliard. Accompagné par l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie sous la direction de Paul Meyer -qui ce jeudi marquera un tournant en modifiant ses rangs pour les trois dernières journées, Wong choisit le Concerto n°25 en ut majeur de Mozart qu’il ne défend pas toujours aisément. Sa technique, solide et sobre, démontre de belles conduites de phrases et une perception claire de l’architecture. Hélas, son jeu est à plusieurs reprises fragilisé par de la nervosité apparente. Préférant un tempo lent, il offre un second mouvement suspendu, aérien. Son jeu est dosé dans un flux jamais interrompu. C’est sans lourdeur qu’il entame le troisième mouvement, cette fois plus enlevé et dans une énergie qui confère à l’œuvre une belle conclusion. Une lecture en somme assez classique, pas exceptionnelle, qui aura mis du temps à démarrer et manque de souplesse à certains endroits, mais qui reste malgré tout intéressante et de très haut niveau.

Ning Zhou
Ning Zhou

A l’inverse, le candidat chinois Ning Zhou fait une proposition tout à fait surprenante du Concerto n°21 en ut majeur. Agé de 28 ans, il a étudié à San Franciso et Shanghai. Clairement et dès les première notes, Ning Zhou est un pianiste qui connaît la scène et qui en joue pour rendre une prestation captivante, dans le bon ou le mauvais sens du terme. C’est davantage sa volonté permanente de renouveler le discours qui marque les esprits. Ainsi, son premier mouvement se veut romantique, appuyé par une très grande liberté sur le choix des rubati, de l’ornementation ou tout simplement des couleurs et dynamiques. Certains effets dramatiques sont appuyés plus que d’autres tandis qu’il se plaît à bousculer l’orchestre par des moments de suspension ou au contraire de continuité totale. Néanmoins, et c’est d’ailleurs ce qui fait le miracle de sa prestation, il reste toujours dans le « cadre » de manière stricte. Le second mouvement est conduit dans la même logique, avec un discours chantant aux nombreuses couleurs que lui rend l’orchestre. Ning Zhou est l’un des premiers candidats à tant interagir avec l’orchestre, apportant de fait une plus grande homogénéité de son et une touche d’humour rafraîchissante. Ce dialogue se poursuit avec le mouvement final, dans un tempo relativement rapide qui fait parfois défaut au candidat. On pourrait néanmoins se demander si certaines décisions n’ont pas poussé le candidat dans le hors sujet. Mais ce qui est certain, c’est qu’il assume ses choix jusqu’au bout et que son Mozart, grâce à un tempérament espiègle, aura suscité quelques sourires.

Deux récitals époustouflants en seconde partie

Dmitry Shishkin
Dmitry Shishkin

Dmitry Shishkin est russe et il a 24 ans. Il démarre comme la plupart des candidats par la pièce imposée, Tears of Lights de Fabian Fiorini qu’il défend honorablement, notamment par le respect total des indications écrites dans la partition. On aurait juste souhaité qu’il aille encore plus loin dans la recherche de couleurs et de sonorités. Pour la Sonate n°11 en la majeur de Mozart, il arbore un jeu dosé, fin, ne faisant à aucun moment claquer les marteaux. La délicatesse et la rondeur de la sonate se transposent dans le Second Scherzo de Chopin. Davantage robuste et viril, Shishkin n’affiche aucune difficulté ici où tout semble facile pour lui. La structure est rudement bien construite, le climax amené de manière intelligente, le tout timbré à souhait. Il termine avec les Quatre Etudes op. 2 de Prokofiev qu’il maîtrise à la perfection. Jeu d’une grande fluidité, maîtrise de l’instrument, caractère furieux d’un candidat qui dompte l’instrument, bref, un parcours sans fautes.

Alberto Ferro
Alberto Ferro

La soirée se termine par l’un des plus jeunes candidats du concours, Alberto Ferro (20 ans). Lauréat de nombreux concours, il empoigne la pièce imposée de manière posée et réfléchie. Par cœur, il dirige chaque section avec finesse, prend le temps de faire résonner quelques notes, le tout dans une atmosphère intime. Il poursuit avec une lecture magistrale des Variations sur un thème de Corelli de Rachmaninov. Ici, Ferro développe une relation quasi intime avec le public à travers un cycle de variations inspiré, presque enivrant. D’une sobriété sans précédent, il propose à son auditoire une étendue de couleurs et de contrastes qui démontre, malgré son jeune âge, une grande maturité d’esprit. La Rhapsodie hongroise n°12 sera tout aussi impressionnante par le souci du détail et du renouvellement. Comme pour Rachmaninov, de nombreuses belles idées se juxtaposent à travers un jeu brillant et pétillant. Il n’y a pas grand-chose à dire, si ce n’est que c’est du grand piano pour un pianiste inspiré, épanoui et qui donne ce soir le meilleur de lui-même et qu’on espère revoir très vite.

Ayrton Desimpelaere
Flagey, mardi soir, le 11 mai 2016

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