Double hommage au chef d'orchestre Hans Schmidt-Isserstedt

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Hans Schmidt-Isserstedt Edition. Volume 1. Wiener Philharmoniker, London Symphony Orchestra, NDR-Sinfonieorchester, direction : Hans Schmidt-Isserstedt. 1952-1969.Livret en anglais. 14 CD. 484 3981. 

Hans Schmidt-Isserstedt Edition. Volume 2. London Symphony Orchestra, Concertgebouworkest, NDR-Sinfonieorchester, Stockholm Philharmonic Orchestra, Berliner Philharmoniker,  Hans Schmidt-Isserstedt,  Hans Schmidt-Isserstedt. Livret en anglais. 15 CD. 1944-1973. 484 5516. 

Decca Eloquence propose deux coffrets en hommage au grand chef d’orchestre allemand Hans Schmidt-Isserstedt (1900-1973) décédé il y a 50 ans. Bien oublié, ce musicien reste un bâtisseur d'orchestre dans la tradition des kapellmeister avec une flexibilité stylistique autant dans le grand répertoire que dans la création, sans oublier une fréquentation assidue de la fosse. Ce legs peut se diviser en quatre parties : les enregistrements Beethoven avec le Philharmonique de Vienne, ceux avec le Sinfonieorchester des Norddeutschen Rundfunks (désormais nommé NDR Elbphilharmonie) dont il fut le fondateur et le premier directeur musical, les piges de luxe comme chef invité, essentiellement en accompagnateur de concertos et les oeuvres lyriques. 

Hans Schmidt-Isserstedt naît avec le XXe siècle à Berlin en 1900. Il y étudie la musique et la composition avec Franz Schreker à la Berlin Hochschule für Musik. Il se parfait aux université de Münster, Heidelberg et Berlin. L’un de ses mémoires d’études portait sur l’influence italienne dans l’instrumentation des opéras de Mozart. Le jeune homme assiste alors à de nombreux concerts dont ceux dirigés par Arthur Nikisch et Felix Weingartner le marquent profondément. La direction l’attire et il commence alors la carrière traditionnelle depuis le bas de l’échelle en devenant à 23 ans répétiteur à l’opéra de Wuppertal. Vient ensuite le temps des premiers postes de chef : Stadttheater de Rostock (1928-1931) puis Staatstheater de Darmstadt  (1931-1933). L’arrivée des Nazis ne nuit pas à son développement de carrière et le musicien occupe deux postes de prestige : la direction musicale de l’Opéra d'État de Hambourg (1935-1945), puis au Deutsche Oper de Berlin (1943-1944) où il est même intendant, déclinant son autorité à tous les aspects de la gestion (période documentée dans le coffret volume 2 avec des extraits du Roméo et Juliette de Heinrich Sutermeister). Pourtant Hans Schmidt-Isserstedt n’était pas un collaborateur du régime : il n’a jamais adhéré au parti nazi et sa femme était de confession juive. Cette dernière et leurs deux enfants avaient quitté l’Allemagne pour Londres dès 1936. En 1945, il est contacté par les autorités d’occupation britanniques en charge de l'administration du nord de l’Allemagne pour relancer la vie musicale hambourgeoise en créant un orchestre radiophonique. 

Le chef d’orchestre fut ainsi le premier directeur musical du  Sinfonieorchester des Norddeutschen Rundfunks ou NDR Sinfonieorchester, fonction qu'il occupa pendant 26 ans. En 1955, Hans Schmidt-Isserstedt accepte un autre défi : la direction musicale de l’Orchestre philharmonique royal de Stockholm. Tout en cumulant les deux postes, jusqu’en 1964, le maestro menait une belle carrière de chef invité avec près de 120 orchestres à travers le monde. Hans Schmidt-Isserstedt était également compositeur de plusieurs partitions pour orchestre ainsi que d’un opéra, Hassan gewinnt.  

Beethoven à Vienne

La notoriété d’Hans Schmidt-Isserstedt pour les mélomanes assidus est basée sur ses deux cycles Beethoven gravés avec les Wiener Philharmoniker pour Decca : les Concertos pour piano avec Wilhelm Backhaus et les Symphonies. L’aventure commence en 1958/1959 avec les cinq Concertos pour se poursuivre de 1965 à 1969 avec les Symphonies. Dans ces années, Decca avait un large choix de chefs dans son catalogue, du vétéran Hans Knappertsbusch aux jeunes Lorin Maazel ou Georg Solti, mais le label fit le choix d’Hans Schmidt-Isserstedt pour graver la première intégrale des symphonies de Beethoven captée en studio de l’histoire des Wiener philharmoniker. Le choix était assez risqué car la relation entre le chef et l’orchestre était inexistante en dehors de cette collaboration ! En effet, les archives en ligne des Wiener Philharmoniker ne mentionnent pas le moindre concert public avec le chef. De plus, tous ces enregistrements ne furent jamais précédés de séries de concerts pour se rôder comme c’est de tradition le cas. Pourtant l’adéquation entre la direction du chef et les timbres des Wiener philharmoniker est exceptionnelle ! 

La direction de Hans Schmidt-Isserstedt est à la fois classique mais très équilibrée. Les tempi sont modérés, sans doute assez lents pour nos oreilles éduquées par les relectures ultérieures, mais le chef laisse s'épanouir les lignes musicales auxquelles il garde une parfaite lisibilité. La masse instrumentale ne sonne jamais avec lourdeur et le maestro vise à une parfaite imbrication des pupitres soutenus par un sens naturel du dialogue. Les Symphonies n°4 et n°6 sont ainsi des merveilles de finesse, d’élégance et de poésie, comme si le chef tentait de pratiquer de la musique de chambre à grande échelle, laissant liberté aux solistes des pupitres. Mais cette vision ne veut pas dire mollesse ou faiblesse. Les Symphonies n°3, n°5 et n°7 sont caractérisées par l’impact dramaturgique qu’il faut pour transcender le geste beethovénien. La Symphonie n°9, enregistrée en premier, est porté à un paroxysme à la fois classique par son élégante évidence que par une dramaturgie humaniste. La prise de son Decca est également l’un des grands atouts de cette somme.  Il faut dire que les Anglais avaient mandaté l’élite : l’ingénieur du son Gordon Parry (déjà aux manettes pour le Ring de Solti) et le producteur Erik Smith pour faire briller l'acoustique de la Sofiensaal, salle d’enregistrement mythique par son acoustique idéale. Au final, au fil des écoutes, cette intégrale est sans doute la plus satisfaisante de toutes celles gravées par les Wiener Philharmoniker, elle est portée par un geste intemporel qui sert autant la musique du Grand sourd que les timbres de l’orchestre.  On remonte un peu le temps avec l’intégrale des concertos pour piano, autre pilier du catalogue Decca. C’est une très belle intégrale, portée par un pianisme puissant et cursif à la hauteur de vue presque intimidante. Tous les concertos sont soumis à cette exigence à laquelle le chef répond à merveille. 

Hans Schmidt-Isserstedt : directeur musical à Hambourg et Stockholm

On l’a noté précédemment, Hans Schmidt-Isserstedt fut le fondateur et le premier directeur musical du Sinfonieorchester des Norddeutschen Rundfunks basé à Hambourg. Le chef a pu avoir l’incroyable opportunité de bâtir une phalange à partir d’une feuille blanche. Le premier concert fut donné en novembre 1945 après de six mois d'effort du chef pour réunir des musiciens d’exceptions. Car Hans Schmidt-Isserstedt ne voulait pas d’un orchestre en plus, il ambitionnait une phalange d’élite à même de rayonner dans le monde, voire même de titiller les Berliner philharmoniker : ses modèles étaient le NBC Symphony Orchestra de Toscanini pour le niveau musical vertigineux et le BBC Symphony Orchestra pour la parfaite flexibilité des répertoires.  Au niveau de la programmation, le chef se consacrait aux classiques mais ne perdait pas de vue de programmer des oeuvres récentes à commencer par celles des compositeurs modernistes bannis par les nazis (Britten, Stravinsky, Bartók,...)  tout en dirigeant des premières de partitions contemporaines à l’image du Studenlied de Gottfried von Einem ou de la Symphonie n°7 de Karl Amadeus Hartmann. Du côté des disques, l’aventure hambourgeoise fut documentée par plusieurs labels. 

Le parcours commence chez DGG avec des premiers enregistrements consacrés à Mozart : deux airs de Mozart avec la soprano Lore Hoffmann (1947), une Symphonie n°38 de Mozart (1948) et une Sérénade pour cordes de Tchaïkovski (1948).  On retient une symphonie de Mozart, vive, rapide, nerveuse et dégraissée. Chez Decca, on retrouve une Symphonie n°5 de Tchaïkovski (1952) qui était l’une des signatures du chef, grand succès de ses tournées internationales. On retrouve une lecture conquérante et altière, expurgée de tout romantisme calorique et d’effets de manche. On monte encore d’un cran avec une fabuleuse Symphonie n°7 de Dvořák (1953), emportée au charisme par une énergie communicative et une acuité tranchante, une sorte d’apothéose de la danse en version tchèque.  Dvořák encore avec 4 excellentes Danses slaves complétées par 7 Danses hongroises de Brahms, du répertoire de démonstration qui claque comme il faut mais sans vulgarités.

L’aventure discographique se poursuit chez DGG avec d’excellentes Sérénades de Dvořák  chez Accord, avec Shéhérazade de Rimsky-Korsakov là encore finalement musicale et dégraissé, et une intégrale des 21 Danses hongroises de Brahms, toujours dans une perspective protestante hanséatique qui évite le démonstratif facile. Enfin notons un album XXe siècle, avec deux partitions de Wolfgang Fortner (1907-1987), compositeur moderniste et surtout pédagogue reconnu (il fut le professeur de Hans Werner Henze, Bernd Alois Zimmermann, Hans Zender et Wolfgang Rihm) : La création, courte scène pour baryton et orchestre (avec rien moins que Dietrich Fischer-Dieskau) et les kaléidoscopiques Mouvements pour piano et orchestre avec Carl Seemann en soliste. L’intérêt est documentaire de porter à notre connaissance ces partitions modernistes, aiguisées, anguleuses, ténébreuses et parfois dissonantes mais bien écrites avec une certaine science des timbres. La direction de Hans Schmidt-Isserstedt est compétente par sa précision et sa sobriété. Enfin, le Concerto pour piano et orchestre de Ravel avec Monique Haas en soliste, interprétation de style qui fut pendant longtemps une référence. Le chef d’orchestre est à son affaire avec cette dentelle stylisée. 

Le mandat du chef auprès du Philharmonique de Stockholm est documenté par une seule galette Accord : des Symphonies n°1 et n°3 de Franz Berwald, répertoire inattendu mais que le chef cerne avec rigueur et vigueur. Un album malgré tout documentaire avec des pupitres abrasifs et une prise de son peu précise. Malgré ses qualités, la phalange suédoise ne pouvait pas rivaliser avec celle symphonique de la radio. 

Hans Schmidt-Isserstedt, chef invité à travers l’Europe 

Hans Schmidt-Isserstedt était un chef apprécié des orchestres et c’est tout naturellement que l’on le retrouve au pupitre de phalanges de prestige comme la Philharmonie de Berlin, le Concertgebouw d’Amsterdam ou le London Symphony Orchestra. Il faut s'attarder sur la collaboration avec le LSO car le style de direction du chef allemand, par son influx nerveux, convenait parfaitement au goût des musiciens londoniens qui adorent ce type de musicien capable de les galvaniser. Pour Mercury, le chef a gravé les Symphonies n°39 et n°41 de Mozart, ainsi que la Symphonie n°4 de Schubert.  On retrouve les mêmes qualités que pour les symphonies de Beethoven : un geste classique, élégant, mais une finesse de trait qui laisse liberté aux pupitres. La Symphonie n°4 de Schubert est un exercice redoutable pour bien des chefs, car les équilibres sont délicats et le tempo idéal n’est pas évident à trouver. Hans Schmidt-Isserstedt  se joue des difficultés et impose un Schubert altier, presque cavalier dans sa gouille classieuse ; c’est, sans aucun doute, l’une des plus grandes interprétations de cette symphonie. Autre immense référence : le Concerto pour violon et la Romance n°2 de Beethoven avec Henryk Szeryng pour Philips. Chef et solistes sont au diapason pour une interprétation apollinienne accompagnée par un orchestre racé, à la plastique sonore magistrale. Cette addition des talents est la somme des évidences ! On descend par contre d’un cran avec deux concertos pour piano de Mozart avec le jeune Vladimir Ashkenazy, un rien emprunté dans ce couplage étrange du Concerto n°20 et du n°6.  On retourne sur le continent  avec un puissant et vrombissant Concerto n°1 de Brahms avec le jeune Alfred Brendel accompagné du Concertgebouw d'Amsterdam, une lecture bien trop oubliée. Enfin, mentionnons pour être complet un album de concertos pour violon de Mozart (n°4 et n°5) avec les Hambourgeois et les Berliner Philharmoniker et Wolfgang Schneiderhan en soliste. Rien à dire c’est du violon de classe et de style.

Le chef lyrique 

Formé à l’art de la fosse, Hans Schmidt-Isserstedt fut un chef lyrique hautement apprécié, roulant sa bosse à travers le monde, dans un répertoire large qui allait du baroque aux œuvres contemporaines. Cependant, la discographie officielle du chef ne propose pas grand chose. Ainsi ce coffret reprend l’une de ses deux seules intégrales d’opéras de Mozart en studio :  La finta giardiniera. Mais l'opéra est ici donné en allemand sous le titre Die Gärtnerin aus Liebe mais avec un cast de haut vol : Ileana Cotrubas, Helen Donath, Tatiana Troyanos, Hermann Prey et la jeune Jessye Norman. On salue encore une fois, la justesse de ton et l'équilibre de la direction du chef. Autre moment lyrique, des extraits de La Traviata en allemand avec des chanteurs de premier plan dont Maria Stader et Ernst Haefliger. Il faut apprécier la direction vive et nerveuse du chef qui se concentre sur l’énergie du drame. Ces témoignages lyriques sont gravés à Hambourg. 

Dès lors, ces deux coffrets sont précieux car ils nous rappellent l'art franc et direct de ce styliste de la direction capable d’aborder une grande variété de répertoire et d’y exceller. Il est loisible et même recommandé de poursuivre l’écoute de ce concert par différentes vidéos en ligne sur la page youtube NDK Klassik. On découvre ainsi des concerts filmés et un petit documentaire sur le maestro. 

Note globale : 10 

Pierre-Jean Tribot 

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