Du classique mais sans les moches ? Et après ?
La récente interview de Bruno Mantovani, compositeur de réputation mondiale et directeur sortant du CNSM de Paris, dans le magazine Diapason du mois de septembre, a fait grand bruit. Il a suffi de quelques lignes sorties d’un entretien (par ailleurs des plus intéressants) pour faire chauffer les réseaux sociaux et catalyser les réactions. À la question : « le CNSM prépare-t-il mieux aujourd’hui ses élèves à une insertion professionnelle qui ne va plus de soi ? », Bruno Mantovani répondait : « C’était une de mes priorités. Nous avons créé des séminaires sur la pratique du métier; /.../ Mais je dois m’avouer un peu désabusé devant le marketing de la musique classique, je me demande si on n’aurait pas dû créer des séminaires de mannequinat et de soft porn en ligne. C’est normal de ne plus voir en scène de jeunes artistes moches ? Combien de grands génies ressemblaient jadis à des sacs à patates ?”.
On saura gré à Bruno Mantovani d’avoir dit tout haut ce que pense la quasi-totalité des acteurs du milieu. Certes, l’ère de la communication “Instagram” et la dictature du visuel sont une cible de choix tant certains et certaines artistes usent sans aucun doute “à l’insu de leur plein gré” de ces artifices (on ne donnera pas de nom). Mais les données de l’équation sont complexes et la plastique physique ne saurait être seule en cause d’un malaise bien perceptible et d’une angoisse légitime. La question centrale est : comment permettre à des jeunes artistes de percer dans un milieu ultra concurrentiel, de sortir du lot et dans un marché qui évolue tant géographiquement que dans ses fondamentaux économiques ? Le temps où une victoire à un concours prestigieux garantissait une belle perspective de carrière, un beau contrat discographique à la clef et des engagements prestigieux semble un lointain souvenir mythologique d’un passé certainement enjolivé. La multiplication des concours au niveau mondial, l’espace médiatique réduit pour le classique pour ce qui “ne sort pas de l‘ordinaire”, et les mutations du marché du disque ont changé la donne. Si réaliser une galette “carte de visite” reste une base essentielle pour une carrière en devenir, pour séduire une agence artistique et aguicher les programmateurs, il est devenu rarissime qu’un label accepte une telle aventure si tout n’est pas financé en amont soit par un mécénat, soit directement de la poche des musiciens. Le package “service complet”, y compris la promotion, font ainsi l’objet d’un catalogue d’options qui n’a rien à envier à celui d’une marque automobile. On connaît même certains labels qui se sont fait une spécialité de ce type de production, avec parfois des tarifs délirants... Il n’empêche, l’inflation démentielle du nombre de parutions est un miroir aux alouettes tant la destruction de valeur économique est l’alpha et l’oméga de ce qui ressemble de plus en plus à un “non-marché” devant l’écrasement des recettes causé par la diminution sans fin des ventes physiques et le misérabilisme des revenus tirés du streaming (le téléchargement économiquement plus intéressant pour toute la chaîne de production étant bel et bien mort). Même les médias spécialisés peinent à suivre le flot incessant des dizaines et des dizaines de parutions alors même que l’objet disque intéresse de moins en moins, y compris les critiques les plus dévoués. Même croissance de l’offre pour les programmateurs sollicités à l’extrême face à l’inflation sans fin.
Sans doute faudrait-il s’inspirer de ce qui se fait dans le domaine du sport, à l‘image de l’équipe cycliste Cycling Team Wallonie-Bruxelles qui permet à des jeunes espoirs de “performer” au niveau professionnel, tel une rampe de lancement ou un incubateur de talents. Une telle “équipe musicale” permettrait aux jeunes d’évoluer à un niveau professionnel international, de mûrir leur développement artistique et de se présenter devant les acteurs du milieu. Face aux défis actuels, il est indispensable d’aller puiser des idées partout, y compris loin du monde culturel. La qualité des Écoles supérieures des Arts en Belgique ou en Suisse et des CNSM en France n’est plus à prouver, mais permettre aux jeunes virtuoses de s’imposer dans la carrière est un défi colossal.
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Pierre-Jean Tribot