Émotions raveliennes

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Ça se présentait bien ! 

Iasi (prononcez Iache) est la deuxième ville roumaine, une métropole universitaire bien connue du millier d’étudiants français qui y fréquentent assidûment facultés de médecine et de stomatologie ; ancienne capitale ; ville de culture. La Philharmonie est une institution reconnue comme l’une des meilleures du pays avec un orchestre symphonique que je dirige régulièrement chaque saison. Au menu de nos récentes retrouvailles, un beau programme Ravel. Tout se présentait bien. Mais…

Quelques jours avant la première répétition, la seconde harpiste fait défaut. Il n’y a qu’à la remplacer, penserez vous. Oui, mais yaka ne fonctionne pas toujours. Car si, en nos terres hexagonales, les harpistes sont légion et se disputent les parts de marché, dans d’autres pays ce n’est pas nécessairement le cas. Bien sûr, il y a toujours une (ou un) harpiste à l’effectif permanent de tous les orchestres symphoniques, mais pas deux. Pourquoi ? parce que le répertoire qui nécessite deux harpes est assez réduit. Et quand il en faut deux, on engage un musicien ou une musicienne supplémentaire. Mais que faire en cas d’indisponibilité de dernière minute de cette musicienne supplémentaire dans un pays où l’offre est réduite ? pas besoin d’être Prix Nobel d’économie pour comprendre que nous sommes dans une impasse.

Ça se présentait mal ! 

Car Ravel aimait la harpe et nombre de ses œuvres en réclament deux. Péché de gourmandise. Mais restons calmes, pas de panique. En quelques heures le programme est remanié, au prix de l’abandon, la mort dans l’âme, de tout ce qui fait appel à deux harpes.

Les répétitions commencent dans une atmosphère amicale, très professionnelle. Oubliés les soucis, Ravel nous absorbe, il nous envoûte. Drôle de ptit bonhomme.

Émotions antitétaniques.

Deuxième jour, j’apprends que le premier violon solo a été griffé à la main droite par le chat de ses voisins. Infection, vaccins, impossible de tenir l’archet. Son alter ego, une jeune femme de grand talent, vient me voir pour m’annoncer la nouvelle et s’excuse à l’avance pour les solos de Ma mère l’Oye qu’elle n’a pas préparés puisqu’ils ne lui étaient pas destinés : elle fera pour le mieux aujourd’hui, mais demain ce sera bien. En fait, c’est déjà parfait le jour même.

Nous avançons à grands pas. La subtilité de l’orchestration de Ravel commence à émerger. Certains viennent me voir : « les deux premiers jours, on lisait les notes ; aujourd’hui on découvre vraiment comment ça fonctionne ». Il faut dire qu’une bonne part du programme était nouvelle pour l’essentiel des musiciens. « Vous savez, la musique française, elle nous fascine, mais on ne la pratique pas assez. Nous sommes habitués aux musiques qui marchent tout droit, avec des repères bien structurés. La finesse, la transparence, l’élégance à la française, il faut à chaque fois se repositionner ».

Émotions vaticanes. 

Au fil d’une carrière, il y a des œuvres que l’on dirige souvent à un certain moment et qui restent ensuite dans la bibliothèque pendant des années, hasard des programmations. C’est le cas de la Pavane pour une infante défunte en ce qui me concerne. Donc grand plaisir à la retrouver. Grand plaisir et souvenir ému, car lorsque je l’avais dirigée pour la dernière fois, c’était à l’heure précise où Jean-Paul II quittait ce monde. Par bonheur, le pape Léon XIV se porte bien.

Émotions acrobatiques.

Bolero allait clore notre festival Ravel. Souvent, les chefs se disent que les musiciens le connaissent par cœur et ne prévoient que peu de temps à lui consacrer en répétition. Première lecture, tout se passe très bien. Deux ou trois conseils aux musiciens pour entretenir cette indispensable montée en tension et basta. Pas nécessaire de s’y attarder. Détrompez-vous : à la pause, quelques instrumentistes à vent viennent me voir en m’expliquant que c’est une première fois pour un certain nombre d’entre eux. Et si on pouvait le reprendre, ils seraient plus sécurisés. Bien sûr, j’adhère totalement à ce genre de démarche et nous trouvons le temps de répondre à leur attente. Cette fois, je regarde davantage les visages, qui se détendent. Quand vient l’heure de la trompette, un flash surgit dans ma mémoire. C’était à Tachkent, il y a une quinzaine d’années, pendant la répétition générale, lorsque le thème passe entre les mains de la première flûte et de la première trompette. À ce moment précis, un grand bruit couvrit la musique, suivi de cris : la chaise du premier trompettiste, mal calée, avait glissé dans le vide entraînant notre musicien dans une position inconfortable. Heureusement, plus de peur que de mal. Pas commode de jouer de la trompette les quatre fers en l’air. Je doute que le remarquable trompettiste de Iasi ait pu imaginer ce qui se passait dans ma tête à cet instant précis.

Et au bout du compte, le concert fut magnifique. Que d’émotions !

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