Fin de l’intégrale pour piano de Mili Balakirev par Nicholas Walker 

par

Mili Alekseyevich Balakirev (1837-1910) : Œuvres complètes pour piano, volume 6 : La Fileuse ; Au Jardin ; Thamar, arrangement par Nicholas Walker ; Polka ; Elégie sur la mort d’un moustique, complétée par Nicholas Walker ; La danse de sorcières, complétée par Nicholas Walker ; Tyrolienne ; Toccata ; Islamey ; arrangements de pages de Glinka et de Zapol’sky par Balakirev. Nicholas Walker, piano. 2019. Livret en anglais et en allemand. 80.04. Grand Piano GP846.

Avec ce sixième volume, Nicholas Walker met le terme à son intégrale de l’œuvre complète pour piano seul de Mili Balakirev. Ce virtuose anglais a étudié à la Royal Academy of Music, puis s’est perfectionné au Conservatoire de Moscou. En 1979, il devient le premier lauréat de la Newport International Piano Competition, destinée aux jeunes interprètes, ce qui lui permet d’obtenir de nombreux engagements avec des orchestres britanniques. Walker compte à son actif une série de CD consacrés à des sonates de Beethoven, des pièces de Liszt ou Saint-Saëns, des œuvres de Lyapunov, Gretchaninov ou Vasilenko, pour les labels Toccata, Arte Nova, Danacord ou Chandos (de la musique de chambre russe avec Lydia Mordkovich). En 2010, il organise à Londres une série de concerts pour célébrer le centenaire de la disparition de Balakirev, prémices à sa décision de graver pour Grand Piano une intégrale du compositeur, auquel il a déjà consacré deux CD chez ASV à la fin des années 1990.

Le Moldave Alexander Paley avait précédé Nicholas Walker en 1992 en gravant à New York une intégrale, rééditée dans un coffret de six CD par Brilliant. Mais la proposition de Walker est plus étendue que celle de Paley ; elle ajoute une série de petites pièces en premier enregistrement mondial, ainsi que des arrangements, dont certains sont de la main de Walker. C’est ici le cas de deux brefs morceaux, une élégie amusante sur la mort d’un moustique et une ironique Danse des sorcières qui datent toutes deux de la fin de l’adolescence de Balakirev et ont été complétées par le pianiste, qui a fait de même pour le vaste poème symphonique Thamar, somptueuse évocation représentative de l’orientalisme musical qui influencera Rimski-Korsakov lorsqu’il écrira Schéhérazade. Achevée en 1882, Thamar raconte, d’après un récit de Lermontov, l’histoire d’une princesse qui attire les voyageurs nocturnes dans la tour où elle vit pour les tuer. A la tête de l’Orchestre Symphonique de l’Académie d’Etat d’URSS, Yevgeni Svtelanov en a laissé en 1977 une magistrale et tragique version qui figure dans un album Melodia de deux CD publié en 2011. Dans son arrangement pour le piano, Walker arrive à rendre à cette page fastueuse les éléments dramatiques qui la composent : le bruit de la rivière qui coule au pied de la tour, le chant d’amour lyriquement séducteur de Thamar, la sombre menace qui plane sur le voyageur et l’accomplissement du forfait. Mais les couleurs et les contrastes ne sont pas aussi convaincants dans l’arrangement qu’au coeur de la démonstration orchestrale. On apprécie davantage les petites pièces qui composent ce programme en forme de panorama, s’étalant des années de jeunesse, dès 1855 (La danse des sorcières), jusqu’au début des années 1900 (la délicate Fileuse, la dansante Tyrolienne ou la dynamique Toccata). Balakirev était par ailleurs lui-même un arrangeur de qualité, ainsi qu’en témoigne sa transposition brillante de Kamarinskaya de Glinka, basée sur le thème d’une chanson russe.

Dans toute cette production pianistique, dont l’audition est agréable mais ne révèle pas un intérêt pianistique majeur, Islamey est la page qui a le mieux survécu ; c’est elle qui clôture ce sixième CD pour couronner l’entreprise. L’oeuvre a tenté maints virtuoses malgré les difficultés techniques qu’elle présente. Elle date de 1869, Nicolas Rubinstein en assura la première exécution à Saint-Pétersbourg. On évoque à son propos la flamboyance lisztienne, illustrée par les aspects dansants qui caractérisent la première partie de cette partition d’un peu moins de neuf minutes. Des variations et de vifs arpèges vont animer la suite, dans un contexte puissant, très fougueux et très démonstratif. Par le passé, Cziffra en a laissé une version époustouflante. Ringeissen, Bronfman, Setrak ou Gavrilov, pour ne citer qu’eux, l’ont également bien servie. Nicholas Walker en propose une lecture passionnée et mûrie par sa longue fréquentation du compositeur, d’une belle aisance technique et d’une virtuosité claire et déterminée, qui laisse Alexander Paley derrière lui. 

On peut considérer l’ensemble des six CD comme la référence moderne de l’œuvre pianistique de Balakirev. Elle n’est certes pas indispensable dans sa totalité, et la priorité ira à ce sixième volume, avec Islamey. Elle plaira toutefois aux mélomanes qui aiment approfondir le répertoire russe et sortir des sentiers battus.

Son : 8  Livret : 8  Répertoire : 8  Interprétation : 8

Jean Lacroix   

 

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