François Mardirossian propose une fine intégrale des Etudes de Philip Glass 

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Philip Glass (°1937) : Etudes pour piano, intégrale. François Mardirossian, piano. 2021. Notice en français et en anglais. 135.00. Un album de deux CD Ad Vitam AV 220315.

Lorsqu’il a composé ses Etudes (entre 1991 et 2012), Philip Glass avait un double objectif, précisé en exergue de la notice de cet enregistrement : Premièrement, étoffer mon catalogue pour mes concerts solo. Deuxièmement, c’était une manière pour moi de développer ma technique pianistique avec des musiques qui font évoluer mon jeu. D’où le nom Etudes. Il en résulte un ensemble réunissant dynamique, tempo et émotion. L’art de la synthèse ne semble pas avoir de secrets pour le compositeur.

Un même type de démarche semble avoir poussé le pianiste français François Mardirossian (°1989) à graver une intégrale de ces Etudes. Après le Conservatoire de Lyon, ce soliste a vécu dix ans à Bruxelles et est passé par le Conservatoire Royal de Musique de la capitale, dans les classes de Jean-Claude Vanden Eynden et de Dominique Cornil. En 2019, il a proposé, sous étiquette Megadisc, un premier album d’œuvres pianistiques de l’Américain Louis Thomas Hardin, dit Moondog (1916-1999). Il est aussi l’auteur d’un beau recueil de poésie, Ce que Bruxelles recèle dans son ciel (Ed. Chloé des Lys, 2018). Pour cette transmission des pages de Glass, Mardirossian déclare : J’espère avoir pu capter l’essence de ces pièces sans les enfermer ni les figer pour mes interprétations futures. La version idéale de cette musique si immersive serait celle qui offrirait au public une première audition perpétuelle, une écoute sans fin. Le pianiste souligne encore l’intemporalité et l’universalité de ces vingt moments musicaux. On pourrait ajouter l’inscription dans la durée, à tel point que son intégrale dépasse les deux heures en raison du choix de ses larges tempi.

Une impression générale se détache de l’écoute globale de ces Etudes, que l’on peut aussi aborder selon un choix sélectif et progressif, pour y revenir à plusieurs occasions. Cette impression est celle d’une lecture bien contrastée et d’un jaillissement de notes, servi par la limpidité du piano choisi : un Stephen Paulello Opus 102. Mardirossian se joue des difficultés techniques avec aisance, le discours progresse avec un grand pouvoir d’expression. Il tient compte des divers climats qui parcourent ces pièces où la virtuosité côtoie les accords apaisés, où la fougue fait place à la fragilité ou la pulsation au rêve. Il s’agit bien d’un « itinéraire » musical, bâti sur une inspiration introspective qui se révèle ici nimbée d’une clarté permanente. On adhère tout autant à la base rythmique qu’à la sensibilité, à la pudeur qu’aux accents bondissants, à l’écoute du silence qu’à la majesté langoureuse.

Mardirossian rappelle dans un texte de la notice qu’il a assisté en juillet 2007, aux « Nuits de Fourvière » à Lyon, à un concert au cours duquel Glass lui-même a joué ses Etudes en luttant contre les caprices de la météo, une pluie bruyante s’étant invitée à ce moment-là. Ce fut pour le jeune interprète l’un de ses plus grands moments musicaux. Son amour et son respect pour la partition de Glass se concrétisent ici.

La pianiste japonaise Maki Namekawa, épouse du chef d’orchestre Dennis Russel Davies, grand ami de Philip Glass dont il a créé et enregistré plusieurs symphonies, a été la première à graver, de façon magistrale (OMM, 2013), une intégrale des Etudes. D’autres solistes ont suivi, comme Nicolas Horvath (Grand Piano, 2015), Jenny Lin (Steinway, 2015), Jeroen Van Veen (Brilliant, 2017), Víkingur Ólafsson (DG, 2016), Anton Bagatov (OMM, 2017), Bojan Gorisek (Factory of Sounds, 2017) ou Sally Whitwell (ABC Classics, 29018), chacun(e) proposant de l’ensemble sa vision personnalisée. Le choix est multiple. Si ces approches sont à la fois différentes et complémentaires en raison de leur degré d’investissement et d’imagination, celle de François Mardirossian convainc pleinement. Le plaisir qu’il éprouve à distiller toute l’essence de ce langage glassien est palpable à l’audition, à laquelle on souscrit sans peine, avec la sensation d’être parvenu au résultat qu’il souhaitait et que nous avons déjà évoqué : poser un regard musical personnel sur une œuvre intemporelle et universelle. L’enregistrement a été réalisé dans le Studio Stephen Paulello à Villethierry, dans le département de l’Yonne, du 14 au 17 décembre 2021.

Son : 10  Notice : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

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