Gautier Capuçon, objectif terre 

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Le violoncelliste Gautier Capuçon rend hommage à la terre, avec son nouvel album “Gaïa”. En 17 partitions de 16 compositrices et compositeurs, il alerte sur le réchauffement climatique et ses conséquences. Aventurier de son temps, il emmène son violoncelle sur les hauteurs du Mont Blanc pour témoigner des bouleversements que subit cette montagne de légende, toit de notre Vieux continent. Gautier Capuçon est un artiste engagé qui aime défendre la musique de son temps et aider la jeune génération d'artistes. Crescendo Magazine se réjouit de s'entretenir avec ce très grand musicien.  

Un album qui porte le titre de Gaïa, ce n’est pas commun ! Pouvez-vous nous présenter le concept ? 

Cet album est en effet dédié à  notre planète la terre mais également à la problématique du réchauffement climatique en lien avec les images du Mont-Blanc, montagne qui m’est chère et qui en subit les conséquences de manière spectaculaire. 

Les compositeurs et les compositrices présents au programme de cet album  expriment leurs liens avec la terre de différentes manières. Certaines œuvres sont plus alarmantes, plus  angoissantes  et on sent l'inquiétude des conséquences du réchauffement climatique derrière les notes. D'autres sont beaucoup plus lumineuses et célèbrent cette terre. J’avais laissé les compositeurs complètement libres. Les seules indications qu'ils avaient, c'était bien sûr l’instrument à disposition : le violoncelle. 

Sur cet album, il y a 17  œuvres de compositrices et compositeurs différents.  Comment les avez-vous choisies ? 

C'est un projet qui a mis du temps à se construire parce qu'effectivement il y a  17 œuvres de 16 compositrices et compositeurs différents. J’avais vraiment envie de poursuivre cette exploration de la musique, la musique avec un grand “M”,  mais avec des compositrices et compositeurs qui viennent d'univers et de genres musicaux différents, donc pas nécessairement des noms que l'on peut rencontrer sur des programmes de concerts de musique classique ou dans des salles traditionnelles. 

Personnellement, j’ai le privilège de pouvoir explorer des œuvres de musique très différentes.Ces dernières années, j’ai eu la chance de travailler et de créer des oeuvres de Thierry Escaich, Lera Auerbach, Wolfgang Rihm, Jörg Widmann, Karol Beffa, Qigang Chen, Bryce Dessner, Richard Dubugnon, Philippe Manoury, Bruno Mantovani, Wolfgang Rihm….et c’est pour moi aussi une exploration nouvelle de m’ouvrir à d’autres genres musicaux et c’est infiniment enrichissant.

Il y a des singularités fort différentes mais ce qui les rassemble c'est la musique.  La musique représente pour moi des émotions que l'on reçoit en tant qu'auditeur et en tant qu'artiste. 

Je pense que, pour toucher un public avec ses émotions, il faut déjà qu'on les ressente en tant qu'artiste. Il faut qu’une œuvre me plaise et me parle avant que je puisse en parler et l'interpréter avec mon cœur et mon âme. 

À la lecture des noms, certains de ces créateurs appartiennent à la mouvance New Classical plutôt orientée vers une forme d'easy listening et pas vers l'avant-garde. Cette dernière ne peut-elle pas témoigner des douleurs de la Terre ? 

Je pense que chacun a des choses à dire et c'est ce qui fait aussi l'extrême richesse  de la musique. Je n'ai pas voulu mettre ces compositrices et compositeurs dans  une certaine catégorie. C'est pour ça que j'ai voulu explorer avec un champ très large et les sélectionner par rapport aux émotions que je ressens et non pas par rapport à d'éventuelles catégories. 

D'ailleurs, ce sont souvent des commentateurs qui mettent les artistes dans certaines catégories ! Ce n'est certainement pas le compositeur (ou rarement) qui se définit  comme appartenant à une certaine catégorie ! 

Ces artistes ont été sélectionnés pour la musique qu'ils écrivent et pour ces émotions qui sont véhiculées par leur musique.

La musique contemporaine est un domaine qui vous est cher car vous avez donné de nombreuses premières mondiales. Le violoncelle n’est-il pas un instrument heureux pour avoir compté tant de solistes qui, comme le légendaire Rostropovitch, ont cherché à élargir le répertoire ?  

Oui, la musique contemporaine m'est particulièrement chère. Tout d'abord, je pense qu'on a beaucoup de chance en tant qu'interprète de pouvoir travailler avec des personnalités de notre temps. 

La musique contemporaine, c'est bien ça qu'elle veut dire mais je considère que le terme  a perdu un tout petit peu de sa signification première : tous les interprètes de toutes les époques ont toujours joué la musique de leur temps qu'on revienne à  Jean-Sébastien Bach, à  Wolfgang Amadeus Mozart,  à Johannes Brahms.  

Je considère que c’est un grand privilège de pouvoir travailler avec ces compositrices et compositeurs. De plus, j’estime que c'est aussi la mission d'un interprète puisque ces derniers ont besoin des interprètes pour jouer leur musique. 

Le violoncelle est l'instrument le plus proche de la voix humaine, comme on l’entend souvent. C'est un instrument qui chante par excellence et vous citez Rostropovich, c'est certain qu'il  est sans doute celui qui a le plus fait pour élargir ce répertoire de la musique de son temps avec des œuvres sublimes qui sont devenues des partitions  essentielles dans notre répertoire. 

Dans le booklet, vous écrivez que cet album est aussi un champ d'alerte, un hymne à cette beauté menacée, une prise de conscience pour les  générations futures. Comment combiner une carrière internationale et tous les déplacements polluants inéluctables qui en découlent, avec cette ambition de lancer ce champ d'alerte ?  

Cet enjeu m’interpelle particulièrement.  Souvenez-vous, pendant la période Covid, il y a eu, dans le monde entier, beaucoup de tables rondes sur ces sujets, avec les différents acteurs du monde culturel.  L’idée était de s’interroger sur la manière d’optimiser et de coordonner les grandes tournées  afin de réduire ces déplacements polluants.  Je trouvais ces réflexions passionnantes car il y a effectivement beaucoup de choses à faire. Simplement, je me suis aperçu d'une chose, c'est qu’on ne peut pas changer  seuls. 

En effet, nous sommes dans un système général avec des questions qui vont au-delà de la simple logistique du déplacement : il y a les aspects d'exclusivité contractuelle qui s'avèrent aussi extrêmement compliqués. Parfois, on ne peut jouer dans une ville qu'une seule fois par saison et pas à plusieurs reprises en 3 ou 4 mois. 

Alors certes, on pourrait jouer beaucoup moins et ne faire que deux concerts mensuels et limiter les voyages, mais nous avons également besoin de ces voyages pour partager et pour créer ce lien avec le public et donner ces émotions. Alors,  je tente, du mieux que je peux d'essayer d'arranger ces voyages. Ainsi, pendant l’été, et ma tournée des concerts en plein air, je suis beaucoup plus libre que pendant la saison pour aménager les parcours. 

Comme je vous le disais, il  faut que tous les acteurs du monde culturel décident ensemble de changer ce modèle. Une personne seule peut toujours décider en effet d'arrêter les voyages, de rester chez elle et de ne plus partager la musique ou alors de ne faire que des vidéos. Mais la musique, c'est aussi le spectacle vivant et ce qu'on ressent dans une salle de concert. 

L'album et le booklet sont agrémentés de photos spectaculaires où l'on vous voit presque en Jean-Paul Belmondo du violoncelle aux sommets des pics rocheux. Pourquoi ? 

La comparaison vous est propre ! L'idée n'était pas de faire le “Jean-Paul Belmondo” du violoncelle. C'est mon côté aventurier qui a parlé, car j'ai toujours aimé l'aventure ;  si je n'étais pas violoncelliste, je serais sans doute un aventurier.  Mon inspiration,  dans ces images,   n’est pas Jean-Paul Belmondo, c'est plus le grand violoncelliste Maurice Baquet dont je suis un admirateur depuis ma petite enfance. Maurice Baquet emmenait son violoncelle partout.  Je pense que c'est important d'amener la musique en dehors des salles de concert traditionnelles pour la rendre toujours plus accessible. 

Quant au Massif du Mont-Blanc, ça faisait des années que je rêvais de faire cette expédition avec mon violoncelle sur cette montagne mythique. J'avais déjà tourné quelques images en Suisse au sommet du Petit Combin mais le Mont-Blanc était mon rêve. 

Nous avions préparé cette expédition depuis 3 ans, mais la haute montagne a des exigences de sécurité et la météo est très changeante. On a eu la chance de mener  deux expéditions, une fin avril, une autre fin mai pendant lesquelles des conditions météorologiques  étaient réunies pour la sécurité de toute l'équipe et donc pour  emmener mon violoncelle en haut de ce massif du Mont-Blanc. 

Mais au-delà de cette aventure, je tenais principalement à témoigner en images les conséquences du réchauffement climatique. Il y a évidemment des images qui sont très belles avec des vues éblouissantes sur la montagne, mais il y a aussi des images qui sont beaucoup plus noires avec la terre, les rochers et qui illustrent ce réchauffement climatique. Voir cette réalité m’a particulièrement bouleversé et la visualiser de ses propres yeux est encore plus impactant. 

Vous êtes également très impliqué dans l'accompagnement et l'émergence de jeunes talents avec des concerts partagés et une collection d’albums. En quoi est-ce important pour vous d'être aux côtés de jeunes artistes ? 

Je considère que c'est le juste retour des choses. J'ai eu la chance d'être soutenu dans mes jeunes années et je ne l'oublie pas. C’est à mon tour aujourd'hui d'aider la jeune génération.  J'ai créé la fondation Gautier Capuçon, en janvier 2022, pour aller plus loin dans mon engagement pour l'éducation et la transmission. J'enseigne depuis maintenant plus d'une quinzaine d'années et cette fondation est très importante pour moi. Nous avons  aujourd'hui 36 lauréats qui viennent du monde entier. La Fondation les accompagne avec des bourses pour qu'ils puissent poursuivre leurs études tant en France qu’à l'étranger. On les aide à monter sur scène, on fait une centaine de concerts par an pour eux et puis il y a aussi cette collection d'enregistrements de la Fondation Gautier Capuçon avec Warner Classics.

Vous et votre frère Renaud Capuçon, vous êtes l'objet plus tôt qu'en France d'attaques ad hominem odieuses (que Crescendo  Magazine condamne fermement). Est-ce que c'est quelque chose qui vous blesse en tant qu'artiste et en tant qu'humain ? 

Alors c'est évidemment, c'est quelque chose qui  ne fait jamais plaisir.  Ce qui me fait beaucoup de peine, c'est qu'on vit dans un monde de polémiques, d'attaques ou de jalousies. Dans ce monde, on ne célèbre presque que des mauvais sentiments.  Cela m’attriste particulièrement car on devrait célébrer le beau et ce qu’il apporte comme bonheur aux gens. 

Ces attaques ont pu me toucher quand j’étais plus jeune mais avec le temps, j’ai appris que ce qui compte ce n’est pas de plaire à tout le monde mais de faire les choses avec le cœur et avec conviction. Donc voilà, je crois aux projets que je défends, ils sont toujours le fruit d’une longue réflexion et  je le fais toujours avec le cœur.  Je ne m’attarde pas à ces attaques car je n’ai ni l'envie, ni l'énergie, ni le temps, ni l'intérêt pour ça. 

Le site de Gautier Capuçon : www.gautiercapucon.com/

A écouter :

Gaïa, Gautier Capuçon, violoncelle. Warner Classics

Crédits photographiques :  Bertrand Delapierre/Warner Classics

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

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