Grégor Chapelle lance la troisième phase de développement de la Music Chapel

La Music Chapel (anciennement Chapelle Musicale Reine Elisabeth) étend à partir du 1^er janvier 2026 ses activités au domaine d’Argenteuil afin de créer un campus musical international au sein de la nature.  Six mois de travaux d’aménagement précéderont l’installation des premiers résidents en septembre 2026. Une période d’analyse de trois ans permettra ensuite de définir les paramètres de bon fonctionnement de l’institution rénovée.

Pour faire le point sur cette opération, nous avons rencontré Grégor Chapelle, le CEO désigné de la Chapelle après le décès de Bernard de Launoit.

Selon lui, on peut répartir l’histoire de la Chapelle Musicale sur trois grandes périodes. La première s’étend de 1939 à 2004 : c’est l’époque où la Chapelle destinée aux jeunes musiciens belges s’organise selon le schéma préparé par Ysaÿe et mis en œuvre après sa mort sur la supervision de le Reine Elisabeth. L’objectif est d’offrir aux jeunes musiciens un lieu de travail et de réflexion qui permette une grande concentration tout au long de l’année.

La deuxième phase qui commence en 2004 est celle de l’internationalisation qui répond à une réalité nouvelle de l’enseignement de la musique. Elle a été portée à bout de bras par Bernard de Launoit. On fait appel à des maîtres réputés internationalement (Dumay, El Bacha, Van Dam) qui seront rejoints au fil du temps par des artistes du calibre de Gary Hoffman, Louis Lortie ou Frank Braley. On multiplie les master classes et les contacts avec d’autres institutions internationales. Le nombre de jeunes artistes en résidence ne cesse d’augmenter, ce qui implique la disponibilité de nouveaux locaux. Bernard lance alors le projet de construction de l’aile de Launoit qui est une grande réussite.

Aujourd’hui, la Chapelle est reconnue comme un lieu d’excellence international. Mais son succès ne va pas poser quelques problèmes. Quand je suis arrivé en 2024, on avait atteint les 80 artistes en résidence. Avec pour effet que celle-ci changeait un peu de structure. Sur les 20 studios disponibles, 10 sont occupés de manière permanente, les 10 autres étant mis à disposition sous forme de rotation entre classes d’instruments. Dumay arrive-t-il que tous les violonistes convergent et qu’il faut les héberger mais ce sera pour les remplacer très vite par les pianistes dès l’arrivée de Frank Braley. Le rythme est donc infernal et ne permet pas toujours les rencontres latérales entre disciplines, ni la pratique en profondeur de la musique de chambre que préconise le projet. De plus, la Chapelle a traversé quatre années difficiles avec l’assaut du COVID en 2020/1 et la maladie de Bernard qui se déclare en 2022 et l’emporte en mars 2023. La Chapelle n’a plus de CEO mais est gérée avec un bel engagement par les équipes en place. Aujourd’hui, on peut dire qu’elle rentre en vitesse de croisière. Mais elle doit définir un nouveau business plan pour absorber les problèmes déjà connus.

Notre situation est très différente de celles de nos concurrents directs : en Allemagne, Kronberg bénéficie d’un très gros soutien public et, aux Etats Unis, Curtis, Colburn et Julliard disposent d’endowment funds colossaux qui vont de 200 millions à un milliard de $. Le budget de la Chapelle, lui, est financé à concurrence de 10% par des subsides publics et pour le solde par des supports privés (mécènes et sponsors).

Une série d’éléments sont venus renforcé notre notoriété : l’engagement de notre premier sponsor, Belfius, la donation d’un Stradivarius par Charles Castleman et les brillants résultats de nos résidents à la dernière session piano du Concours Reine Elisabeth.

La gestion de la Chapelle n’en reste pas moins un défi permanent : nous donnons 300 concerts par an, ce qui permet une proximité physique entre nos artistes et leur public qui s’attache à eux.  

Quelles seront les bases de ce nouveau « business plan » ? L’objectif : revenir aux idéaux des fondateurs.

Quand je préparais ma candidature, j’ai beaucoup lu la correspondance entre Ysaÿe et la Reine et suis resté très attentif à leurs objectifs . Pour eux, la Chapelle doit avant tout être une oasis de beauté et de fraternité. 

La Beauté implique un autre rapport au temps que celui de notre société hypertendue.

L’artiste doit avoir conscience du patrimoine musical qu’il est appelé à défendre mais en même temps, il sait qu’il va devoir accumuler des milliers d’heures de travail pour forger une personnalité apte à aborder sainement les œuvres qu’il va jouer. Et la nature qui nous entoure offre un environnement naturel à cette démarche, tout en renforçant sa beauté.

Quant à la Fraternité, on la vit ici au quotidien. Les résidents créent entre eux des liens très forts quelle que soit leur origine. La politique, ici, ne fait pas débat : on peut dire que le monde s’arrête aux portes de la Chapelle.

Mais pour réaliser nos objectifs, une extension de nos locaux est indispensable. Nous avons envisagé plusieurs possibilités mais bénéficions aujourd’hui d’une proposition exceptionnelle qui va vraiment lancer la troisième phase du développement de la Chapelle. Nous allons avoir accès au domaine d’Argenteuil qui est notre voisin direct. En avril 2024, j’ai un long contact avec Jean-Marie Delwart. Comme nous sommes tous deux de grands défenseurs de la nature, notre entente a été très forte. Et lorsque j’évoquais nos problèmes de place, il m’a simplement répondu : « J’ai la solution : je vous vends Argenteuil (le domaine royal adjacent à la Chapelle où a vécu Léopold III qu’il avait acquis et aménagé en 2004) ». Le projet est séduisant mais son coût rend sceptique le conseil d’administration. C’est alors que Chapelle est mis en contact avec Olivier Périer, lui-même un grand défenseur de la nature. Et celui-ci lui manifeste son intérêt pour autant que la famille Périer-d’Ieteren soit seule à bord du financement. Ils acquerront la propriété des héritiers Delwart et en cèderont l’usage à la Chapelle par un bail emphytéotique de 40 ans à la condition que soient maintenues les mesures de sauvegarde et de mise en valeur de l’environnement naturel. Le projet a été rendu public ce vendredi à la grande satisfaction des deux parties.

L’apport du Domaine d’Argenteuil

La maison permet d’organiser des concerts de quatuors ou de musique de chambre. Tout le reste, et surtout les dépendances, contribuera à la fondation d’un « artist village » quinze nouvelles chambres avec une bibliothèque, une cuisine, un dining hall à l’anglaise avec sous elle une salle d’écoute. La Chapelle sera désormais en mesure d’accueillir en permanence une quarantaine d’artistes résidents en se fixant à terme comme objectifs à une soixantaine d’artistes.

Le dispositif en place leur permettra de bénéficier à la fois d’une présence plus assidue et plus concentrée :celle-ci renforcera les efforts de création collective, en musique bien sûr mais aussi dans d’autres disciplines :les autres arts (poésie, littérature, danse ou arts plastiques), une contribution à la paix, la recherche scientifique (impact thérapeutique de la musique) ou l’innovation pédagogique et digitale. Nous nous donnons trois ans pour installer ces nouveaux projets, les tester et définir le modèle économique qui fera vivre le projet tout en gardant un œil sur l’idée d’une salle de concert adjacente à la Chapelle qui suscite un vif intérêt de certains orchestres qui, comme l’Orchestre de Chambre d’Europe,  cherchent aujourd’hui des lieux de répétition avant leurs tournées.

Mais Argenteuil, c’est aussi 136 ha de nature qui constituent un lieu de détente, de respiration et de sport. Nous en garderons une quinzaine autour du bâtiment, intégré à la gestion de notre « music village » en nous inspirant de l’expérience de Tanglewood en ouvrant ainsi le site au grand public. La gestion des 120 ha restant sera confiée à un extérieur dans des conditions qui respecteront la dimension naturelle du lieu , incluant des activités nature pourront y être organisées.

Une formidable machine de concert

Mais la Chapelle, c’est aussi un organisateur de référence de concerts dans le Brabant Wallon. Elle a désormais à son actif 80 concerts artistiques plus des participations à des festivals, une quarantaine de concerts associatifs (centres de soin palliatif, prisons,…) et 150 concerts et masterclasses liés à l’activité pédagogique. Les résidents ne doivent pas uniquement travaillé des œuvres pour eux-mêmes, ils doivent se confronter au public. L’augmentation du nombre de résidents sur le site renforcera la concentration sur le travail accompli tant dans sa préparation que dans son debriefing. Il s’épanouira dans des événements collectifs telle la Garden Party qui s’étalera l’an prochain sur deux journées.

Le grand moment d’ouverture au public demeure sans doute le festival tenu en décembre à la Chapelle. Il ne comptera cette année que deux journées (les 5 et 6.12) mais elles sont intensément programmées autour de la thématique des quatre éléments : terre, eau, air, feu. Anne-Lise Parotte, directrice artistique, réalise, par un travail à la fois cohérent et imaginatif, une offre alternative originale dans laquelle s’intègrent les propositions réunissant maîtres et élèves. Elle définit ainsi la programmation du Festival 2025 : Nous souhaitons emmener le public à la source de toute inspiration musicale : la nature elle-même¸. Chaque élément possède sa propre sonorité et sa couleur que nous faisons résonner ensemble dans une expérience à la fois sensorielle et poétique. Un objectif qui s’inscrit parfaitement dans le cœur de la dynamique en devenir Chapelle-Argenteuil. Peut-on trouver de plus justes augures que la Verklärte Nacht par Miguel da Silva et les résidents de la classe musique de chambre, le Sacre du Printemps à quatre mains par Braley et Hox ou le Prométhée ou le Poème du feu de Scriabine dirigé par Kazushi Ono dans une scénographie de Nazanin Fakoor alliant lumières, vidéo et mouvement dans l’esprit de l’« orgue de couleurs » rêvé par le compositeur ? Le tout entouré de conférences, master classes ou ballades architecturales. La musique est bien au cœur des arts et de la société.

Propos recueillis par Serge Martin

Renseignements : www.musicchapel.org

Crédits photographiques : G.Bianchi