Hommage à Dupré, sur un nouvel orgue polonais capté avec un réalisme époustouflant

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Marcel Dupré in memoriam. Marcel Dupré (1886-1971) : Ave Maris Stella 1-4 [Quinze versets pour les Vêpres du commun des fêtes de la Sainte Vierge, Op. 18] ; Cortège et Litanie Op. 19 no 2 ; Symphonie-passion Op. 23 ; Lamento Op. 24 ; Entrée, Canzona et Sortie Op. 62. Tomasz Głuchowski, orgue Klais du Forum National de Musique de Wroclaw. Livret en polonais, anglais. Mai 2021. TT 61’13. NFM 79 ACD 296

À divers titres, c’est un plaisir d’attirer l’attention sur cette anthologie qui commémore le cinquantième anniversaire de la disparition de Marcel Dupré. Et qui révèle une exaltante valorisation d’un instrument flambant neuf, installé dans la salle de concert de Wroclaw. Une splendide réalisation de la facture contemporaine dont la nomenclature, sans briguer la démesure (82 jeux), s’entend ici reproduite avec un réalisme qui ravira les hifistes. Le 9,5/10 de notre évaluation sonore n’est pas usurpé : pour connaître quelques milliers d’enregistrements d’orgue, on doit avouer que la captation s’avère exceptionnelle en termes de relief, densité, netteté. Un chouïa de transparence, d’aération supplémentaires, et on touchait le Graal. Une précision presque holographique, nonobstant. Et surtout suprême quant à la restitution du registre grave, d’une ampleur et d’une profondeur stupéfiantes. On se sent littéralement enveloppé voire secoué par ces nappes d’ondes.

Y concourt une spécialité de la maison Klais de Bonn, le Vox Balenae ! Certes pas un 64’ en taille réelle, dont un rare exemple historique se trouve dans le « Diaphone Profundo » du Convention Hall d’Atlantic City : à Wroclaw, le plus long tuyau ne mesure « que » 12 mètres. Toutefois l’extrême-grave peut plonger à l’équivalent d’une dizaine de vibrations par seconde, en vertu de la résultante acoustique formée par un jeu de 32’ et sa quinte, produisant une fondamentale de la moitié de cette fréquence. Un tel expédient n’est pas unique au monde (loin s’en faut, -près de nous à Lille la Cathédrale de la Treille offre pareil dispositif), mais se voit ici superbement flatté par les micros. D’autant que la console active aussi une Subcontrabombarde 64’ dont le battement d’anche vrombit aux limites de la perception auditive. Ces sismologies, qu’en reste-t-il dans nos salons ? Pour les équipements domestiques qui savent descendre jusque 20 Hz sans trop d’atténuation, le spectacle sera déjà faramineux. 

Ces effets de plancher océanique ne sont pas forcément tonitruants. On peut les ressentir dans l’abyssal ostinato pavant le chemin de calvaire de Crucifixion, qui ébranle sans agresser l’oreille. La croix s’érige et s’enfonce dans la colline du Golgotha, les exhortations s’estompent par séquence d’accords en decrescendo, jusqu’à expiration sur le seul contre-ut (6’17). La plainte de la Vierge en pâle soupirs est ensuite escortée par des bouffées qui, sans déchainer les décibels mais dans un pieux recueillement, égrené sur un lourd chapelet d’une noirceur absolue, mettront à l’épreuve les abîmes du spectre, aussi bas qu’on peut le percevoir. Hadales cavitations exfiltrées d’un gouffre de douleur. Cette version tant somptueuse qu’analytique de la Symphonie-passion rejoint nos favorites : à Saint Ouen de Rouen le compositeur en 1965 (Philips) et Yves Castagnet (RCA, 1991), Pierre Cochereau en 1955 à Notre-Dame de Paris, Josef Still à Trier, et Peter Conte sur le Wanamaker de Philadelphie qui vit accoucher l’improvisation à la base du polyptyque définitif.

Le livret prend soin de détailler le contexte, le langage et la structure des œuvres. Outre le touchant Lamento, à la mémoire d’un garçonnet lié à la famille Dupré, le programme accumule des pages écrites autour de 1920, parmi les plus célèbres (Cortège et Litanie) et démonstratives (Amen des Quinze Versets, dans une veine de toccata ; Résurrection de l’opus 23). Jusqu’à conclure par la plus tardive Entrée, Canzona et Sortie (1967) dont l’interprétation renforce encore le pompeux apparat. Quel coup d’éclat ! En soi très réussi quant au style et à la virtuosité, l’hommage de Tomasz Głuchowski se double d’une prouesse audiophile, qui feront date dans la discographie de ce glorieux représentant de l’école d’orgue française.

Son : 9,5 – Livret : 9 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

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