Hommage au hautbois dans le répertoire moderne français, par un grand maître

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Éventail. Maurice Ravel (1875-1937) : Pièce en forme de Habanera ; Kaddisch. Claude Debussy (1862-1918) : Syrinx ; Petite pièce. Olivier Messiaen (1908-1992) : Vocalise-Étude ; Morceau de lecture. Charles Koechlin (1867-1950) : Le repos de Tityre Op. 216/10. André Jolivet (1905-1974) : Controversia ; Chant pour les piroguiers de l’Orénoque. Darius Milhaud (1892-1974) : Vocalise-Étude « Air » Op. 105. Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Sonate Op. 166 ; Le rossignol. Robert Casadesus (1899-1972) : Sonate Op. 23. Heinz Holliger, hautbois, hautbois d’amour. Anton Kernjak, piano. Alice Belugou, harpe. Octobre 2021. Livret en anglais, français, allemand. TT 68’59. ECM new series 2694 485 9185

« La proximité du hautbois avec la voix humaine m’a donné l’idée d’ouvrir un peu plus cet éventail coloré de la musique française, à partir du recueil encore trop peu connu de Vocalises-Études, composé à l’initiative de Madame Hettich » (sic) explique Heinz Holliger dans la notice. En l’occurrence, si l’on se rassure par l’état-civil, il s’agit de (monsieur) Amédée-Louis Hettich (1856-1937) : poète (notamment inspirateur de la compositrice Mel Bonis, dont il eut une fille), pédagogue et musicologue qui durant trois décennies suscita, compila un « répertoire moderne » de pièces pour voix élevée, moyenne ou grave. Autant de chansons sans paroles dont on retrouve quelques avatars dans ce récital, comme la contribution de Darius Milhaud.

Dans ce programme, les pages relativement connues (Sonate de Saint-Saëns, Pièce en forme de Habanera, Kaddisch de Ravel) voisinent avec d’autres plus rares, comme le Repos de Tityre de Koechlin pour hautbois d’amour, ici confronté au célèbre Syrinx de Debussy joué sur le même instrument. Les rares pages exigeantes pour l’auditeur (Controversia, daté de 1968, marque l’aval vers l’avant-garde) voisinent avec nombre de moments plaisants, voire addictifs : l’entêtant Tempo di sardana de la Sonate de Robert Casadesus, dont Heinz Holliger avait recopié la partition autographe prêtée en 1954 par son professeur Émile Cassagnaud ! Car avec le grand hautboïste helvète (né en 1939), c’est une partie de l’histoire musicale du second XXe siècle qui défile de première main, quand celui-ci rappelle que l’œuvre de Jolivet en duo avec la harpe est dédiée à lui-même et son épouse. Ou quand il indique qu’il exécuta la Vocalise-Étude de Messiaen devant le vénérable compositeur, celui-ci décidant alors de l’intégrer dans son Concert à quatre conçu peu avant sa disparition en 1992.

D’autres œuvres de Koechlin étaient envisageables (opus 179, Sonate op. 58) voire espérées dans la mesure où Heinz Holliger enregistra en tant que chef plusieurs œuvres symphoniques de l’auteur du cardinal Traité de l’orchestration. Limitée par la durée d’un disque, une telle anthologie doit certes accepter des choix et des évictions. On aurait pu aussi s’attendre aux sonates d’Eugène Bozza (1971), de Francis Poulenc (1962), ou d’Henri Dutilleux (1947). Concernant ce dernier, le livret regrette qu’elle ait dû être écartée, sans qu’on sache si cette absence relève du minutage déjà généreux. 

En compagnie d’Alice Belugou et du fin clavier d’Anton Kernjak, le vénérable soliste suisse prouve, s’il en était besoin, ses ressources poétiques et son intacte virtuosité (la maîtrise du registre aigu, le contrôle du souffle…). On salue ce projet et sa concrétisation, chez le label munichois ECM qui sait héberger et cultiver les réalisations originales et soignées. Une captation remarquablement aérée et transparente magnifie cet émouvant florilège. Une leçon d’interprétation par un éminent maître des anches. Mais surtout, dans ce tribut aulodique, un superbe voyage dans l’âme vibrante du giron chambriste hexagonal à l’heure de la modernité.

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 8,5 – Répertoire : 7-9 – Interprétation : 10

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