Il Xerse de Cavalli, une première mondiale vidéographique divertissante
Francesco Cavalli (1602-1676) : Il Xerse, dramma per musica, en trois actes avec prologue. Carlo Vistoli (Xerse), Ekaterina Protsenko (Amastre), Gaia Petrone (Arsamene), Carolina Lippo (Romilda), Dioklea Hoxha (Adelanta), Carlo Allemano (Ariodate), Aco Biscevic (Elviro) ; Orchestre Baroque Modo Antiquo, direction Federico Maria Sardelli. 2022. Notice et synopsis en italien et en anglais. Sous-titres italiens, anglais, français, allemands, japonais et coréens. 161’00’’. Un double DVD Dynamic 37983. Aussi disponible en Blu Ray.
Le Roi de Perse Xerxès, qui fait la guerre aux Athéniens, a massé ses troupes près de la cité d’Abydos. Lorsque l’action débute, il chante son amour platonique pour l’ombre d’un arbre qui rafraîchit l’atmosphère. C’est l’air Ombra mai fu, dont l’indéniable qualité sera éclipsée par celui de Handel qui s’inspirera du même sujet pour son Serse, créé à Londres le 15 avril 1738, c’est-à-dire un peu plus de quatre-vingts ans après le dramma de Cavalli donné à Venise le 12 janvier 1654. Ce dernier sera repris, de Gênes à Turin, en passant par Naples, Palerme, ou Milan, au cours des trente années qui vont suivre. Avec un somptueux arrêt à Paris le 22 novembre 1660, pour honorer le mariage de Louis XIV avec Marie-Thérèse d’Espagne, Lully ayant ajouté à la partition de Cavalli une série de ballets de son cru, qui porta la durée de la représentation à huit heures !
Le librettiste était Nicola Minato (1627-1698), déjà sollicité pour L’Orimonte de Cavalli cinq ans auparavant, et qui écrira six autres textes pour le compositeur. Le poète s’est inspiré très librement du Livre 7 des Histoires d’Hérodote, qui raconte la tentative infructueuse des armées de Xerxès, désireux d’annexer la Grèce. L’intrigue est en réalité une comédie humaine quelque peu embrouillée, avec des amours qui interfèrent les unes avec les autres, le tout dans un climat décontracté et divertissant. Tentons-en une brève approche. Xerxès aime Romilda, qui est amoureuse d’Arsamene, le frère du roi, lui-même convoité par Adelanta, la sœur de Romilda. Pour pimenter une situation déjà compliquée et les jalousies qui l’accompagnent, Amastre, fille du roi d’Abydos et fiancée abandonnée par Xerxès qu’elle veut reconquérir, refait son apparition sous l’uniforme d’un soldat. Quiproquos, imbroglios et autres péripéties vont s’y ajouter. Avec un happy end final : le roi fera fi de sa colère après son échec sentimental et finira par épouser Amastre ; Romilda sera unie à Arsamene. Mais Adelanta sera contrainte à la solitude.
Sur cette trame qui tend vers la comédie, Cavalli a construit une partition instrumentée avec vitalité, comprenant de longs récitatifs et des arias, en moins grand nombre, qui n’en sont pas moins très réussis. On est loin des extravagantes longueurs prévues pour Louis XIV : trois petites heures entraînent ici le spectateur dans une action haute en mouvements et en couleurs, quelques coupures ayant été effectuées pour ces soirées enregistrées au Teatro Verdi du 48e Festival de Martina Franca, dans la province de Tarente, entre le 25 et le 31 juillet 2022. On lira avec intérêt l’entretien reproduit dans la notice. Le metteur en scène Leo Muscato et le chef Federico Maria Sardelli y expliquent leur point de vue, évoquent l’abus et la vanité du pouvoir tourné en dérision et font le rapprochement avec la Commedia dell’arte et sa part d’ingéniosité et de naïveté.
Tout cela donne un spectacle fort plaisant, avec un astucieux décor unique qui représente un palais oriental avec colonnades et portes situées côté cour et côté jardin, mais aussi en fond de scène. Des lanternes viendront s’y ajouter, de remarquables lumières soulignant une atmosphère proche d’un conte des Mille et Une Nuits. Les costumes sont chatoyants et ébouriffants, à la limite du kitsch, mélangeant des éléments où voisinent un habit extravagant pour Xerxès, une sorte de poupée de chiffon pour Romilda, une charrette multicolore poussée par Elviro et gorgée de fruits et de fleurs, et la présence anachronique, peut-être un peu contestable, de fusils pour les gardes. On ne peut s’empêcher d’apprécier un certain goût pour le luxe, qui est à son apogée dans une robe vraiment baroque, portée par Adelanta. L’œil est sans cesse sollicité par des trouvailles bienvenues, même si l’on peut être réservé pour celle qui consiste à figer un bref instant, puis à libérer les personnages, par un claquement de mains, pendant qu’un autre prononce un aparté. Le processus est répétitif et finit par agacer.
Nonobstant ce léger désagrément, le jeu des protagonistes est convaincant, varié et en situation. Sur le plan vocal, le contreténor Carlo Vistoli est vraiment excellent, dès l’Ombra mai fu initial ; il le sera tout autant à la fin de l’Acte III pour Lasciatemi morir, stelle pietate. Timbre expressif, sens des nuances, clarté de la diction, chant équilibré, une réussite pour ce rôle de Xerxes. A ses côtés, Ekaterina Protsenko en Amastre et Carolina Lippo en Romilda sont convaincantes, même si cette dernière a l’un ou l’autre moment inégal. On saluera la prestation de la soprano albanaise Dioklea Hoxha en Adelanta ; d’aucuns la trouveront quelque peu exubérante, c’est affaire de goût, mais c’est un aspect que nous apprécions. Il suffit d’écouter son air Voi mi dite che non l’ami à l’Acte II pour découvrir un tempérament. Les autres protagonistes pratiquent la dérision sous-jacente qui traverse l’œuvre dans l’esprit global de commedia dell’arte voulu par Leo Muscato.
En fin de compte, cette parodie aux faux airs historiques suggère des situations enlevées, bien servies par une conduite d’acteurs virevoltante que permet le décor, portes accessibles à tous les moments. Cette soirée est très plaisante, menée avec vitalité par le chef d’orchestre livournais Federico Maria Sardelli (°1963), fondateur de l’ensemble Modo Antiquo, qui fait étalage de son plaisir de jouer. Un divertissement de qualité, qui méritait bien d’être proposé en première vidéographique mondiale.
Note globale : 9
Jean Lacroix