Interprétation idéale des Motets latins de Bruckner par le Choeur de la Radio lettonne

par

Anton Bruckner (1824-1896) : Motets latins.Os justi (WAB 30), Christus factus est (WAB 11), Locus iste (WAB 23), Ave Maria (WAB 6), Libera me* (WAB 21), Kronstorfer Messe (WAB 146), Tantum ergo (WAB 32; WAB 41; WAB 42*; WAB 43*), Virga Jesse (WAB 52); Pange lingua et Tantum ergo (WAB 33), Salvum fac populum tuum (WAB 40), Tota pulchra es Maria (WAB 46*°), Vexilla Regis (WAB 51).  ° Jānis Kursevs, tenor ; Choeur de la Radio lettonne, direction :  Sigvards Klava ; Kristīne Adamaite,orgue. 2020-DDD-58’48-Texte de présentation en anglais, textes chantés en latin et anglais-Ondine-ODE 1362-2

Voici un enregistrement qui, pour une fois, risque de plaire tant à ceux qui aiment les symphonies de Bruckner, la richesse harmonique et la complication contrapuntique de son écriture, les cataclysmes orchestraux qui alternent avec les ineffables beautés des mélodies infinies de ses mouvements lents, l’énergie indomptable de ses scherzos et les apothéoses de ses finales qu’à ceux qui demeurent désespérément rétifs à cette musique qu’ils trouvent juste lourde, ampoulée et faussement naïve.

Bien moins fréquents dans nos salles qu’ils ne devaient l’être, les 34 motets latins de Bruckner (dont ce disque nous propose 14 exemples, plus les six minutes de la Kronstorfer Messe qui ne comporte ni Gloria ni Credo, oeuvre de jeunesse d’un compositeur de moins de 20 ans marquée par le retour à Palestrina) parcourent toute la carrière du compositeur, de 1835 -alors qu’il n’avait que onze ans- à 1892, quatre ans avec sa mort.

Contrairement aux splendeurs de ses trois grandes messes, Bruckner exprime ici son ardente foi catholique dans des formes brèves (aucune des oeuvres gravées ici ne dépasse les 5’20), très certainement écrites pour être immédiatement exécutées et donc exemptes des parfois lourdes révisions apportées par le compositeur à ses symphonies dans l’espoir de les voir enfin jouées.

Le langage retenu par Bruckner est volontairement simple (mais certainement pas simpliste) et, comme souvent dans la musique d’église catholique de l’époque, renonce aux complications du contrepoint ou de la virtuosité chorale pour regarder vers deux modèles jugés insurpassables : le chant grégorien (jamais cité ici directement, mais évoqué par des tournures modales et l’usage de temps à autre de répons antiphoniques) d’une part, la transparence et la beauté de Palestrina de l’autre.

Il n’est sans doute pas nécessaire de s’attarder sur chacune de ces pièces, mais on ne se privera pas d’en relever les beautés. Ainsi dans le Os justi qui ouvre le disque, on perçoit directement la connaissance qu’avait Bruckner de la tradition polyphonique et son fin usage d’harmonies modales.

Dans Christus factus est, l’atmosphère d’émerveillement et de dévotion du croyant frappe tout autant que l’absence de bondieuserie sucrée.

Après le romantisme tempéré et serein du lumineux Locus iste, l’Ave Maria pour sept voix solistes (on admire ici les sopranos, véritablement célestes), oeuvre de maturité terminée en 1861, est à mille lieues de la piété vaguement douceâtre que son titre aurait pu faire craindre.

Homophonique et énergique, joyeux presque avec son bel accompagnement à l’orgue, le Libera me n’a rien à voir avec ceux de Fauré et Verdi et dénote clairement la confiance inébranlable du croyant en son créateur à l’heure de la mort.

Là où Bruckner, mécontent d’un passage symphonique, l’aurait sans doute plusieurs fois retravaillé, il préféra user ici d’une méthode bien plus simple pour la mise en musique du Tantum ergo en pourvoyant chaque fois le texte d’une nouvelle musique. C’est ainsi que ce disque nous offre pas moins de cinq versions du texte liturgique. On mentionnera le WAB 32 et son parfum schubertien, le WAB 41 introverti, le WAB 43 où l’on sent l’humilité et la fierté du croyant.

L’influence du chant grégorien est très perceptible dans le Salvum fac populum tuum ainsi que, plus indirectement, dans le splendide Tota pulchra es Maria où un ténor solo fait office de chantre dialoguant avec le choeur, alors que l’orgue contribue à instaurer une atmosphère de majesté comme dans le vers « Tu gloria Jerusalem ». L’enregistrement se termine sur le contemplatif Vexilla Regis de1892, dernier motet de Bruckner.

Ces oeuvres qui seront des révélations pour beaucoup bénéficient d’une interprétation remarquable. Dirigés de main de maître par Sigvards Klava, les chanteurs du Choeur de Radio lettonne (j’en ai compté 22 sur la photo qui figure au livret) livrent une prestation de premier ordre : justesse irréprochable, compréhension du texte, sensibilité aux tournures harmoniques, équilibre parfait entre les voix. La prise de son, dans la Cathédrale de Riga, est elle aussi idéale, précise tout en nimbant les voix d’un léger halo.

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

Patrice Lieberman

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