Jean-Pierre Leguay : faire entendre ce qu’on ne voit pas

par

Jubilus. Jean-Pierre Leguay (1939-). Sabine Sauer, Lili Bogdanova, Christina Singer, Nikola Lutz, Lucas Gerin, Nozomi Hiwatashi, Annette Schütz, Dirk Altmann, Gabriele Turck, Pao Tseng, Junyoung Kim. 68’30". 2024. Livret : allemand, anglais, français. Cybele Records. SACD 362403.

Ancien élève d'Olivier Messiaen, organiste des Grandes Orgues de Notre-Dame de Paris, improvisateur et compositeur, on sait le parcours de Jean-Pierre Leguay cheminant entre tradition et modernité (son répertoire s’étend du 17ème au 20ème siècle) ; on sait l’interprète capable d’improvisations-performances (à l’orgue en particulier) qui constituent des œuvres en soi ; on sait l’aveugle qu’il est (depuis son plus jeune âge) nourri à l’intuition sonore, qui compose à l’oreille (mémoire, imagination, perception intérieure), à la sensibilité (affutée) pour les timbres et les textures – il ne voit pas mais sa musique ruisselle de couleurs.

L’album rassemble cinq pièces de musique de chambre, dont le piano de la française Sabine Sauer (elle est la spécialiste de ses œuvres) constitue le fil rouge : seul mais dédoublé dans Sonnantes, quatre compositions pour piano à quatre mains (l’une écrite pour le fils, les autres pour l’épouse) ; présent (version Solo) ou absent (version Duo – encore mieux) dans Trois esquisses pour flûte (Christina Singer), miniatures incisives où la flûte se suffit certes à elle-même mais prend tout bénéfice du clavier-interlocuteur – Leguay écrit les deux versions en parallèle, avec en tête les exigences de l’une et les particularités de l’autre.

Le matin sûrement va venir, outre son titre en forme d’espoir ou d’évidence selon le point de vue, connaît une première vie pour ondes Martenot, piano et percussions ; quatre décennies plus tard, le compositeur retravaille la pièce et substitue aux ondes, celles, en colonnes de souffle, du saxophone alto, tout aussi souples mais plus dans l’air du temps : le wood-block est sec, rythmique et dynamique, le piano répète et diversifie ses accords ; le saxophone fend l’atmosphère de ses éclats. Piano et vibraphone sont la paire d’À Deux : sinueux comme la Semois, tranquille comme ses méandres (ils contraignent un courant d’apparence débonnaire mais capable de la vivacité d’un torrent de printemps), le couple partage une proximité pour laquelle un duo ne suffirait pas.

Jubilus, qui donne son nom au disque, est la réponse à une commande de Radio France pour Alla Breve : cinq parties, diffusées une par une les jours de la semaine, avec une rediffusion intégrale le dimanche, cinq éléments indépendants et constitutifs d’une œuvre plus large, que traversent piano et violon, rejoints parfois par la (petite) flûte, le hautbois (ou le cor anglais) ou la clarinette (basse) – dans le même temps, les percussions se spécialisent en bois et peaux pour passer aux vibraphone et tumba, avant d’y revenir. Jubilus est une joie qui chante, qui danse, qui murmure et qui éclate – sonore avant tout, et vivante, intelligente, animée, pensée et ressentie, comme l’est la réjouissante musique de Jean-Pierre Leguay.

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8

Bernard Vincken

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