Surprise à Vienne !

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La semaine dernière, Daniel Froschauer -qui a succédé en septembre dernier à Andreas Großbauer au conseil d'administration de la Philharmonie de Vienne, déclarait sans ambage : Nous serions heureux de voir une dame diriger l'orchestre.
Un voeu qui ne pouvait passer inaperçu dans le contexte historique du plus masculin des orchestres qui n'a accepté l'idée d'accueillir les premières musiciennes en son sein qu'en 1997.
Et pourtant, à peine éteints les derniers feux du Concert du Nouvel An diffusé hier, le même Daniel Froschauer annonçait : Nous avons demandé à Christian Thielemann de prendre la relève pour le Concert du Nouvel An 2019.

C'est la première fois que le chef allemand sera aux commandes de l'événement. On attend de "voir" mais ce qui est sûr, c'est qu'on ne risque pas de retrouver les accents latins dont Riccardo Muti a imprégné la souriante prestation d'hier.

Pour les plus jeunes, un peu d'histoire :

L'Orchestre Philharmonique de Vienne a sa résidence au Musikverein de Vienne, cette salle de concert rectangulaire, aux tons ivoire et dorés, à l'acoustique exceptionnelle.

L'origine de l'orchestre remonte à 1842, quand Otto Nicolai forme ce qui s'appelait alors l'Académie philharmonique, un orchestre totalement indépendant qui prenait ses décisions à partir d'un vote démocratique de tous ses membres : ces mêmes principes régissent encore l'orchestre aujourd'hui.
Mais quand Nicolai quitte Vienne en 1847, l'orchestre se délite et reste peu actif jusqu'en 1860, quand Carl Eckert reprend la direction et donne une série de quatre concerts sur abonnement. Lui succèderont Felix Otto Dessoff de 1860 à 1875 puis Wilhelm Jahn en 1882 et 1883.

A partir de 1842, le Philharmonique de Vienne n'a pas de chef permanent. Chaque année, un artiste est choisi pour diriger tous les concerts de la saison (au Musikverein toujours) sous l'appellation Abonnementdirigenten... parce que les concerts qu'ils doivent diriger sont inclus dans l'abonnement au Musikverein. Certains de ces engagements sont renouvelés pendant de nombreuses années, d'autres se terminent au bout de peu de temps.

De 1875 à 1898Hans Richter est chef principal et assure la réputation de l'Ensemble qui dirige alors des compositeurs contemporains (Wagner, Liszt, Verdi) et assure des créations :Variations sur un thème de Haydn (1873),  2eet 3e symphonies (1877-1883), l'Ouverture tragique (1880) de Brahms, les 3e (1877), 4e (1888), 6e (1899) et 8e (1892) symphonies de Bruckner.

Gustav Mahler occupe le poste de 1898 à 1901 et c'est avec lui que l'orchestre joue pour la première fois à l'étranger pour l'Exposition Universelle de 1900 à Paris. Lui succéderont Joseph Hellmesberger (1901-03) Felix Weingartner (1908-27), Wilhelm Furtwängler (1927-30) et Clemens Krauss (1929-33).

Avec l'Anschluss (1938), les autorités allemandes voulurent supprimer définitivement l'orchestre et en exclure les instrumentistes juifs : il faudra l'intervention de Wilhelm Furtwängler pour sauver l'existence de l'orchestre et pour que les demi-juifs puissent continuer à jouer dans l'orchestre.

Avec l'élargissement de ses activités, l'orchestre a mis en place un autre système et seuls des chefs invités sont engagés pour chaque concert, tant à Vienne que dans les autres lieux. Il y aura ainsi Bruno Walter, Karl Böhm, Herbert von Karajan, Claudio Abbado, Lorin Maazel, Richard Strauss, Hans Knappertsbusch, John Barbirolli, Josef Krips, Willi Boskovsky, Hermann Scherchen, Georg Solti, Erich Kleiber, James Levine, Leonard Bernstein, Pierre Boulez, Carlos Kleiber, Bernard Haitink, Zubin Mehta, Simon Rattle, Mariss Jansons, Valery Gergiev, Seiji Ozawa, Riccardo Muti, Nikolaus Harnoncourt, Georges Prêtre, Charles Mackerras, Daniele Gatti, Christian Thielemann, Ingo Metzmacher, Philippe Jordan, Franz Welser-Möst, Daniel Barenboim, Markus Stenz, Daniel Harding ou Paavo Järvi. Parmi les chefs qui l'ont dirigé à d'autres titres se détachent Arturo Toscanini de 1933 à 1937 et à nouveau Wilhelm Furtwängler, de 1933 à 1945 puis, après la Seconde Guerre mondiale, de 1947 à sa mort en 1954.

Les membres de l'Orchestre sont recrutés exclusivement parmi ceux de l'Orchestre de l'Opéra d'État de Vienne, ce qui permet d'assurer la qualité artistique de l'ensemble, de garantir l'équilibre financier de la formation (c'est l'Opéra qui prend par exemple en charge les retraites) et d'augmenter les revenus des musiciens concernés qui se partagent les recettes des concerts et des enregistrements.

Le processus d'intégration est néanmoins très long : les musiciens doivent d'abord prouver leurs capacités en jouant pour l'Opéra et le Ballet durant au moins trois ans. Ce n'est qu'ensuite qu'ils peuvent présenter leur candidature auprès du conseil d'administration du Wiener Philharmoniker.

L'orchestre fonctionne en auto-gestion, ce qui n'exclut pas une tendance au conservatisme (on a déjà dit qu'il n'a accepté des femmes dans ses rangs qu'il y a 20 ans) et une tendance à rechigner devant les instrumentistes étrangers, particulièrement les non-continentaux.

Auprès des chefs d'orchestre, il est réputé pour son caractère rétif mais aussi son excellence technique et artistique.

Le son caractéristique de l'Orchestre Philharmonique de Vienne lui vient en partie de l'utilisation d'instruments et d'un style de jeu différents de ceux des autres grands orchestres.

- la clarinette a un système de doigté spécial
- le basson a une anche et un doigté spécial
- la trompette a un système de valves rotatives et une dimension moindre
- le trombone et le tuba ont un doigté et un système de valves différents
- les timbales utilisent des peaux de chèvre naturelles au lieu de peaux synthétiques
- les contrebasses retrouvent le placement traditionnel en ligne derrière les cuivres
- le hautbois viennois a une perce, une taille, une anche et un système de doigté spéciaux
- le cor viennois est une variante du cor naturel avec plusieurs « tons » (tubes de différentes longueurs) reliés afin de pouvoir jouer l'échelle chromatique. De perce plus fine mais plus longue, il est doté d'un système à palettes qui a l'avantage de produire des attaques plus souples et des notes liées plus coulées. En outre, le cor viennois est fabriqué dans un alliage plus résistant que le cor d'harmonie traditionnel (double cor en fa/si bémol).
Ces instruments et leurs couleurs sonores caractéristiques ont fait l'objet d'une vaste étude scientifique menée par le Professeur Gregor Widholm de l'Institut pour la culture du son viennois à l'Académie de musique et des arts de la scène.

Au Musikverein, tous les concerts sont annoncés complets sur le site de l'orchestre. La liste d'attente pour les concerts d'abonnement en semaine est de six ans, et de treize ans pour les abonnements en week-end.

Tradition masculine et caractéristique ethnique
Depuis sa fondation, l'orchestre se composait donc exclusivement d'hommes, une tradition parfaitement légale en Autriche jusqu'à une loi de 1993 qui rendit obligatoire l'égalité dans le domaine public. Dès lors, les associations autrichiennes devaient choisir : conserver la tradition excluant les membres féminins et renoncer aux soutiens financiers du secteur public ou accepter les femmes pour garder les subventions publiques.
Première femme à intégrer l'orchestre, la harpiste Anna Lelkes en devint membre en 1997 après y avoir travaillé "hors statut" pendant quelque vingt ans. Après la retraite d'Anna Lelkes, la harpiste Charlotte Balzereit devint à son tour la seule femme membre de l'orchestre.
En janvier 2005, la chef d'orchestre australienne Simone Young devint la première femme de l'histoire à diriger ponctuellement le Philharmonique de Vienne.
Par ailleurs, historiquement, l'orchestre n'acceptait pas non plus de membres de minorités visibles. Un violoniste demi-asiatique en devint membre pour la première fois en 2001.
Des responsables de l'orchestre font l'objet de critiques pour avoir soutenu que le maintien de son uniformité ethnique européenne était nécessaire pour en préserver l'esprit, l'âme. Et en 2003, un membre de l'orchestre déclarait encore dans une interview : Trois femmes c'est déjà trop. Lorsque nous en aurons vingt pour cent, l'orchestre sera ruiné. Nous avons fait une grosse erreur, et nous le regretterons amèrement.

En 2007, l'orchestre comptait dans ses rangs quatre femmes (2% de l'effectif) : une harpiste, une flûtiste, une altiste et une violoncelliste.
En septembre 2015, le poste de premier basson solo va à la bassoniste française Sophie Dartigalonguesuccédant à Michael Werba. Et le mouvement s'élargit, comme la caméra a veillé à nous le faire constater ce 1er janvier .

 

 

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