Joyce di Donato, sublime souveraine au royaume enchanté de Purcell

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En première partie, l’oratorio Jephté de Carissimi introduit dans un paysage sonore délicat où la célèbre plainte de la vierge sacrifiée par l’inconséquence de son père saisit par sa modernité. Anna Piroli, seconde sorcière dans la deuxième partie, lui prête sa simplicité sans que la projection et la texture de la voix suffisent à en rendre toute la portée dramatique.

Très concentrée, Joyce di Donato offre ensuite une interprétation de la reine de Carthage de haut vol où se concilient noblesse, beauté et humanité.

Mille fois déjà, le chatoiement du timbre, ses métamorphoses, depuis les aigus suspendus jusqu’à l’opulence des graves, ont été salués sur les scènes du monde entier. Mais ces qualités ne seraient qu’admirables si elles ne rejoignaient pas cette sorte de profondeur inexprimable qui touche au cœur.

Ainsi jouée, on comprend pourquoi cette musique -impitoyable dans sa nudité- fit pleurer les cours de France et d’Angleterre.

Toujours concise, la plainte est rehaussée par la vivacité des ballets (ovation finale pour le percussionniste placé en haut de la pyramide de l’orchestre), les ricanements diaboliques, les orages et fête nautique directement issus de Lully.

Ce qui n’est pas surprenant puisque le maître de Purcell, Pelham Humfrey, fut l’assistant, l’élève et le copiste du compositeur français durant plusieurs années avant de s’en retourner en Angleterre instruire les musiciens du roi Charles II d’Angleterre parmi lesquels un certain... Henry Purcell.

Andrew Staples (Jephté, Enée) prête aux deux héros masculins une épaisseur vocale ample quoique légèrement nasalisée. La magicienne extravertie à souhait de la mezzo Beth Taylor déploie de magnifiques coloris sombres sertis par les ricanements des sorcières (Alena Dantcheva et Anna Piroli).

Massimo Altieri (un marin) et Hugh Cutting (un esprit) égalent l’excellence du chœur, de l’orchestre Il Pomo d’Oro et de la direction aussi précise qu’endiablée de Maxim Emelyanychev.

Les effets d’échos, déplacements, attitudes, éclairages réglés avec humour et efficacité exacerbent ces alternances d’élan, de repos, de joie, de désespoir qui font les délices de l’art baroque.

Le public est en fête.

Bénédicte Palaux Simonnet

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 8 février 2024

Crédits photographiques : Simon Pauly

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